(Article publié le 25 novembre 2023 à 14h36, mis à jour le 27 novembre à 14h)
Alors que les projecteurs sont braqués sur le dérèglement climatique à quelques jours de la 28ème conférence internationale pour le Climat, les messages d'alerte sur l'érosion de la biodiversité peinent à se faire entendre. Pourtant, le constat est sans appel : un million d'espèces animales et végétales sont menacées d'extinction dans le monde.
« C'est un déclin sans précédent, surtout par sa rapidité. Il y a eu des grandes extinctions d'espèces par le passé, mais aujourd'hui c'est 100 à 1.000 fois plus rapide. L'autre grande spécificité de ce déclin, c'est qu'il est essentiellement dû aux activités humaines », rappelle Jérôme Gestin, directeur général délégué adjoint du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN).
La France, qui regorge d'un patrimoine naturel extrêmement riche, avec quelque 200.000 espèces recensées, et 600 nouvelles décrites chaque année en majorité en Outre-mer, n'est pas épargnée par ce mouvement, loin de là.
Un recensement fondé sur l'ADN environnemental
Sur notre territoire, 43% des chauves-souris ont disparu depuis 2006 et 66% des espèces de papillons de jour se sont éteintes dans au moins un département. Pis encore, entre 2011 et 2020, la perte de biodiversité en France s'est aggravée.
La nouvelle stratégie nationale biodiversité (SNB) peut-elle changer la donne ? Avec
presque deux années de retard, celle-ci a été officiellement dévoilée ce lundi à Matignon. Toutes les quelque 200 mesures présentées en juillet dernier ont été confirmées, avec quelques ajouts. Le gouvernement a annoncé notamment le lancement d'un grand recensement national, dont la principale nouveauté consistera dans l'utilisation d'une technologie nouvelle: l'ADN environnemental. Il assure également avoir identifié trois sites qui pourraient accueillir un prochain parc national dédié aux zones humides, en Camargue, Loire et Guyane. Le choix sera annoncé au printemps.
Si l'accueil par les organisations de protection de la nature semble globalement positif face à la stratégie « la plus ambitieuse » présentée jusqu'à présent, qui sera pour la première fois pilotée par Matignon via le Secrétariat général à la planification écologique, des déceptions demeurent toutefois.
10 milliards venant des subventions néfastes
Les premières concernent la question des moyens. 414 millions d'euros par an seront consacrés à la mise en œuvre stricto sensu de la SNB jusqu'à 2030. Or, en face, 10 milliards de subventions néfastes pour la biodiversité, dont 6,7 agricoles, ont été identifiées. Le gouvernement promet leur réorientation progressive.
Une définition des modalités et du calendrier de cette reconversion, avec les mesures
d'accompagnement des secteurs économiques touchés, était donc très attendue par les défenseurs de l'environnement. Dans son avis rendu le 16 octobre, le Comité national de la biodiversité (CNB) recommandait que cette trajectoire soit publiée et mise en œuvre dès 2024, avec un objectif quantitatif à l'horizon 2030. Et la « cible 18 » de l'accord international de Kunming-Montréal signé en décembre 2022 sur la biodiversité prévoit d' « identifier d'ici 2025 les subventions néfastes (...) et les supprimer progressivement d'au moins 500 milliards de dollars par an d'ici 2030 ». « L'exercice le plus difficile, mais nécessaire », reconnaissait le 25 octobre Sarah El Haïry devant la Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat.
Ces attentes ont été déçues. Le gouvernement assure bien vouloir « les diviser par deux ». Il se limite à promettre le lancement d'un « groupe de travail » entre le ministère de la Transition écologique, le ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire et le ministère de l'Economie dès le début de l'année prochaine.
Pas d'énergies renouvelables dans les zones de protection forte
En revanche, le gouvernement a finalement tranché sur un autre sujet sensible : l'articulation entre le développement des zones dites de « protection forte », devant être préservées des atteintes liées aux activités humaines, et celui des énergies renouvelables, dont l'accélération est indispensable pour le climat. La SNB a repris « l'objectif de ne pas faire se chevaucher les zones d'accélération des énergies renouvelables et les zones de protection forte », dont la surface doit être multipliée par dix à l'horizon 2030 pour couvrir 10% du territoire. Une victoire pour les associations de protection de l'environnement, qui en avaient fait la demande.
Pour les autres activités économiques, le ministère de la Transition écologique promet une « inversion de la charge de la preuve »: seules seront autorisées celles qui démontrent ne pas avoir d'impact sur la biodiversité.
Embarquer les entreprises
Le gouvernement promet aussi de s'engager autour d'une autre brique essentielle pour atteindre les objectifs de la SNB, aux yeux des défenseurs de l'environnement: la mobilisation de l'ensemble des acteurs, et notamment des entreprises. Il s'agit d'abord d'identifier leurs dépendances et leurs pressions sur le vivant, puis de définir des actions favorables, voire un modèle économique intégrant le coût de la régénération de la nature. Problème: la biodiversité constitue encore « l'angle mort » de leur engagement environnemental, regrette la secrétaire d'Etat à la Biodiversité, Sarah El Haïry. La mobilisation en faveur du climat, dont les enjeux sont mieux compris, prend en effet souvent le dessus.
La SNB doit donc marquer le point de départ d'une réflexion collaborative avec les
entreprises jusqu'en février. Après une réunion avec les associations professionnelles dès la semaine prochaine, le travail se poursuivra par groupes sectoriels (agroalimentaire, construction, énergie, finance, textile, cosmétique, chimie) et transversaux (financement et gouvernance). Des entreprises « modèles » seront mises en avant pour montrer la voie.
Lire: Biodiversité : comment le gouvernement espère mobiliser les entreprises
Même si la démarche reste volontaire, le gouvernement compte sur la mise en œuvre d'une directive européenne, dite "CSRD" (Corporate Sustainability Reporting Directive), sur le reporting extra-financier, pour renforcer la place de la biodiversité dans la stratégie des entreprises, et donc leur responsabilité face à ses enjeux. Un « cadre global de transparence » qui devrait induire « un véritable changement », espère Sylvie Gillet, responsable du pôle biodiversité et économie de l'association Orée.
Emerveiller pour mieux protéger
Les entreprises pourront également s'appuyer sur des certificats biodiversité, développés par le MNHN, Carbone 4 et la Fondation pour la recherche sur la biodiversité. Grâce à ce « thermomètre », « un parc naturel, une collectivité, une zone urbaine pourra évaluer si telle action à un impact positif ou négatif sur la biodiversité et si cet impact est faible ou fort », résume Jérôme Gestin.
Au-delà des entreprises, le gouvernement entend accélérer la sensibilisation des plus
jeunes. La SNB fixe ainsi l'objectif de passer de 1.000 à 18.000 aires éducatives sur tout le territoire à l'horizon 2030. Déployés dans les quartiers prioritaires de la ville, ces espaces constituent de petits territoires naturels entièrement gérés par les élèves d'une école, d'un collège ou d'un lycée.
« Si on arrive à émerveiller nos enfants avec des aires éducatives, j'ai la conviction qu'on peut aller beaucoup plus loin », assurait il y a quelques semaines Sarah El Haïry devant les sénateurs.
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