Un auteur meurt et soudain les astres cessent de tourner... De Tintin et l'Alph-Art au Premier Homme de Camus, les livres inachevés nous laissent une impression douce-amère de vie en suspens. Dickens gardera pour lui la clé de son Mystère d'Edwin Drood et, faute de Flaubert pour les ramener à la raison, Bouvard et Pécuchet convertiront pour l'éternité la science en farces et attrapes... C'est un peu ce qui nous traverse l'esprit devant cette Histoire du roi qui ne voulait pas mourir, vraie-fausse biographie de Louis XI et œuvre incomplète d'un Jean Teulé fauché en 2022 par une boulette de viande avariée. Un curieux livre, mi-roman, mi-catafalque puisque, plutôt que de le terminer studieusement, les amis de Teulé - Jaenada, Druillet, Bilal... - ont préféré improviser des hommages en textes et images.
Première impression : comme l'écrit Jaenada, ce Roi qui ne voulait pas mourir aurait fait un grand Teulé, c'est-à-dire un épisode de l'histoire de France restitué de manière joyeusement partiale, volontiers scabreuse et abondamment renseignée ! Cela commence au Cap-Vert, où des marins français capturent des tortues pour la santé du roi qui voudrait se baigner dans leur sang supposément curatif - oui, cela est réel. Un roi décidément amateur d'ablutions sanglantes puisqu'il aime à barboter dans de l'hémoglobine de nourrissons - une légende, mais Teulé se plaît à ne pas faire la différence.
Notre Dumas moderne
Au fond, Teulé, qui a rhabillé de fiction Charles IX dans Charly 9 et enterré la chevalerie française dans Azincourt par temps de pluie, était un peu notre Dumas moderne : quelqu'un qui s'appuyait sur l'Histoire pour créer des fictions qui n'étaient pas gratuites car elles disaient à ses yeux la vérité d'une époque. Pour lui, conter le pouvoir de l'intérieur revient aussi à décrire les hémorroïdes royales... Et son allègre mauvaise foi de romancier n'excluait pas l'honnêteté : s'il dépeint le roi en araignée (le petit surnom que lui donnèrent des historiographes ennemis), il nous rappelle que ce tisseur d'intrigues a mis fin à la guerre de Cent Ans, promu l'imprimerie, affermi l'unité du royaume... Ironiquement, la mort de Teulé a exaucé le vœu du monarque : celui-ci, qui aurait bien régné jusqu'au jugement dernier, échappera au moins à son trépas de papier. Teulé aurait apprécié la blague...
L'Histoire du roi qui ne voulait pas mourir, de Jean Teulé, Mialet-Barrault Éditeurs, 212 pages, 21 euros.
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