Climat : les forêts françaises en péril

Emmanuel Macron a promis de planter 1 milliard d’arbres d’ici à 2032. Les acteurs du secteur doutent que cela suffise. Enquête à La Motte-Servolex, en Savoie.
Une forêt située à 45 kilomètres de La Motte-Servolex, en Savoie.
Une forêt située à 45 kilomètres de La Motte-Servolex, en Savoie. (Crédits : ⓒ Copyright (c) 2023 SYLVAIN FELTEN/Shutterstock. No use without permission.)

Il est né à la fin du XIXe siècle, à l'heure où la France faisait son entrée fracassante dans la révolution industrielle. Il a connu les deux guerres, les Trente Glorieuses, les débuts de la Ve République. Pourtant, à sa triste manière, il nous raconte une tout autre histoire : celle des bouleversements de la nature au gré de l'avancée de l'urbanisation, du règne de la voiture et de la surconsommation.

Car ce magnifique sapin pectiné, haut de 37 mètres, vient de faire une « descente de sève », soit en termes plus techniques un « houppier de l'arbre qui sèche », annonciateur de sa fin prochaine. « L'arbre président » - c'est ainsi qu'on le surnomme ici, à La Motte-Servolex, commune de 13 000 habitants en Savoie - crève de soif et sa mort annoncée témoigne des immenses difficultés de la forêt face au changement climatique. Partout en France, les arbres jaunissent, rougissent, perdent leurs feuilles, les épines des résineux changent de couleur. Profitant de leur affaiblissement, les parasites les attaquent. Et par dizaines de milliers, ils meurent.

Explosion de bois mort

Il y a tout juste un an, le 28 octobre 2022, dans cette petite ville en banlieue de Chambéry, Sébastien Laguet, technicien forestier et membre des réseaux naturalistes ONF, monte en forêt accompagné de Luc Berthoud, le maire (divers droite), et d'Anthony Perrin, employé municipal chargé de l'environnement, diplômé d'un master 2 en écologie. Sébastien veut leur montrer « l'impact du dépérissement » dans cette forêt communale de plus de 500 hectares. En chemin, effarés, ils recensent les nombreuses zones où il a fallu abattre par dizaines des arbres morts. « On est submergés », s'alarme le forestier. Même des jeunes sont touchés, certains avant qu'ils aient pu produire leurs graines, empêchant la régénération naturelle. L'équilibre des lieux est désormais menacé.

Et cette explosion de bois mort et donc sec inquiète pour la sécurité des randonneurs comme pour les incendies. Mais surtout, c'est notre puits de carbone qui disparaît : en dix ans, la capacité de stockage des écosystèmes forestiers a été divisée par deux. Alors, au retour de cette triste randonnée, devant le désastre annoncé, le maire leur confie sa décision de planter 13 000 arbres au cours de la décennie, un par habitant. « Notre forêt allait s'écrouler sur elle-même, détaille-t-il. Il fallait un vaste plan de régénération. » Le soir même, le trio découvre l'annonce faite par le président de la République, depuis l'Élysée, de planter « 1 milliard d'arbres en dix ans », soit 10 % de la forêt française. En cet automne 2022, juste avant la COP27 en Égypte, chefs d'État et entreprises rivalisent de promesses. L'arbre, solution universelle au changement climatique...

On accompagne, on répare, car on ne peut plus laisser la nature faire seule

Anthony Perrin, employé municipal

« Mais quoi planter, où, pour quels effets, avec quelles incitations et surtout pour quel suivi ? interroge Luc Berthoud. Les enjeux sont tels qu'il ne faut pas que des chiffres, mais une méthode. Je ne l'ai pas entendue. »

L'épicéa, le roi des Alpes du Nord, est déjà condamné.

