La relance du nucléaire, comprenant la construction d'au moins six nouveaux réacteurs de type EPR2 mais aussi le déploiement de mini centrales modulables, pourrait être propice au développement de fraudes au sein de la chaîne d'approvisionnement de la filière nucléaire. C'est la crainte qu'a partagée, ce mardi, Bernard Doroszczuk, le président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), à l'occasion de la présentation de ses vœux à la presse. « La lutte contre les falsifications et les contrefaçons à tous les niveaux de la chaîne doit rester un point majeur de vigilance pour toute la filière », a-t-il souligné dans son propos liminaire.
En 2023, le gendarme du nucléaire a recensé 43 situations de falsification ou de fraude, après avoir réalisé des investigations à la suite de déclarations faites par les exploitants et les fabricants, ou de signalements réalisés via un système d'alerte ad hoc. Des fraudes avérées ont même donné lieu à trois signalements auprès du procureur de la République.
Des résultats d'essais modifiés... aux puces électroniques non conformes
Les cas possibles de fraudes sont variés. Cela peut être « des résultats d'essais qui sont modifiés pour pouvoir être déclarés conformes », a illustré le président de l'ASN. D'autres cas ont été identifiés sur la fourniture de puces électroniques. Lors d'essais complémentaires, « les exploitants ont découvert que les puces n'étaient pas câblées de façon conforme », a rapporté Stéphanie Guénot Bresson, qui a récemment rejoint le collège de l'ASN en tant que commissaire.
« Sur la contrefaçon, j'insiste beaucoup sur ce point car nous sommes dans un contexte où les projets vont considérablement augmenter. Le fait de lancer un programme de six EPR2, voire plus, le fait de développer des projets de AMR [petits réacteurs nucléaires avancés, ndlr] et SMR [petits réacteurs nucléaires modulaires, ndlr], ça va mettre la filière nucléaire en tension avec une fourniture de plus en plus grande, avec des plannings qui peuvent être en tension eux-mêmes avec la volonté de faire vite.(...) Attention que cet engouement ne se traduise pas par un certain nombre d'opérations (...) de contrefaçon, d'irrégularités et de fraudes dans la filière nucléaire », a mis en garde Bernard Doroszczuk.
Pour prévenir ces risques, le gendarme du nucléaire prévoit dans son programme d'inspection 2024 un « volet risque de falsifications », qui sera combiné « à des inspections dans le domaine des facteurs organisationnels et humains ».
« Nous voulons davantage comprendre ce qui pourrait conduire soit une personne, soit une organisation à falsifier ou à cacher quelque chose », a expliqué le président de l'ASN. « Cela peut être lié à des contraintes temporelles ou au silence organisationnel ; on ne dit pas les choses car on a peur qu'en le disant on en subisse les conséquences », a-t-il exposé.
Une surveillance « en cascade » non efficiente
Dans ses travaux d'investigation, le gendarme du nucléaire doit en premier lieu distinguer « ce qui correspond à des erreurs et ce qui relève d'une volonté de falsifier, de volontairement déclarer quelque chose qui n'est pas juste », a précisé Bernard Doroszczuk.
Car au-delà des seuls cas de fraudes, l'ASN a identifié un sujet plus général relatif à la surveillance au sein de la chaîne d'approvisionnement, « qui est une obligation de l'exploitant et de ses sous-traitants » via un système « en cascade ». Concrètement, l'exploitant est responsable de la surveillance de ses fournisseurs de rang 1 et les fournisseurs de rang 1 sont, eux-mêmes chargés de contrôler les sous-traitants de rang 2, etc.
Suite à une campagne d'inspection effectuée sur la totalité de la chaîne d'approvisionnement, l'ASN a ainsi constaté que certaines entreprises réalisent des équipements nucléaires, sans même savoir que ces équipements sont destinés à l'industrie nucléaire. « On le sait dans le rang 1, on le sait à moitié dans le rang 2, dans le rang 3 on ne le sait plus », a résumé Bernard Doroszczuk, qui déplore « un manque de rigueur dans la totalité de la chaîne de sous-traitance » et une surveillance en cascade non efficiente. « Il faut que la totalité de la chaîne ait connaissance des exigences à respecter. C'est possible mais il faut se mobiliser », a-t-il conclu.
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