Décarbonation : nouveau cri d'alarme sur la léthargie du marché de l’hydrogène

Une enquête menée par le CEA montre que la demande des industriels européens en hydrogène décarboné devrait atteindre 2,5 millions de tonnes à l'horizon 2030. C'est presque dix fois moins que l'objectif de consommation visé par Bruxelles.
Juliette Raynal
Une enquête menée par le CEA montre que la demande des industriels européens en hydrogène décarboné devrait atteindre 2,5 millions de tonnes à l'horizon 2030.
Une enquête menée par le CEA montre que la demande des industriels européens en hydrogène décarboné devrait atteindre 2,5 millions de tonnes à l'horizon 2030. (Crédits : Air Liquide)

L'Union européenne parviendra-t-elle à tenir ses objectifs climatiques à l'horizon 2030 ? Le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) s'en inquiète alors qu'il est désormais évident que le marché de l'hydrogène bas carbone se développe bien plus lentement qu'anticipé, chiffres à l'appui.

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Selon l'étude Sisyphe, menée par l'organisme de recherche et publiée ce mercredi, la demande des industriels européens pour cette minuscule molécule considérée comme stratégique pour la décarbonation de l'économie, ne devrait s'élever qu'à 2,5 millions de tonnes en 2030. C'est huit fois moins que l'objectif que s'est fixé Bruxelles, qui table sur une consommation de 20 millions de tonnes à cet horizon dans le cadre du plan RepowerEU, déployé au lendemain de l'invasion russe de l'Ukraine pour concilier transition énergétique et souveraineté.

Un décalage considérable

A l'horizon 2040, cette demande devrait tout juste atteindre 9 millions de tonnes, selon cette même enquête, basée sur des interviews menées auprès de 70 industriels européens évoluant dans neuf secteurs différents (production de chaleur, ammoniac, chimie, métallurgie, méthanol, raffinage, transport aérien, maritime et routier).

Quand bien même ces chiffres relèvent d'exercices prospectifs, et sont donc discutables selon les hypothèses retenues, le décalage entre les objectifs européens et la réalité industrielle apparaît considérable. Si Bertrand Charmaison, responsable de l'étude et directeur de l'Institut de recherche et d'études en économie de l'énergie du CEA (I-Tésé), juge les objectifs européens très ambitieux, il estime néanmoins qu'ils sont « nécessaires pour atteindre les objectifs climatiques et pour la réindustrialisation de l'Europe ».

« Les revoir à la baisse ne serait pas une bonne idée », a-t-il commenté, lors d'une conférence de presse.

Les raffineries bien plus frileuses qu'anticipé

Cette grande fébrilité de la demande n'est pas une surprise. Depuis quelques mois, les signaux mettant à mal l'avènement tant promis de « l'or vert » se sont multipliés. En février, Engie annonçait reporter ses objectifs de production d'hydrogène de cinq ans, en raison principalement de l'absence de demande des industriels. Quelques jours plus tôt, c'est le patron d'ArcelorMittal Europe, Geert Van Poelvoorde, qui affirmait que le groupe ne pourrait pas utiliser de l'hydrogène vert pour produire de l'acier en Europe, compte tenu de son prix...

Selon le CEA, ce niveau de la demande, beaucoup plus faible qu'anticipé, s'explique en grande partie parce que les secteurs ayant été identifiés initialement comme les plus susceptibles de basculer vers l'hydrogène bas carbone, se révèlent finalement bien plus frileux. C'est notamment le cas des raffineries et des producteurs d'ammoniac, qui utilisent actuellement de l'hydrogène gris fabriqué à partir d'énergies fossiles dans leurs procédés.

A terme, le transport aérien sera le principal moteur de la demande

Les raffineries redoutent, en effet, d'engager de lourds investissements pour faire évoluer leurs process alors même que leur avenir demeure très incertain, compte tenu de l'interdiction de la vente de véhicules neufs thermiques, prévue en 2035. Quant aux producteurs d'ammoniac, l'adoption de l'hydrogène décarboné comme intrant les conduirait nécessairement à se doter de nouvelles usines. Une décision d'investissement qu'ils ne sont pas prêts à prendre aujourd'hui. Par ailleurs, « les perspectives de développement seront plus limitées dans les secteurs du transport maritime et routier et dans la production de chaleur », relève Bertrand Charmaison.

Selon les interviews menées par le CEA, la demande devrait, in fine, être principalement tirée par le secteur du transport aérien, alors que la réglementation européenne va imposer au fur et à mesure aux compagnies aériennes des obligations d'incorporation de carburants de synthèse, élaborés justement à partir de molécules d'hydrogène décarbonées.