Un an plus tard, elle est toujours en cours d'élaboration au ministère de l'Agriculture. Surtout, rappelle Anthony Perrin, l'employé municipal, « il faut repeupler parce que la forêt est malade, pour maintenir le puits carbone, pas pour compenser les coupes rases destinées à l'industrie du bois ». Pour l'instant, c'est l'inverse : selon l'association Canopée, 87 % des projets financés entre 2020 et 2022 par le plan de relance impliquent des coupes rases et 83 % concernent des plantations en monoculture, qui sont plus exposées aux parasites et plus vulnérables aux incendies. Alors qu'il faudrait d'abord aider les vieilles forêts et leurs essences diverses : elles stockent bien mieux le carbone et l'eau, protègent davantage la biodiversité et sont beaucoup plus résilientes. La Motte-Servolex n'a d'ailleurs pu en bénéficier - plus de 5 000 mètres carrés de surface rasée sont nécessaires pour être éligible -, ce qui privilégie donc les coupes rases. La commune a dû faire appel à des mécènes pour boucler le financement des 40 000 à 50 000 euros par an pendant dix ans que représentent leurs 13 000 arbres. Tous leurs plants doivent être protégés et suivis sur au moins trois ans pour éviter notamment qu'ils ne servent de repas aux chamois. Il faut multiplier jusqu'à trois fois les 2 à 3 euros que coûte un arbre planté sans protection. Sans assurance qu'il survive. Car avec un réchauffement beaucoup plus rapide que prévu, bien malin celui qui pourra prédire quels arbres tiendront sur la durée. Seule certitude, l'épicéa, le roi des Alpes du Nord, est déjà condamné.

Dans la forêt de La Motte-Servolex, sa disparition progressive créée des « trouées climatiques ». Pour éviter de garder des clairières ouvertes où le sol mis à nu se minéralise, laissant échapper le carbone qu'il séquestrait jusque-là, Sébastien Laguet compose des « bouquets » d'arbres en mosaïque en mélangeant des essences existant sur le territoire mais que l'on trouve peu en forêt, comme les fruitiers sauvages qui feront des fleurs pour les insectes et des fruits pour tout le monde, avec des tilleuls ou des érables, appréciés des abeilles, et d'autres essences qui poussent plus bas, comme le châtaignier ou le chêne. Il imite, pour ces derniers, le travail de l'écureuil, qui, en piquant des fruits pour les cacher plus loin, aurait progressivement introduit ces espèces plus haut dans la montagne. Il y ajoute expérimentalement des plants issus d'ormes ayant survécu aux attaques de la graphiose et tente d'implanter des résineux réputés pour leur résistance aux sécheresses - mélèze d'Europe, pin sylvestre -... en croisant les doigts pour qu'au moins une de ces espèces supporte l'effet du réchauffement climatique. « On accompagne, on répare, car on ne peut plus laisser la nature faire seule, assure Anthony Perrin. Face notamment à l'emballement du réchauffement, elle accomplit ce travail trop lentement. »

Pour atteindre le milliard d'arbres, il faudrait 100 000 pieds par an, soit 2,5 fois plus que la production actuelle, qui est très peu diversifiée puisque très liée à l'industrie. Dans le cadre des programmes de France Relance, la première essence plantée est le douglas, un résineux exotique, utilisé essentiellement en monoculture pour une exploitation intensive. Sur le court terme, la rentabilité est assurée mais, faute de vision, ce puits de carbone si crucial pourrait disparaître voire, comme c'est déjà le cas dans le Grand-Est, émettre plus de CO2 qu'il n'en capte. « Nos forêts ne sont pas que des arbres », disaient, dès 1973, en se révoltant contre leur exploitation commerciale, des villageois en Inde groupés dans le mouvement Chipko.

« Pour les entreprises forestières, comme pour le président, une forêt, c'est un arbre plus un arbre plus un arbre, rappelle l'historien de l'environnement Grégory Quenet. Or l'arbre n'a aucune utilité s'il n'est pas lié à des usages, lutter contre l'érosion, le vent, faire société... Une forêt, c'est l'identité d'une communauté, les animaux qu'on y envoie manger, la cueillette, le bois, et tous les êtres qui la peuplent. Reboiser en ne faisant que compter les arbres n'a aucun sens. »

Et si, partout en France, les enjeux liés au réchauffement imposent de réinventer toute l'économie forestière, le plus souvent on s'y refuse encore : la rentabilité à court terme prime toujours la survie de ces écosystèmes. Mais quelques îlots de résistance voient le jour. En France, pour 1 euro dépensé dans la forêt, elle en rapporte en moyenne 1,20. « Ici, on fait le contraire, assure le maire de La Motte-Servolex, nous dépensons quatre à cinq fois plus qu'on ne gagne. » La commune, qui vient d'être récompensée au concours « Capitale française de la biodiversité », a mis en place une politique pour étendre le reboisement aux exploitations agricoles, aux espaces verts et même aux jardins de particuliers ! « Il faut retrouver du bon sens, explique le maire. Pour rafraîchir leurs vaches, des agriculteurs les mettent dans des hangars, alors qu'il n'y a rien de mieux que l'abri des arbres... »

