Transition énergétique : le gros coup de blues de l’hydrogène vert

Après les grandes annonces, le marché de l'hydrogène vert se confronte à la dure réalité industrielle. Face à une demande trop faible en raison des prix qui demeurent élevés, les producteurs revoient leurs projets à la baisse.
Juliette Raynal
Un bus à hydrogène
Un bus à hydrogène (Crédits : Quentin Top / Hans Lucas via Reuters Connect)

L'hydrogène vert sera-t-il aussi déterminant pour la transition énergétique que ce que ses partisans le lui prédisaient ? Certains observateurs en doutent... Une chose est sûre, sa contribution dans la bascule vers une économie décarbonée interviendra plus tard que prévu.

« Nous avions une centaine de projets en développement dans l'hydrogène, à des stades de maturité variés, et aujourd'hui nous réduisons notre pipeline. Nous en conservons plusieurs dizaines, mais nous avons décidé de ne pas en développer certains. Le marché met plus de temps à mûrir que ce que nous pensions donc nous essayons de rester en phase », a récemment confié un haut dirigeant d'un groupe énergétique français.

Beaucoup de communication... et une réalité plus complexe

Plusieurs acteurs avaient déjà témoigné du retard à l'allumage du marché de l'hydrogène vert, dont les projets de taille industrielle peinent à voir le jour. « Tout le monde est en retard » sur la production d'hydrogène vert, constatait ainsi, en juin dernier, Valérie Ruiz-Domingo, vice-présidente hydrogène pour Engie dans une interview accordée à La Tribune. Pour autant, c'est bien la première fois qu'un énergéticien français partage publiquement sa volonté de réduire la voilure.

« On ne va pas se mentir, il y a eu une phase de communication très importante qui a permis d'installer l'hydrogène dans les têtes. Désormais, on entre dans la réalité qui, elle, est plus complexe », concède Philippe Boucly, à la tête de la fédération d'industriels France Hydrogène. « Je suis persuadé qu'un certain nombre d'objectifs ne seront pas atteints dans les temps, notamment les projets de gazoduc. Est-ce que le recours au gaz naturel va baisser aussi rapidement qu'espéré ? Il y a un vrai point d'interrogation. Les conditions pour aller vite ne sont pas réunies », avance-il encore.

Cette complexité se traduit de manière non équivoque dans les statistiques. Dans son dernier rapport consacré aux énergies renouvelables, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a revu largement à la baisse (-35% par rapport à sa publication de 2022) ses estimations concernant les capacités d'installations solaires et éoliennes développées au cours des cinq prochaines années pour la production d'hydrogène. En d'autres termes, l'agence estime que la production d'hydrogène renouvelable sera moins importante que prévue. Cette révision à la baisse s'explique par les difficultés financières rencontrées par les projets d'hydrogène associés aux énergies renouvelables. Toujours selon l'AIE, sur les 360 GW de projets recensés dans le monde à différents stades de maturité, seuls 3% (12 GW) ont obtenu une décision finale d'investissement ou ont démarré leur chantier de construction.

Faiblesse de la demande

Plusieurs éléments expliquent ce coup de frein. La qualité des électrolyseurs qui ne semble pas être au rendez-vous est souvent évoquée. Mais le grand blocage réside surtout du côté de la demande... ou plutôt de l'absence de demande.

« Le sujet, c'est vraiment de trouver des clients qui sont prêts à payer les surcoûts de cet hydrogène qui est plus vertueux, mais qui est en général plus cher », explique le même énergéticien français.

De fait, les industriels restent très frileux à s'engager dans la durée sur des volumes conséquents d'hydrogène vert, dont le prix reste 2 à 3 fois supérieur à l'hydrogène gris, fabriqué à partir d'énergies fossiles, en raison du prix de l'électricité relativement élevé et de l'inflation, qui a mécaniquement renchéri le coût des projets de production.

« Là où ça devient très compliqué c'est quand vous êtes un aciériste et qu'aujourd'hui vous n'avez pas de procédé qui fonctionne à l'hydrogène. Vous devez d'abord dépenser un milliard d'euros pour construire votre nouvelle infrastructure, qui va consommer de l'hydrogène, et ensuite acheter de l'hydrogène. Il y a, par conséquent, une double barrière à l'entrée pour les nouvelles applications de l'hydrogène », développe l'énergéticien tricolore.

