La jet-setteuse Mouna Ayoub vend aux enchères 252 tenues signées Karl Lagerfeld

La femme d'affaires de 66 ans versera une partie des gains à la Fondation des femmes. Serait-elle devenue féministe ?
Pauline Delassus
La jet-setteuse Mouna Ayoub dans un salon de l’Hôtel Costes, mardi, à Paris.
La jet-setteuse Mouna Ayoub dans un salon de l’Hôtel Costes, mardi, à Paris. (Crédits : CYRILLE GEORGE JERUSALMI POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Elle fume des Vogue mentholées « Originals », une denrée rare qu'elle ne trouve qu'aux îles Caïmans, dans les Caraïbes. Mouna Ayoub en revient justement. Dans ses valises, des robes de couturiers légères comme ses cigarettes. De passage à Paris, avant de retrouver son appartement de Monaco, elle dort à l'Hôtel Costes et reçoit dans un salon capitonné de ce palace du faubourg Saint-Honoré. Le 20 novembre, la société Maurice Auction mettra en vente aux enchères 252 tenues Chanel dessinées par Karl Lagerfeld dans les années 1990, issues de son exceptionnelle garde-robe haute couture. Des merveilles de dentelles, de mousseline et de taffetas, des œuvres d'art acquises au fil des années et des défilés qu'elle n'a presque jamais portées.

La collectionneuse possède en tout 2 700 pièces des plus grandes maisons. Elle en a déjà vendu par le passé, avec succès ; l'une de ses vestes a même atteint le montant record de 175 500 euros en 2019. « Je m'en sépare tristement mais je ne peux plus porter ces vêtements », dit-elle d'une voix grave. Et puis il faut faire de la place. À 66 ans, Mouna Ayoub continue de remplir ses dressings de créations uniques et sur mesure. Lagerfeld disparu depuis quatre années, l'avisée sait que ses modèles devraient se vendre à des prix très élevés. Plusieurs musées seraient intéressés, des acheteuses privées également, « des jeunes femmes fortunées qui rêvent de porter des vintages de Karl », précise notre experte. Elle est vêtue ce jour-là d'une robe courte et de bottes en vinyle siglées des deux C entrelacés de Coco, « du prêt-à-porter », nuance-t-elle. Son existence semble facile. Luxueuse. Frivole ? Pas si sûr. L'histoire qu'elle raconte est une odyssée moderne des Mille et Une Nuits, un conte de fées sans prince charmant, du désert saoudien aux cabinets d'avocats américains. Elle en a fait un livre, un best-seller, La Vérité - Autobiographie, sorti en 2000 aux éditions Michel Lafon et vendu à 100 000 exemplaires.

Son histoire est un conte de fées sans prince charmant, du désert saoudien aux cabinets d'avocats américains

Mouna Ayoub naît à la fin des années 1950 au Koweït, où ses parents, entrepreneur et infirmière, sont installés. La famille est libanaise, chrétienne, les vacances se passent à Beyrouth, où sa mère fait reproduire par une couturière les collections présentées à Paris, dont elle se procure les patrons. La petite fille apprend l'élégance. En 1975, déclenchement de la guerre du Liban : l'élève douée est envoyée en France pour étudier les sciences économiques, à Aix-en-Provence, puis à l'université parisienne de Tolbiac. Elle a 18 ans et décroche un job de serveuse dans un restaurant libanais de Passy, le Beyrouth. Un homme vient y dîner chaque soir. Nasser Al-Rashid, Saoudien de vingt ans son aîné, fait la cour à la belle brune. Propriétaire d'une entreprise de construction, Rashid Engineering, il doit sa colossale fortune à son titre d'ingénieur du royaume d'Arabie saoudite. « Il avait de gentilles attentions, se souvient-elle. Il ne me semblait pas conservateur, il sortait et buvait. » Le mariage a lieu à Londres. Une condition préalable, qu'elle se convertisse à l'islam. Elle accepte et se choisit une première robe couture pour la noce. « Nasser avait promis que je pourrais terminer mes études, poursuit-elle. Mais après, il s'est transformé. Je n'ai pas pu rester à la fac, car il y avait des hommes. Je suis montée dans un avion pour Riyad, en larmes. » Avant de poser le pied sur le sol de sa nouvelle patrie, elle doit se couvrir entièrement. L'abaya devient son vêtement de tous les jours. Commence une vie solitaire, cloîtrée dans un palais, pour celle qui se voile même dans ses jardins.

