« Faire du bien, c'est mon obsession » (Zaho de Sagazan, chanteuse)

ENTRETIEN - Rien ne résiste à la chanteuse de Saint-Nazaire, encore inconnue du grand public il y a un an, qui s’impose avec un premier album remarquable.
La chanteuse Zaho.
La chanteuse Zaho. (Crédits : Arno Lam)

« Bonjour, c'est Zaho. » La voix est enjouée, tonique, immédiatement reconnaissable. À l'autre bout du fil, Zaho de Sagazan, qui ne prend même pas la peine d'appeler en numéro masqué, semble en pleine forme après le « tourbillon » d'une année 2023 riche en émotions : un premier album salué par une critique unanime, une tournée marathon aussi éreintante qu'exaltante, cinq nominations aux Victoires de la musique... La météo est au beau fixe pour « la tempête » qui n'a « nulle raison d'envier le soleil » - comme elle se décrit dans La Symphonie des éclairs. En ce mardi après-midi, Zaho de Sagazan est « dans le rush » pour le montage de son nouveau clip. Elle n'en dira pas plus, histoire de ménager l'effet de surprise pour ses fans... Des fans de plus en plus nombreux tant cette native de Saint-Nazaire détonne dans l'univers parfois policé de la chanson française. Singulière, Zaho l'est assurément : par l'intensité de sa voix, qui touche au cœur et aux tripes, sa manière d'incarner ses textes avec une expressivité héritée de Brel et ses concerts incandescents qui nous transportent d'un cabaret rive gauche à un club techno berlinois. Et ce n'est qu'un début... Sa voix rayonne désormais hors de nos frontières après son couronnement lors des prestigieux Music Moves Europe Awards, où elle a décroché les prix les plus convoités, ceux du jury et du public.

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LA TRIBUNE DIMANCHE- Depuis la sortie de La Symphonie des éclairs, tout vous réussit. On peut parler d'un alignement des planètes ?

ZAHO DE SAGAZAN- Complètement. Avec mon équipe, on a donné plus de 100 concerts dans toute la France. Dans la foulée, mon album a été certifié disque d'or le 25 décembre. Le jour de Noël ! Ça ne s'invente pas... Une autre histoire, la plus belle de l'année : après avoir donné un concert à Londres, j'ai rencontré mon idole, Tom Odell, dont la musique m'a beaucoup consolée et inspirée durant mon adolescence. Tout se passe comme j'aurais pu le rêver, au point que je me dis parfois : « Ce n'est pas possible, il y a quelqu'un qui écrit le scénario. »

Vous avez fondé votre label, Disparate, pour garder le contrôle total de votre art. C'est bien vous qui l'écrivez, le scénario...

C'est vrai, mais il est tellement beau. Sur scène, je reprends La Bonne Étoile de M et ce n'est pas un hasard. Je n'ai pas de traumas à soigner tous les jours, j'ai eu la chance d'avoir des parents aimants et ouverts à l'expression, même si j'étais une petite tempête qui pleurait pour un rien et criait à bas bruit. Ils ne m'ont jamais dit de la fermer quand j'ai commencé à chanter en m'accompagnant au piano...

Vous le racontez dans La Symphonie des éclairs, quand vous comprenez qu'il est possible de sublimer votre « hypersensibilité » en un superpouvoir grâce à la musique...

J'avais cette flamme à 15 ans qui me faisait me dire : « Je vais aller loin, je veux écrire des classiques pour toucher le cœur des gens et je vais tout faire pour. » J'ignore d'où elle venait, mais j'ai bien fait de l'écouter et je suis fière d'avoir inventé cette aventure avec mon public.

« Il faut ne pas trop se regarder le nombril »

Comment évitez-vous les pièges du succès ?