Sébastien Laguet, comme « tous les forestiers », avait ce rêve : celui de transmettre à ses successeurs « une forêt encore plus belle » que celle qu'il avait trouvée en prenant son poste. Depuis près de trois décennies qu'il travaille à l'ONF, il a vu diminuer investissements et effectifs (- 38 % en vingt ans) alors même que, dans un contexte désormais très incertain, les enjeux ont été démultipliés. « Aujourd'hui, je ne suis plus sûr de pouvoir leur transmettre quelque chose qui ressemblera à une forêt », confie-t-il tristement. Comme un médecin d'un hôpital dont le nombre de malades aurait explosé. ■

54%

Augmentation de la mortalité des arbres en dix ans

0,9%

Part de la valeur ajoutée de la filière bois dans le PIB en 2018. Cette même année, elle mobilisait 0,7 % de la population active

75%

Du couvert forestier français est aujourd'hui privé

10%

de forêts seulement pourraient faire l'objet d'actions de renouvellement dans les dix prochaines années, à cause de la répartition de la propriété. Cela représente10 milliards d'euros d'investissements pour les propriétaires
forestiers. Sur ces 10 %, sur dix ans, il faudrait entre 900 millions et 1,1 milliard de plants, en plus de ceux assurant le renouvellement habituel et le boisement de terres délaissées.

70 % des haies arrachées depuis 1950

Elles datent du Moyen Âge, quand il fallait délimiter les champs, et longtemps elles ont dessiné les paysages de bocage. Depuis 1950, avec la mécanisation de l'agriculture, le remembrement agricole et le déclin de l'élevage en plein air, 70 % des haies ont été arrachées, soit 1,4 million de kilomètres. Malgré la réforme, en 2013, de la politique agricole commune qui les protège, leur disparition s'accélère depuis 2014, à raison de plus de 20 000 kilomètres supprimés chaque année. Or ces alignements d'arbres et d'arbustes, souvent fruitiers, stockent du carbone, de l'eau, permettent de lutter contre l'érosion des sols et de limiter l'effet du vent qui assèche les champs. Ils constituent un réservoir de biodiversité et assurent la continuité écologique. Face à leur importance dans la lutte contre le changement climatique, le ministre de l'Agriculture vient d'annoncer un « pacte en faveur de la haie » doté de 110 millions d'euros dès 2024, pour « obtenir un gain net du linéaire de haies de 50 000 kilomètres d'ici à 2030 ». Difficile pourtant d'imaginer leur retour sans une remise en question de notre modèle agricole productiviste. ■

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 9
à écrit le 29/10/2023 à 19:32
Signaler
L’humanite en péril.....quand l’humanite aura la terre reprendra le dessus L’humain n’aura été qu’un micro évènement dans la longue vit de la terre...8 milliards d’annee!

à écrit le 29/10/2023 à 19:31
Signaler
L’humanite en péril.....quand l’humanite aura la terre reprendra le dessus L’humain n’aura été qu’un micro évènement dans la longue vit de la terre...8 milliards d’annee!

à écrit le 29/10/2023 à 13:52
Signaler
Demarchesadministratives.fr - Comment a benificier de l'aide pour le chauffage au bois- ..... De hyphocrise, d'amaturisme ou des messonges du gouvernement?

à écrit le 29/10/2023 à 11:34
Signaler
"Dans le cadre des programmes de France Relance, la première essence plantée est le douglas, un résineux exotique, utilisé essentiellement en monoculture pour une exploitation intensive" "selon l'association Canopée, 87 % des projets financés entr...

à écrit le 29/10/2023 à 10:50
Signaler
Bah si on veut sauver notre forêt, il faudrait penser à arrêter l'immigration

le 29/10/2023 à 13:31
Signaler
Et surtout limiter les naissances. Mais meme les ecologistes ne s'arretent pas de se multiplifier. L'empreint ecologique d'un humain a plus d'impact sur le climat et les ressources du planet qu'un vache.

à écrit le 29/10/2023 à 10:41
Signaler
Comment bénéficier de l'aide pour le chauffage au bois ? demarchesadministratives.fr

à écrit le 29/10/2023 à 9:50
Signaler
Ensuite nous nous sommes faits envahir artificiellement par les résineux alors que la France est d'abord un pays de feuillus.

à écrit le 29/10/2023 à 9:49
Signaler
s il n y avait que la forêt en péril. ! l image de notre politique en échec

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.