Vaches, huîtres et coraux connectés : la biosurveillance à la rescousse du changement climatique

DECRYPTAGE. Pour stopper un effondrement sans précédent du vivant, des startups et des chercheurs misent sur la biosurveillance aux quatre coins du pays. Les vaches, les abeilles, les huîtres et même le corail sont désormais connectés à l'aide de micro capteurs et les avancées de l'intelligence artificielle permettent de détecter la moindre dégradation de la santé des animaux ou de leur environnement.
Les vaches, les abeilles, les huîtres et même le corail sont désormais connectés pour détecter la moindre pollution du milieu ou la dégradation de la santé des animaux.
Les vaches, les abeilles, les huîtres et même le corail sont désormais connectés pour détecter la moindre pollution du milieu ou la dégradation de la santé des animaux. (Crédits : Centre Scientifique de Monaco)

« C'est un enjeu mondial et colossal malheureusement sous-estimé. Nous faisons face à un effondrement invisible de la biodiversité des pollinisateurs. Si les abeilles ne trouvent pas de quoi se nourrir dans les environs de la ruche, elles vont mourir. Or, 75 % des fruits, légumes, graines que l'on consomme ont besoin de pollinisation donc nous ne pourrons pas manger », alerte Christian Lubat, président de Beeguard.

Des alertes en cas de surmortalité des abeilles

Chaque année en France, 30 % des colonies d'abeilles disparaissent, selon l'Unaf, l'Union nationale de l'apiculture française. Un phénomène inquiétant dont s'est saisie la startup toulousaine Beeguard. Fondée en 2016, cette dernière affiche plus de 6.000 ruches connectées au compteur. Un boîtier connecté est mis à l'intérieur de la ruche, il permet de détecter la température interne et centralise les informations d'autres capteurs. Un détecteur de poids permet notamment à l'apiculteur de savoir à distance si les abeilles ont travaillé.

Depuis deux ans, la société commercialise aussi un compteur d'abeilles vidéo relié à des algorithmes d'intelligence artificielle capables de reconnaître des abeilles et les traquer en continu sur la planche d'envol. Une abeille qui ne revient pas de sa mission de butinage est effectivement considérée comme morte. Et si un seuil de surmortalité est atteint, une alerte est envoyée au propriétaire de la ruche. Dès lors, il sait que le niveau de pression de la pollution sur l'environnement de sa ruche est trop important et peut agir pour sauver le reste de la colonie.

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200.000 vaches connectées

En l'espace de quelques années, cette biosurveillance s'est généralisée à une multitude d'espèces. La société montpelliéraine ITK a équipé 200.000 vaches sur le territoire français d'un collier connecté placé autour de cou. À partir de ce capteur, ITK analyse les mouvements des bovins et détecte aussi bien les troubles de l'alimentation, le stress thermique ou les périodes de vêlage.

L'enjeu est là aussi de taille. La multiplication des périodes de vagues de chaleur et de canicules sont à l'origine d'une diminution du bien-être animal qui se répercute sur la production laitière et le taux de reproduction. Sur l'année 2020, quatre millions de litres de lait ont ainsi été perdus par les éleveurs français à cause du stress thermique. Des pertes colossales quand on sait que l'équilibre économique des producteurs laitiers est extrêmement précaire.

Les solutions connectées comme celles développées par ITK deviennent un must have pour les exploitants agricoles. « La performance économique est extrêmement tendue. Il est donc nécessaire de suivre et d'anticiper le comportement de certains animaux dans un troupeau pour améliorer la performance des exploitations », avance Henry Bruneau, directeur général d'ITK. La société a d'ailleurs été rachetée en novembre dernier par la grande coopérative bretonne Innoval, qui livre des services en amont de l'élevage. « Cette coopérative est convaincue que ses adhérents ont besoin d'outils performants pour travailler de façon de plus en plus efficace et écologique », commente le DG.