On pourrait faire une conférence sur la santé mentale des artistes... Le plus important est de ne pas s'enfermer dans une solitude à cause de la pression, de la fatigue, ce qui a pu m'arriver, parfois, quand ça n'allait pas... Moi, ce qui me rend heureuse, c'est les autres, et je suis bien entourée. Ma manageuse est ma meilleure copine depuis le lycée. En tournée, mon équipe est composée à 70 % d'amis que je connaissais avant de sortir mon album. Les autres, on les a rencontrés sur la route et ils sont devenus des copains. Il faut tout simplement ne pas trop se regarder le nombril. Quand tout le monde te répète : « C'est extraordinaire, merci d'exister », tu peux vite commencer à prendre les gens de haut. Si cela m'arrivait, mon entourage serait le premier à me le faire savoir. J'ai aussi adapté mon mode de vie...

C'était nécessaire pour tenir la distance ?

Être en tournée, c'est un travail d'athlète. Il faut le savoir et ne pas trouver son énergie dans la coke ou l'alcool mais dans le sommeil, le sport et le sourire de ses amis. Au début de la tournée, on pouvait se dire : « Allez, on se prend une petite bière après le concert. » Maintenant, je vais me coucher direct. J'ai conscience de n'avoir qu'un seul corps, un seul esprit, seulement vingt-quatre heures dans une journée et tant de choses à accomplir.

Votre quotidien a changé ?

J'habite toujours à Nantes en colocation avec ma meilleure amie et je fais les mêmes choses : voir mes copains de lycée, rendre visite à mes parents et mes sœurs à Saint-Nazaire... Je n'ai aucune attirance pour le luxe, les soirées mondaines. Ce qui a changé, c'est mon agenda. On ne fait que bosser tout le temps. Et cela me va très bien. Le talent, c'est de la sueur. Je l'ai compris très jeune en observant mon père, qui est sculpteur-plasticien, travailler du matin au soir dans son atelier. C'est une inspiration... J'aime découvrir de nouveaux métiers, je me suis lancée dans la réalisation de mes clips, car j'ai besoin de tout gérer, c'est mon côté control freak.

Zaho de Sagazan.

Et l'exercice du clip vous plaît ?

C'est très stressant. Je mets un temps fou à écrire mes chansons et là je dois les habiller en quelques jours, pour toujours. Donc je ne suis jamais assez contente, mais je fais en sorte de m'amuser sur les tournages, sinon ça se voit et c'est catastrophique. Pour le clip de La Symphonie des éclairs, que j'ai coréalisé avec Bobby León, je suis devenue Peter Pan du jour au lendemain. Je danse au milieu des nuages pour m'envoler dans l'orage, comme je le raconte dans la chanson. Pour moi qui adore les films de super-héros, c'était génial, mais épuisant : dix heures de voltige harnachée à un câble, environ 150 bleus sur tout le corps...

Dans votre story Instagram, on vous voit donner un concert dans un Ehpad à Nantes... C'est une manière de vous sentir utile ?

Dans une soirée mondaine, tu te demandes toujours : « Bon, c'est sympa, mais je fais quoi de mon temps, en fait ? » Je ne suis pas là pour changer le monde, mais effectivement, dans un Ehpad, je me sens un peu plus à ma place. J'ai toujours adoré les personnes âgées, si je peux les embarquer avec moi et leur donner le sourire le temps d'une parenthèse musicale, c'est avec bonheur.

Avant de vous lancer dans la chanson, vous avez été auxiliaire de vie...

J'ai longtemps pensé que je travaillerais dans le soin, pour faire du bien, c'est mon obsession. Pendant un an, je me suis occupée de personnes âgées à leur domicile, parfois en Ehpad. C'est un don de soi, très éprouvant moralement et physiquement, mal payé, sans aucune reconnaissance, tout l'inverse du métier d'artiste... Chaque politique devrait faire un stage en Ehpad pour connaître cette réalité de près. En France, on a tendance à mépriser les « petits métiers » pourtant fondamentaux pour la société. Il n'est pas normal que ces gens touchent le smic horaire alors qu'ils se cassent le dos à laver du caca. Mais ces métiers ne génèrent aucune plus-value financière, donc on les oublie. Dans un monde idéal, il faudrait que les salaires soient indexés sur la plus-value humaine, mais je fais de la politique, là...