Malgré cette absence de demande, l'intérêt pour l'hydrogène bas carbone n'a pas disparu, nuance toutefois le CEA.

« Les industriels sont dans une situation d'attente », rapporte Bertrand Charmaison.

Des aides à la production

Ces derniers appellent à un mécanisme de soutien dans la durée afin d'alléger leurs coûts d'opération, et non uniquement des aides à l'investissement, pointe l'étude. Beaucoup semblent envier l'Inflation Reduction Act (IRA) déployé aux Etats-Unis, qui permet de bénéficier de 3 dollars de subvention par kilogramme d'hydrogène produit, et ce pendant dix ans. De quoi réduire significativement l'écart entre l'hydrogène décarboné et l'hydrogène gris...

Le document met également en évidence les inquiétudes des industriels sur la disponibilité de l'électricité bas carbone et des réseaux pour une production locale, mais aussi des infrastructure nécessaires à l'importation de l'hydrogène. L'autre grand frein concerne le passage à l'échelle des installations, et tout particulièrement des électrolyseurs.

« Jusqu'à présent, nous sommes restés dans une approche très artisanale. Et force est de constater que les fournisseurs n'arrivent pas à fournir en quantités et en qualité les électrolyseurs. ThyssenKrupp a du mal, McPhy également », confiait récemment à La Tribune un cadre dirigeant d'un grand groupe français.

Juliette Raynal

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Commentaires 12
à écrit le 14/03/2024 à 17:08
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Trop souvent, l'UE tire des plans sur la comète, mais sans toujours tenir compte de réalités techniques , industrielles, financières, et d'aptitude des entreprises et particuliers au changement. Les incantations ne suffisent pas

à écrit le 14/03/2024 à 13:14
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La chimère hydrogène nous coûte des Milliards d'argent public pour un résultat très mineur en réduction d'émissions de CO2, 120 Milliards de subventions budgetés en EU à Horizon 2030 pour décarbonner 40 Millions de tonnes de CO2.... quand dans la seu...

à écrit le 14/03/2024 à 9:26
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Bruxelles est a cote de la plaque en ce qui concerne la decarbonation, c'est pas nouveau. Le rêve européen d'un monde sans CO2 est une chimere

le 14/03/2024 à 9:33
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Totalement d'accord.

le 14/03/2024 à 10:20
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Pas du tout d accord et l avance techno pris par les Chinois sur la voiture électrique est là pour nous le rappeler . L Europe est vieillissante et sa population n a plus le bon logiciel de compréhension du monde : décarbonations, guerres déclenchée ...

à écrit le 14/03/2024 à 8:44
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La "dogmatique" vision d'un futur imposera des "réformes" permanentes que subirons les plus humbles d'entre nous ! En bref on construit des excuses ! ;-)

à écrit le 14/03/2024 à 8:04
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Ben disons qu'il faut payer une énergie très chère pour en exploiter une "nouvelle" et qu'il n'y a pas de lobby pour défendre pourtant cette énergie particulièrement intéressante mais gratuite ! Personne pour défendre les énergies gratuites qui ne pe...

le 14/03/2024 à 10:26
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Vu ce que rapporte les taxes sur l essence en Europe tous les gouvernements européens b ont pas intérêt à ce que ça aille trop vite .. pendant ce temps les asiatiques et les rusa avancent plus vite sur le sujet … à rire perso je pense qu il faut pas ...

le 14/03/2024 à 10:28
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Vu ce que rapporte les taxes sur l essence en Europe tous les gouvernements européens n’ont pas intérêt à ce que ça aille trop vite .. pendant ce temps les asiatiques et les usa avancent plus vite sur le sujet … à titre perso je pense qu il faut pas...

le 14/03/2024 à 11:12
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"européens b ont pas intérêt à ce que ça aille trop vite .. " Tellement lentement alors que cela existe depuis tellement longtemps que l'on peut parler d'arrêt même.

le 14/03/2024 à 15:47
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Vous connaissez une energie gratuite vous ? Le H2 n'est pas gratuit, le H2 vert ou gris est d'ailleurs bien trop couteux pour cause de mauvais rendement.

le 14/03/2024 à 19:34
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"Vous connaissez une energie gratuite vous ?" Le vent, les marées, le soleil, l'hydrogène j'en suis moins sûr mais c'est quand même dommage d'être passé à côté là on ne sait pas on débat sur que dalle parce que les autres lobbys nous empêchent de che...

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