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Le couple a cinq enfants. Deux naissent à Paris, les autres aux États-Unis. Ces séjours dans des maternités occidentales permettent à la jeune mère de s'échapper quelques semaines. « En Arabie saoudite, c'est devenu de plus en plus difficile, décrit Mouna Ayoub. J'ai adoré m'occuper de mes petits, je ne laissais personne d'autre le faire, mais je n'étais pas heureuse. » Son moral sombre malgré les escapades ensoleillées à bord du Lady Moura, le spectaculaire yacht de son mari, où elle doit là aussi rester confinée dans les cabines réservées aux femmes. La haute couture est une respiration, le rêve d'une autre vie. Elle a l'autorisation de se rendre à Paris pour assister aux défilés, tant qu'elle n'y passe pas la nuit. Elle repère ce qui lui plaît sur les podiums, aiguise son goût, en autodidacte audacieuse. L'industrie de la mode est si foisonnante en ces années 1980 et 1990... Elle rencontre Karl Lagerfeld, en douce. « J'avais très peur que mon mari l'apprenne. » Se rend aux essayages chez Saint Laurent, en présence du grand Yves. « Mon mari m'accompagnait et lui demandait de rallonger les manches, de supprimer les décolletés... On attendait qu'il parte et on ne respectait aucune de ses consignes ! » Elle en rit aujourd'hui. Mais jamais, alors, elle ne peut porter les splendeurs qu'elle achète. Elle les conserve dans une salle spéciale au sein de sa prison dorée, comme le rappel cruel qu'ailleurs les femmes sont libres.

La haute couture est une respiration, le rêve d'une autre vie. Mais jamais elle ne peut porter les splendeurs qu'elle achète

Elle ne se contente pas de fanfreluches : un bolide lui fait de l'œil, la Zagato d'Aston Martin, une rareté qui bien vite rejoint l'écurie Ayoub. S'offrir une voiture sans avoir le droit de conduire, luxe ultime. Seul pépin : un prince, puissant ami de son mari, convoite le véhicule. « Nasser voulait que je la lui donne ; j'ai refusé, je la destinais à mon fils », explique l'insolente. Il insiste. Elle sait qu'il lui faudra céder. Non sans esclandre. Un jour, le prince est convié sur le yacht familial. Mouna Ayoub y est cantonnée à l'un des ponts supérieurs. « J'ai enfilé une robe Chanel en mousseline transparente, on voyait mes jambes. J'ai mis les clés de la Zagato sur un plateau d'argent et je suis entrée dans le salon où les hommes jouaient aux cartes. Je la lui ai offerte. Mais je ne me suis pas soumise. » Prince sidéré, époux livide. À Los Angeles, où le couple séjourne pour faire soigner un de leur fils, malade, Mouna Ayoub découvre les cours de gym de Jane Fonda, où elle se rend en catimini, à l'aube. Elle a l'idée d'ouvrir un lieu similaire à Riyad. D'abord, son mari l'encourage. Puis interdit. Autoriser les femmes à pratiquer une activité physique en groupe ? Impensable. Deux fois l'époux la répudie. Il touche même au plus précieux : sa collection de vêtements haute couture, qu'il jette, un jour d'été, sur un trottoir en pleine rue. Elle revient pour les enfants, dont il menace de lui retirer la garde.

Après vingt ans d'union malheureuse, elle s'exile aux États-Unis. Elle engage des avocats pour négocier son divorce. La bataille est féroce et dure quatre ans. Le « deal » trouvé comprendrait le versement de plusieurs millions et la répartition d'œuvres d'art et de biens immobiliers. Elle recouvre sa liberté en 1997, sans perdre les bijoux somptueux offerts par l'ex-mari, qu'elle a « vendus », glisse-t-elle : « J'ai fait des placements dans l'immobilier, encore aujourd'hui j'achète et je revends des terrains. » La divorcée est à l'abri. Elle s'offre le Phocéa, plus grand voilier de course du monde, propriété de Bernard Tapie, revendu depuis. « J'avais perdu ma jeunesse, donc je me suis rattrapée ! » Elle fait des conquêtes, est de toutes les fêtes et pose même - nue ! - pour Lagerfeld. Aujourd'hui, elle raconte ce combat pour ses droits sans en faire une leçon de féminisme, mais assume d'avoir choisi de contribuer à la Fondation des femmes : « J'ai rencontré sa présidente, Anne-Cécile Mailfert, et j'ai compris l'importance de financer des foyers pour les victimes de violences. » Vendre des robes de bal pour aider les plus démunies... Le voilà, le conte de fées.

Pauline Delassus

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