Climat : la station de Métabief invente la vie sans neige

Métabief, une petite station du Jura, a réfléchi plus tôt que les autres à une alternative au ski. Les solutions ne sont pas toutes trouvées, mais déjà se dessine une nouvelle manière d’envisager la montagne.
La station de Métabief invente la vie sans neige.
La station de Métabief invente la vie sans neige. (Crédits : © Franck LALLEMAND/ER/MAXPP)

D'ici à 2035, c'est-à-dire demain, il faudra démonter les téléskis et remiser les perches. Après des années d'hésitation, à Métabief, il a fallu s'armer de courage pour se résoudre à organiser... l'après-ski. Voilà longtemps déjà que cette station du Haut Doubs, entre 900 mètres et 1423 mètres d'altitude, vit sous perfusion d'argent public. Les mauvaises années, celles sans enneigement suffisant, ont commencé dès 1989. Mais à l'époque, hors de question de remettre en question ce modèle du « tout ski » qui, depuis les Trente Glorieuses, a envahi les montagnes de France. Au contraire! Dans les années 2000, le manque de neige a entraîné la ruée sur la neige artificielle. Une « solution miracle » pour prolonger l'usine à cash de ces territoires enclavés et jusqu'alors pauvres. À Métabief, en 2013, une retenue d'eau - alimentée par l'eau pompée dans une source 500 mètres plus bas - a ainsi été construite au sommet du Morond pour la bagatelle de 6,5 millions d'euros. Les données, notamment de Météo-France, annonçaient déjà l'incapacité de fonctionner des canons à neige dans un avenir proche pour cause de températures trop douces! Mais avec les dizaines de millions d'euros déjà déversés pour l'équipement et l'entretien des remontées, une sorte d'engrenage infernal était en place... « Chaque demande de financement était présentée avec des prévisions exceptionnelles de fréquentation et des documents explicatifs de cabinets privés », se remémorait l'élu LR Alain Margue lors d'une séance du conseil général. Une fuite en avant où les subventions épongeaient les déficits.

En 2015, ce sont encore 15 millions d'euros qu'il faut trouver pour un télésiège débrayable. « Les scientifiques du Giec alertaient déjà sur le réchauffement planétaire, mais ils passaient encore pour des écolos opposés au développement », se souvient Philippe Alpy, président du Syndicat mixte du mont d'Or (SMMO). Cet élu Horizons est convaincu que la station est condamnée. Le directeur du syndicat, Olivier Erard, glaciologue de formation, l'est aussi. À eux deux, ils s'emploient alors à démontrer aux acteurs locaux qu'il est temps d'ouvrir une nouvelle page pour leur massif. « Olivier Erard nous a montré piste par piste où il resterait de la neige à horizon 2035, se souvient Gérard Dèque, le maire de Métabief. On a compris qu'on ne pourrait jamais amortir le télésiège. Ce constat financier a enclenché la réflexion sur la fin du ski. Un choix douloureux.

Avant, c'était la station qui faisait le territoire; maintenant, il faut que ce soit l'inverse

Claire Leboisselier, chee de projet au SMMO

Toute l'identité du Haut Doubs s'est construite sur l'or blanc. Ici, le ski représente non seulement une culture, mais aussi une histoire. De nombreux champions de ski nordique sont originaires de cette terre où les enfants apprennent à l'école l'art du fond. « Ces stations vivent du ski et par le ski, rappelle Emmanuel Salim, maître de conférences en géographie à l'université de Toulouse. Arrêter, c'est comme se tirer une balle dans le pied! » Philippe Alpy se souvient de cette année 2015: « On est passés pour les vilains qui annonçaient la fin. » Car à la place des 15 millions prévus pour le télésiège, la station décide d'en dépenser deux pour un système innovant permettant d'utiliser plus longtemps les installations existantes. Le département et le SMMO instaurent dès 2020 un plan « pour la mise en œuvre, d'ici à 2030-2035, d'une nouvelle économie touristique sur le territoire du Haut Doubs afin de compenser, au mieux, le remplacement de l'activité "neige" ». La fin du ski est donc programmée pour 2035 maximum. L'emballement du réchauffement planétaire comme les crises qui se sont depuis succédé - le Covid puis le renchérissement de l'énergie (la facture d'électricité de la station est passée de 260000 euros à 1,2 million d'euros l'hiver dernier)... - leur ont donné raison. Métabief, en officialisant à mots couverts sa sortie du ski, a ouvert une nouvelle voie.

L'enjeu est crucial. Le ski assure 90 % des revenus de la station et 50 % de ceux générés par le tourisme dans le Haut Doubs. Selon les budgets prévisionnels, les 36 millions d'euros annuels que rapportent le ski alpin et le ski nordique seront divisés par cinq quand la neige aura disparu. Comment vivre demain avec cinq fois moins? « Sans le tourisme, rappelle le maire, il n'y a ni restaurants, ni agence postale, ni épiceries, ni commerces de proximité. C'est grâce à lui qu'on a pu construire un cinéma. » Claire Leboisselier est arrivée au SMMO il y a deux ans comme cheffe de projet transition tourisme et loisirs. « Avant, c'était la station qui faisait le territoire; maintenant, il faut que ce soit l'inverse, dit-elle. Il faut penser la transition sur tout le Haut Doubs. » Elle a commencé par animer un premier atelier, avec une centaine de personnes, pour qu'ils « s'approprient le diagnostic ». Une tâche complexe - personne ne veut regarder la réalité en face. D'autres ateliers ont suivi. « On travaille pour construire un récit acceptable afin de définir ensemble un plan d'action », explique-t-elle. De l'« ingénierie relationnelle » indispensable pour imaginer un autre avenir.