L'actualité du jour illustre bien cette difficulté : en France, ArcelorMittal a officialisé un investissement de 1,8 milliard d'euros pour décarboner son site de Dunkerque. Cet investissement doit permettre de remplacer l'un des deux hauts fourneaux par deux fours électriques couplés à une installation de réduction directe de fer (ou DRI ou Direct reduction of iron). Mais celle-ci fonctionnera d'abord au gaz naturel, un combustible fossile émetteur de CO2, avant une transition progressive à l'hydrogène. Or le calendrier de cette bascule reste encore inconnu.

Marche arrière sur les bus et trains à hydrogène

Cette faiblesse de la demande se matérialise aussi dans la mobilité, alors qu'il y a quelques mois encore la filière ventait les promesses de cette minuscule molécule pour décarboner la mobilité lourde terrestre. En France, les villes de Pau et de Montpellier ont renoncé à leur projet de flotte de bus à hydrogène au profit de bus électriques. En Allemagne, la région de Basse-Saxe, qui avait pourtant été la première au monde à lancer une ligne commerciale de train à hydrogène, tourne aussi le dos à ce gaz pour lui préférer la propulsion à batterie, jugée bien plus économique.

« Avec la baisse considérable du prix des batteries, qui a été divisé par deux en l'espace de quatre ans seulement, on se rend compte qu'il est plus simple d'électrifier des trains là où l'on projetait des rames à hydrogène. L'idée n'est pas de déployer des caténaires électriques tout au long des lignes, mais de doter les trains de batteries et d'y associer quelques portions électrifiées par caténaires. On les installera là où ça ne coûte pas cher. On parle alors d'électrification frugale ou partielle », explique Cédric Philibert, analyste de l'énergie et du climat, associé à l'Institut français des relations internationales (Ifri).

« De plus en plus de régions en France s'intéressent aux trains à batterie. Sur l'hydrogène, on freine avant même d'avoir démarré car cela ne tient pas la route », tranche-t-il. D'après lui, la commercialisation à venir des futures générations de batteries sodium-ion, bien moins coûteuses que les batteries lithium-ion, pourrait encore accélérer ce mouvement. Trois fois moins chères au kilowattheure que la génération précédente, les batteries sodium-ion présentent toutefois une densité énergétique inférieure et sont donc plus encombrantes. « Mais une batterie lourde est bien moins gênante dans un train que dans une voiture », relève Cédric Philibert. « Je ne vois pas l'hydrogène se développer de manière significative dans la mobilité terrestre. Et dans l'industrie, l'hydrogène va être utilisé comme matière première ou comme agent de procédé, beaucoup moins comme vecteur énergétique », anticipe le spécialiste.

Objectifs nationaux inchangés

Sans surprise, les acteurs de la filière ne partagent pas le même avis. Très favorable au déploiement de la molécule verte dans la mobilité, France Hydrogène a soumis au gouvernement un nouveau plan reposant sur la Taxe incitative relative à l'utilisation des énergies renouvelables dans les transports : la TIRUERT. « Le principe est d'obliger les fournisseurs de carburant à intégrer dans leur bouquet de produits un certain pourcentage de carburants propres. (...) Si le fournisseur ne fournit pas la part de renouvelable qui lui est imposée, il paiera une taxe à hauteur de 140€/hectolitre de diesel », explique dans les grandes lignes l'association professionnelle, laquelle estime que ce mécanisme induira une baisse significative de l'hydrogène propre.

Dans la mise à jour de sa stratégie hydrogène, intervenue fin 2023, le gouvernement, lui, reste muet sur les applications dans la mobilité. En revanche, l'exécutif n'a pas revu à la baisse les objectifs de production. Ces derniers restent inchangés avec comme cible 6,5 GW de production électrolytique d'hydrogène bas-carbone en 2030 et un nouvel objectif de 10 GW à l'horizon 2035. Roland Lescure, le ministre délégué chargé de l'Industrie, a même demandé à trois services de l'Etat d'étudier la pertinence économique et technique des importations d'hydrogène alors que la France se montrait jusqu'alors très frileuse sur cette question.

