Oui, il existe, le spectacle « feel good » de référence du baroque italien. C'est même un classique qui, depuis près de vingt ans, triomphe sur les scènes françaises et étrangères. Au diable les opéras de cour, psaumes et vêpres qui cultivent une relation directe avec le Tout-Puissant, intimidante si profonde et délicieuse soit-elle. Avec Le Carnaval baroque, qu'il crée en 2006, le chef et luthiste Vincent Dumestre a eu l'idée de faire appel à des artistes de cirque, jongleurs, mimes, acrobates, pour recréer sur scène, avec son ensemble Le Poème harmonique, l'atmosphère débridée, vivante en diable, farcesque, grotesque, d'un carnaval romain au XVIIe siècle...
Une nuit de liesse, donc, où rien n'est solennel, tout est permis, et des personnages de commedia dell'arte extravagants au possible, masqués, déguisés, fardés, se livrent à tous les excès ! « On ne peut pas tout représenter sur scène, mais il faut savoir que les carnavals romains, dix jours durant, occasionnaient des courses de bossus et de buffles dans les rues, des pyramides humaines, des lancers d'œufs pourris et même des exécutions en public », indique Vincent Dumestre qui, pour mettre en scène ce « moment de vie et de libération » avec Cécile Roussat et Julien Lubek, s'est inspiré des gravures du Nancéen Jacques Callot. Drôle sinon ensorcelant avec sa scénographie mouvementée, le spectacle est, de fait, un modèle de décloisonnement de la musique classique. Sur scène, quatre chanteurs, sept instrumentistes et sept circassiens assurent un show endiablé qui séduit au-delà des cercles initiés, amuse petits et grands.
Il espère monter « L'Avare », dont on a retrouvé la version avec intermèdes musicaux
« Nous arrivons à près de cent représentations et plusieurs générations d'artistes se sont succédé dans notre carnaval, explique le fondateur de l'ensemble Le Poème harmonique. Le spectacle se jouera en 2025 et au-delà. Cela nous plaît et nous place dans une dynamique d'artistes-artisans, comme Giorgio Strehler avec son cher et légendaire comédien Ferruccio Soleri qui, toute sa vie, a retravaillé son personnage d'Arlequin. Un exemple pour nous. À chaque reprise, notre scénographie progresse, on apporte de nouveaux costumes, de nouveaux tableaux. »
Du point de vue musical, plus savant qu'il n'y paraît car informé au gré de ses recherches historiques, Dumestre a choisi de concentrer son carnaval sur les partitions mal connues de Francesco Manelli. « L'inventeur de l'opéra italien, avant Monteverdi, c'est lui. Mais on l'a oublié faute d'avoir retrouvé les partitions. En revanche, ses œuvres plus légères, madrigaux, bergamasques et chaconnes, sont accessibles. »
La recherche de partitions oubliées reste l'un des moteurs du travail du chef, par ailleurs nouveau directeur artistique du festival de Pâques de Cracovie, en Pologne, l'un des plus importants rendez-vous de la musique baroque. C'est là-bas, à la basilique Sainte-Marie, où vient d'être restauré le plus grand retable en bois d'Europe, qu'il dévoilera l'objet de son prochain enregistrement : les vêpres tardives de Monteverdi. « Pas celles de 1610, très connues, mais celles de 1643, d'après les pièces et psaumes imprimés juste avant sa mort - son testament musical, en somme. » Dans un autre genre, plus théâtral que spirituel ou carnavalesque, Dumestre espère monter d'ici à 2026 un autre trésor : L'Avare, de Molière, dont on a récemment retrouvé la partition avec intermèdes musicaux... À suivre !
Le Carnaval baroque, les 10 et 11 février à l'Opéra de Rouen, le 23 à Tourcoing, le 2 mars à Vitry-sur-Seine, les 28, 29 et 30 mai à Caen, etc. lepoemeharmonique.fr
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