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Des économies en détectant en amont une pollution de l'eau

Sur la côte Atlantique, ce sont les mollusques, qui ont sont au cœur des travaux de la startup Molluscan et plus précisément ceux dotés d'une double coquille : huîtres, moules... La société pose des électrodes, qui pèse moins d'un gramme chacune, sur les mollusques pour détecter par exemple les micro-mouvements et l'amplitude d'ouverture des coquilles, la vitesse du muscle ainsi que la croissance des animaux à partir de la couche de nacre ultra fine de quelques micro millimètres déposée à chaque nouvelle marée. « La technologie permet d'atteindre ce niveau de précision inobservable à l'œil nu et d'apporter une surveillance 24h sur 24 sans déranger l'animal. Ce dernier ne sait pas qu'il est observé puisque les électrodes font moins d'un gramme en dehors de l'eau », décrit Ludovic Quinault, CEO de Molluscan.

Au-delà de l'état de santé des mollusques, les capteurs offrent un baromètre en temps réel de la qualité de l'eau dans laquelle évoluent les coquillages. Bien plus efficace que les fastidieux prélèvements d'eau pour des analyses en laboratoire.

« Nous allons être en mesure de détecter une pollution très en amont et donc éviter les coûts associés qui sont faramineux. Une fois qu'une pollution est arrivée sur un cours d'eau ou un littoral, avec en plus les opérations de nettoyage, les conséquences se chiffrent en millions d'euros », pointe Ludovic Quinault.

Un argument qui a déjà conquis le grand port maritime de Bordeaux, mais aussi des ports de plaisance sur la Côte d'Azur, des ostréiculteurs de l'île d'Oléron et de l'étang de Thau.

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Sauver le vivant

Du côté des apiculteurs aussi, la biosurveillance des ruches est perçue comme une solution pour garantir l'équilibre économique du vivant. « Aujourd'hui en Californie (plus grand producteur mondial d'amandes), la mortalité des colonies d'abeilles culmine à 50 %. Or, sans pollinisation pas de culture d'amandes. Les agriculteurs louent des ruches à des apiculteurs qu'ils vont payer 200 dollars pièce. Mais ceci n'est qu'une solution de court-terme face à l'effondrement de la biodiversité », souligne Christian Lubat. Le cofondateur de Beeguard plaide davantage pour créer un équilibre agroécologique en plantant des haies ou en semant des couverts végétaux qui vont apporter de la nourriture à tout les pollinisateurs, et donc plus à même de survivre à proximité des cultures.

Depuis Monaco, c'est le corail que cherchent à sauver des chercheurs du CSM (centre scientifique de Monaco). Les récifs coralliens du monde entier (de la Grande barrière de corail située au large de l'Australie aux Seychelles au large de l'Afrique de l'Est) sont menacés de disparaître complètement d'ici 2050 si les émissions de carbone ne diminuent pas suffisamment pour ralentir le réchauffement des océans. D'où l'idée du CSM de créer un conservatoire mondial du corail. « Nous étiquetons le corail grâce à une puce RFID qui permet d'identifier la position géographique du corail et la profondeur des eaux », décrit Didier Zoccola, chargé de recherche au Centre scientifique de Monaco.

Les chercheurs sélectionnent une portion de chaque type d'espèces de corail à travers le monde qui sont étudiées en suite en laboratoire pour sélectionner in fine les espèces les plus résistantes au changement climatique qui seront transplantées dans le milieu d'origine. « Cela prend du temps mais ce sera toujours mieux qu'un désert sans corail », conclut Didier Zoccola.

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Commentaires 3
à écrit le 12/04/2024 à 7:55
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Bah on sait bien ce qui pollue et tue la vie sur terre, c'est ce système consumériste "le moins pire des systèmes" c'est cru bon de dire un énième crétin.. C'est pénible d'avoir à prendre des pincettes avec de véritables criminels. Pognon partout res...

le 12/04/2024 à 10:36
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le plus inquiétant est la passivité de la population dans cette société vulnérable entretenue et manipulée par une minorité pour intérêt personnel. !

le 13/04/2024 à 8:29
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Non c'est d'une logique implacable, la réflexion tue l'action or jamais dans l'histoire de l'humanité nous avons disposé d'un outil informatif aussi puissant qu'internet et du coup les gens cogitent. Av oir ce que cela donnera à long terme en tout ca...

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