LE SKI EN FRANCE
350 stations
18 000 emplois directs ou indirects
120000 emplois saisonniers
20milliards d'euros de retombées économiques à l'année liées au tourisme en montagne
1mois d'enneigement en moins dans l'ensemble des Alpes en basse et en moyenne altitude depuis un demi-siècle
4000m3 d'eau sont nécessaires pour produire 1hectare de neige artificielle

Les projets ne manquent pas. Élus et acteurs locaux misent sur le VTT (les quatrièmes championnats du monde ont eu lieu sur ces pentes en 1993), sur une « luge quatre saisons », et ils créent des sentiers de randonnée, un Ultra Trail des montagnes du Jura. Ils mettent aussi en avant les lacs pour la baignade, la production de comté et de mont d'or, le château de Joux symbole de la lutte contre l'esclavage... En croisant toujours les doigts pour des hivers enneigés. « On continue le ski tant qu'on peut, confirme le maire. Sans lui, on ne pourra pas investir sur l'été. » Les loueurs le savent : leur capacité de reconversion et notamment l'achat de coûteux VTT dépendent encore du chiffre d'affaires de la saison d'hiver. Et c'est même une taxe sur les remontées mécaniques qui finance le « pôle ingénierie » consacré à la réflexion sur la reconversion, comme une partie d'une thèse sur les conflits d'usage dans le massif du mont d'Or. Ceux-ci, face au manque d'eau dans un monde plus chaud, risquent de se multiplier.

La sécheresse est déjà là. Cette année, sur ce sol karstique qui ne retient pas l'eau, elle s'est invitée de février à la fin octobre. Un record. Sur cette terre où elle est née, Claire Guyon témoigne que, dans l'alpage où elle vit l'été avec ses neuf vaches et des génisses qu'elle prend en pension, pour la première fois cette année la réserve du chalet a été à sec. Déjà on s'inquiète pour le niveau et les températures du lac de Saint-Point, l'un des plus grands lacs d'eau douce de France, épargné pour l'instant par la pullulation de bactéries (les cyanophycées favorisées par la chaleur) qui rendent la consommation d'eau et la baignade dangereuses. Mais jusqu'à quand? L'industrie forestière, de son côté, est confrontée à la surmortalité massive des épicéas. En 2022, un incendie sans précédent a ravagé une partie du massif du Jura. Et l'immense retenue d'eau pour la neige artificielle est de moins en moins acceptée. « On ne peut plus continuer à saccager comme ça la montagne et à faire des projets idiots au détriment de la nature », dénonce François Devaux, administrateur de la Commission de protection des eaux, du patrimoine, de l'environnement, du sous-sol et des chiroptères de Franche-Comté, une association qui a porté plainte contre cette « bassine ». Les vives oppositions que déclenchent aujourd'hui ces investissements, ici mais aussi dans les Alpes, témoignent de ces tensions naissantes.

Après avoir longtemps été montrés du doigt pour avoir osé réfléchir à la fin du ski,
les responsables du SMMO sont désormais sollicités par des confrères d'autres stations.
Beaucoup pensent encore compenser la disparition de l'or blanc par des loisirs toujours consommateurs en ressources et en espaces naturels. Ici, ils savent déjà que rien ne remplacera « l'usine à cash qu'est la neige », comme le dit Philipe Alpy: « On ira vers la randonnée, la balade, la contemplation, des activités avec moins de consommation matérielle où le marketing et le business seront peut-être moins violents. Mais il ne faudra pas comparer les chiffres d'affaires. » En 2017, devant la source du Doubs, un météorologue avait dépeint ce territoire en 2050. « Il nous avait dit: "Imaginez le paysage de Montpellier, vos beaux sapins remplacés par des essences méditerranéennes", se souvient le président du SMMO. Aujourd'hui, tous les élus qui étaient présents comprennent que ça va deux fois plus vite qu'annoncé. » Le maire de Métabief aime, lui, rappeler ce proverbe du coin: « Dans le Haut Doubs, il n'y a qu'un mois où on a froid, c'est le mois d'août parce qu'on coupe le chauffage! » La fraîcheur propre à ces montagnes sera peut-être une de leurs planches de salut.

La fin des sports d'hiver ?

Fin août, la revue Nature Climate Change publiait les recherches de scientifiques travaillant notamment à Météo-France, au CNRS, à l'Inrae sur 2234 stations de ski dans 28 pays européens. Avec un réchauffement de 2 °C à l'échelle mondiale, 53 % d'entre elles feraient face à un risque « très élevé » de manque de neige. À 2 °C de plus, 98 % seraient menacées. La neige artificielle sur la moitié des pistes permettrait d'abaisser ce très fort risque. Mais la meilleure manière serait encore de maintenir le réchauffement sous la barre des 1,5 °C: seules 4 % des stations des Alpes françaises seraient alors touchées. Un cercle vicieux, car le ski participe pleinement au réchauffement: 80 % des émissions de gaz à effet de serre liées au tourisme dans la vallée de Chamonix sont dues aux déplacements nécessaires pour l'atteindre...

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