Malgré les difficultés du marché de l'hydrogène propre et les doutes qui planent sur certains de ses débouchés, plusieurs observateurs s'accordent sur un point : son utilisation pour la production d'ammoniac, dont les procédés reposent déjà sur de l'hydrogène gris, apparaît comme viable à court terme. L'hydrogène demeure également pertinent pour le transport aérien et maritime, justement sous forme d'ammoniac ou de kérosène de synthèse. Dans un horizon plus lointain, l'hydrogène bas carbone devrait aussi être utilisé comme outil de flexibilité pour le réseau électrique afin de répondre aux pointes de consommation, sans recourir à des combustibles fossiles.

Juliette Raynal

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 15
à écrit le 18/01/2024 à 21:55
Signaler
Avec son nucléaire "pilotable", la France n'a heureusement pas besoin d'hydrogène pour compenser la variabilité aléatoire du solaire et de l'éolien. Enorme avantage technique et économique. Mais surtout géopolitique : car l'Allemagne et d'autres pay...

à écrit le 18/01/2024 à 21:38
Signaler
Pour obtenir de l'hydrogène vert, il faut a priori de l'électricité ... verte. Il est techniquement possible d'utiliser des sources intermittentes comme le solaire ou l'éolien, mais la production se fera suivant les caprices de la météo, de plus les ...

à écrit le 16/01/2024 à 18:49
Signaler
L'hydrogène vert donc par électrolyse de l'eau est nécessaire pour verdir des processus chimiques ou métallurgiques qui utilise soit du coke, soit de l'hydrogène issus des hydrocarbures. Mais pour faire rouler des voitures, c'est une aberration écono...

le 16/01/2024 à 22:14
Signaler
Les coefficients ont changé. L'électrolyse à 85% de rendement arrivera vers 2026 et les petits projets feront encore mieux avec des piles sèches associées à un séparateur de gaz. Les meilleures piles à combustible font environ 50% de rendement et les...

à écrit le 16/01/2024 à 14:32
Signaler
L'hydrogène vert est une escroquerie intellectuelle, comme quand on parle de biocarburant pour ne pas oser dire agrocarburant dans une planète qui n'arrive déjà pas à nourrir ses 8 milliards d'habitants.

à écrit le 16/01/2024 à 13:29
Signaler
Bonjour, comme toujours certains ons crû a la bonne affaire.... Certe l'hydrogène est un bon combustible, mais sa fabrication en grande quantité a un prix compétitif est une autre affaire... Donc , je crois que la fin des énergies fossiles ne soit ...

à écrit le 16/01/2024 à 10:55
Signaler
Finalement un article qui dissipe un peu d'illusions sur l''hydrogène. Dans 90% des cas les batteries sont nettement plus efficaces, économes. Les gazoducs pour l'hydrogène sont une gage d'inefficacité énergétique et un non-sens économique et écologi...

à écrit le 16/01/2024 à 9:23
Signaler
yakafokon

à écrit le 16/01/2024 à 8:40
Signaler
Si vous aviez un jour mis les pieds dans une salle d'électrolyse, vous comprendiez pourquoi l'hydrogène que vous apppelez improprement vert n'est qu'un moyen sophistiqué de pomper dans les finances publiques . Désolé mais le seul hydrogène qui est vr...

le 16/01/2024 à 18:43
Signaler
Ah bon ! Moi je suis rentré plus d'une fois dans une salle d'électrolyse. J'en ai même construit et démarré de telles installations. Je ne comprends pas ce vous nous racontez. Certes l'hydrogène vert est un gouffre économique, mais de là à dire que l...

à écrit le 16/01/2024 à 8:28
Signaler
Au lieu d'étudier la chose de A à Z, cela préfère nous raconter que l'avenir est rose pour ensuite mettre le désespoir en route... c'est la manipulation des masses ! ;-)

à écrit le 16/01/2024 à 8:27
Signaler
Nos dirigeants sont nuls.

à écrit le 16/01/2024 à 7:04
Signaler
Ici, les acteurs utilisant l'hydrogene se sont federes pour precisement diminuer les couts. C'est en Coree du Sud, les gens reflechissent et sont solidaires malgre la durete du systeme ultra liberal. Ce qui tue la France, c'est l'individualisme, l'e...

le 16/01/2024 à 16:22
Signaler
Ben oui, les Français sont majoritérement égoïstes, envieux et obnubilités par l'argent. Il faut faire avec.

à écrit le 16/01/2024 à 6:45
Signaler
L'hydrogène vert n'existe pas. L'hydrogène n'est qu'un vecteur de l'énergie, avec en plus des pertes importantes

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.