Nos critiques littéraires de la semaine

« L'Oiseau des Français », de Yasmina Liassine, « Cendrillon est en prison », de Philippe Corbé, le livre à relire de Marie Vingtras : découvrez nos critiques littéraires de la semaine.
Yasmina Liassine, professeur de mathématiques.
Yasmina Liassine, professeur de mathématiques. (Crédits : © LTD / FRANCESCA MANTOVANI)

Méfiez-vous du rose bonbon !

Ce Cendrillon est en prison est un concentré de tout ce que l'on déteste dans la société américaine... et un régal. Un livre violent, aussi, mais pas où on l'attend. L'ancien correspondant de RTL aux États-Unis s'empare d'un fait divers sordide qui a passionné l'Amérique : l'affaire Gypsy Rose Blanchard, du nom de cette jeune fille victime d'une mère atteinte du syndrome de Münchhausen par procuration. Dans le roman, la mère s'appelle Angela. Elle empoisonne depuis sa naissance sa fille, Cindy, lui inventant toutes les maladies de la terre pour organiser un business très lucratif autour de ce malheur fictif.

Elle lui fait subir des opérations à n'en plus finir et l'abrutit à coups de doses démesurées de médicaments pendant qu'elle mène grand train grâce aux dons, passant ses journées à se gaver de gâteaux devant sa télévision entre deux posts larmoyants sur les réseaux sociaux. Pour toucher cœurs et portefeuilles, la mère se love avec sa fille dans la mièvrerie des princesses Disney et des tantras bébêtes. À la sortie de l'adolescence, la jeune fille réussit à échapper peu à peu à la surveillance maternelle et organise son assassinat.

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Bonne conscience

Dépassant le drame, Philippe Corbé, d'une plume clinique, nous raconte une Amérique malade de voyeurisme, d'excès, de volonté d'être « vu à la télé ». Une Amérique faussement empathique où l'on se délecte du malheur d'une famille tout en se donnant bonne conscience à faible prix - et parfois, ô aubaine, en faisant une bonne affaire. Les médias, les avocats, la société du spectacle en prennent pour leur grade. Le directeur de la rédaction de BFMTV joue - que c'est réjouissant ! - avec le manichéisme : même les plus innocents ne le sont pas. Rien n'est tout blanc ou tout noir, et encore moins rose bonbon. A.M

Des traces et des fantômes

Après deux essais sur les mathématiques, Yasmina Liassine se risque, comme souvent dans un premier roman, sur le chemin des origines. Sa narratrice a grandi en Algérie et fait partie de ces enfants nés après la guerre d'indépendance, issus d'un mariage algéro-français, la partie algérienne étant toujours masculine, la partie européenne toujours féminine, raconte-t-elle. Alors que les pieds-noirs ont dû partir, ses parents s'installent dans ce pays en pleine construction.

Elle tente de saisir son Algérie, où les héritages romain, français, arabo-musulman se superposent, où les communautés se mêlent, où l'islam s'impose et d'où, comme beaucoup, elle finira par partir. Pour appréhender son identité, elle se représente un labyrinthe semblable à celui de la cathédrale du Sacré-Cœur à Alger. « Sancta eclasia », peut-on lire en son milieu. Au centre de son labyrinthe à elle, on lirait plutôt « Sancta Algeria », l'algérianité. Elle s'y perd, dans ces méandres, elle revient sans cesse sur ses pas. Installée en France depuis trente ans après vingt années passées en Algérie, « à chaque fois [qu'elle est] dans l'avion entre Paris et Alger, et quel que soit le sens du voyage, [elle se] pose cette question si simple : suis-je en train de partir ou suis-je en train de revenir ? ».

Tarte au citron

Avec une grande maîtrise, la primo-romancière transforme le dédale de son parcours intime en un tableau pointilliste des relations franco-algériennes. Le roman est écrit par touches : des histoires de vies, souvent tristes, faites d'espoirs déçus. Celles des Mauricette, Suzanne, Odette ou Simone, « toutes ces femmes qui, depuis l'intérieur des maisons, tissaient les liens qui manquaient tant à l'histoire officielle ».

La beauté de ce texte tient dans sa façon, hypersensible, de saisir les traces et les fantômes. Ce sont ces livres de recettes abandonnés qui font que sa tante Anissa honore toujours ses invités de makrouts et d'une tarte au citron meringuée. D'improbables ancolies à Alger, plantées par une précédente propriétaire qui venait peut-être des Alpes. Des dindes laissées par une voisine pied-noir lors de son départ précipité, ces « oiseaux des Français », car consommés à Noël, qui suscitent la méfiance et la curiosité d'Anissa. Au fond, écrit Yasmina Liassine, « les seules choses qui n'ont pas totalement migré, ce sont les pierres, les plantes et les animaux ». A-L.W

LE LIVRE À RELIRE

BLIZZARD, DE MARIE VINGTRAS

 Quelques maisons au bord d'un lac en Alaska, un jour de tempête. Une femme qui n'est pas d'ici cherche un enfant qui s'est enfui sous des trombes de neige. Un homme, Benedict, part les secourir en raquettes puis à motoneige. Un autre, Cole, fait mine de l'aider tout en nourrissant de noires pensées... Grand succès de la rentrée 2021, Blizzard est un premier roman hors du commun, reposant sur une intrigue d'une simplicité biblique qui se complexifie à mesure que l'on découvre les habitants du lac et les fantômes de leur passé. Ajoutons qu'il porte bien son titre, et pour des raisons qui excèdent la météo. À cause de son écriture épurée jusqu'à la blancheur, et de ce que l'on discerne entre les lignes. Et pour la façon dont les histoires (il y en a autant que de personnages) sont maintenues hors champ avant de nous être révélées petit à petit.

Peu à peu, tout s'éclaire - sauf l'humeur du critique soucieux de ne rien divulgâcher. Car ce Blizzard est une architecture délicate montée sur des secrets : en dévoiler un, c'est risquer de voir s'écrouler l'édifice jumeau que son autrice, Marie Vingtras, entend édifier dans nos têtes. Alors rappelons seulement qu'il faut de bonnes raisons pour
s'installer en Alaska, loin des hommes et des lois. Et qu'il faut aussi, quand on y est né, de bonnes raisons pour y rester. Que la bonté a souvent pour corollaire la capacité à éprouver de la culpabilité pour des drames dont on n'est pas vraiment responsable. Que le mal peut trouver une définition inverse.

Que « le père, c'est celui qui aime », comme l'écrivait Pagnol... Et à force de recevoir ce genre de vérités humaines, on tourne les pages avec une émotion croissante, impatient de voir tomber les secrets. Ceux d'un flic retraité et vétéran du Vietnam, soldat idéal victime de sa propre rectitude. Ceux d'une jeune femme hantée par un assassinat
et un sourire adressé à la mauvaise personne. Ceux de héros qui s'ignorent jusqu'aux
dernières scènes. Marie Vingtras ne maîtrise pas seulement son sujet, son intrigue, ses personnages : elle maîtrise l'art de ne jamais en dire trop, pour mieux faire résonner
le silence ... A.B

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