Votre album décline le thème amoureux dans tous ses états. Vous affirmez pourtant n'avoir jamais rencontré l'amour romantique...

Et c'est toujours le cas, vu que j'ai passé l'année dernière dans un tour bus, je ne sais pas comment j'aurais pu trouver quoi que ce soit. Mais je l'ai beaucoup observé autour de moi, l'amour, j'ai aussi une capacité démentielle à rêver, endormie comme éveillée. L'imaginaire, c'est fondamental pour créer, essayer d'entrer dans le cerveau et le cœur des gens et ne pas seulement se focaliser sur sa petite vie, qui n'est pas ce qu'il y a de plus intéressant pour faire un album.

Zaho de Sagazan.

Vous disiez n'avoir aucune attirance pour le luxe. Lors de la fashion week en octobre, vos chansons ont habillé le défilé Louis Vuitton. Comment vous êtes-vous retrouvée dans cette aventure ?

À l'origine, ce n'est pas du tout un milieu qui m'intéresse ; moi, je m'habille chez Decathlon et Emmaüs. Mais j'ai rencontré Nicolas Ghesquière, le directeur artistique de Louis Vuitton, qui m'a dit comment certaines de mes chansons l'avaient inspiré pour ses créations. C'était une belle rencontre d'artiste à artiste, sinon je n'aurais pas accepté que ma musique soit utilisée pour un défilé. Et je suis ravie d'être allée au bout de cette création inspirée par les miennes. Il a d'ailleurs eu la gentillesse de me prêter des vêtements, mais je ne les ai, pour l'instant, jamais portés sur scène...

La Symphonie des éclairs (Disparate/Virgin). En tournée des Zéniths dans toute la France (le 11 mars à Nantes, le 13 mars à Paris...).

Victoires en vue

Elle s'impose déjà comme la grande gagnante de cette 39e édition des Victoires de la musique, qui se tiendra le 9 février à la Seine musicale (en direct sur France 2). Zaho de Sagazan sera en lice dans pas moins de cinq catégories - révélation scène et révélation féminine, album et chanson de l'année, création audiovisuelle pour son clip La Symphonie des éclairs. Un sacre avant l'heure et « un grand câlin de l'industrie musicale », a déclaré Zaho de Sagazan. Parmi les autres nommés dans les catégories reines, citons Étienne Daho et Vianney (tous deux pour album de l'année et artiste masculin). De son côté, Véronique Sanson concourt face à Aya Nakamura, Jain et Louane pour la victoire de l'artiste féminine. Côté révélations, la concurrence s'annonce féroce avec Adèle Castillon et Mery.

La bonne étoile de Zaho

On connaît son goût pour l'exercice de la reprise. La chanteuse poste régulièrement sur son compte Instagram des vidéos où elle revisite des classiques de Britney Spears (Toxic), Clara Ysé (Le monde s'est dédoublé) ou Colette Magny (Mélocoton). Liste non exhaustive... Dans le même esprit, Zaho de Sagazan a publié en décembre un mini-album dans lequel elle réinterprète trois chansons de ses aînés : La Bonne Étoile de M, qui donne son titre à cet opus, Ah que la vie est belle de Brigitte Fontaine et 99 Luftballons de Nena. « Je les ai chantées sur scène pendant toute ma tournée, je voulais les offrir à mon public dans un disque, raconte Zaho de Sagazan. Nous les avons enregistrées sur la route, entre deux concerts, dans un petit studio installé dans notre tour bus. » Elle surprend notamment avec sa reprise du tube de Nena, interprété dans un allemand impeccable. « Un exercice difficile, mais j'ai adoré. C'est une chanson joyeuse, festive, qui en même temps dénonce l'absurdité de la course aux armements pendant la guerre froide. Elle reste toujours d'actualité, malheureusement. »

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Commentaire 1
à écrit le 28/01/2024 à 11:28
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Ben disons que si vous faisiez du mal vous seriez en prison. ^^

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