7 propositions pour lutter contre le harcèlement sexuel au travail

Après la parole, les actes. Parce qu'il est nécessaire, pour le gouvernement, de se saisir de la mobilisation générale pour éradiquer le harcèlement sexuel, différents acteurs du monde du travail énoncent des actions concrètes pour lutter contre ce fléau.
Une femme sur cinq est confrontée à une situation de harcèlement sexuel au cours de sa vie professionnelle, d'après une enquête Ifop de 2014, réalisée pour le Défenseur des droits.
Une femme sur cinq est confrontée à une situation de harcèlement sexuel au cours de sa vie professionnelle, d'après une enquête Ifop de 2014, réalisée pour le Défenseur des droits. (Crédits : Getty)

Justice, entreprises, associations... tous les terrains sont bons pour s'attaquer au problème du harcèlement sexuel au travail. Après le temps de la communication, le gouvernement est attendu sur des décisions concrètes cette année. Si Emmanuel Macron a d'ores et déjà annoncé quelques mesures à venir, syndicalistes, DRH, avocat.e.s spécialisé.e.s ou encore associations proposent des actions pour aller plus loin.

| Lire aussi : Harcèlement sexuel au travail : la nécessité d'agir

■ Former les personnels : DRH, managers, représentants du personnel...

C'est la proposition qui fait l'unanimité. Le besoin, à tous les stades de la hiérarchie de l'entreprise, d'être mieux préparé pour faire face au harcèlement. Que ce soit les ressources humaines ou les représentants syndicaux, tous évoquent des lacunes. Pour les syndicats, il est urgent d'agir pour mieux accompagner les victimes :

« Il y a de plus en plus de remontées vers les délégués syndicaux relatant des situations de harcèlement. Or, ceuxci sont démunis pour accompagner et pour agir sur le lieu de travail », témoigne Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT.

Par conséquent, des formations ont été enclenchées au sein du syndicat et le Collectif fédéral égalité, qui collabore avec les associations d'accompagnement, organise une journée d'étude sur le sujet. « Mais il y a encore beaucoup de choses à améliorer pour outiller efficacement les délégués. » Le constat est similaire à la CFDT qui assume le besoin d'être mieux préparé à ces situations. Un guide a été rédigé pour aider les représentants syndicaux.

Pour les ressources humaines aussi, la question est de bien réagir face à ce type de situation. À l'Association nationale des DRH (ANDRH), un groupe de travail a été formé au début du mois pour réfléchir aux bonnes pratiques, aux réactions à avoir en cas de harcèlement sexuel. Au cœur des réflexions : la qualification des faits, qui pose souvent problème d'un point de vue RH ; un point sur les avancées réglementaires ; l'identification des bons interlocuteurs (instances représentatives du personnel [IRP], recours à des tiers...) ; la possible mise en place d'un suivi psychologique ; la formation des managers ; les démarches pour diligenter une enquête en protégeant la victime et en préservant la présomption d'innocence ; la libération de la parole en entreprise, qui pose encore problème...

Les pistes sont larges pour l'ANDRH mais « il s'agit vraiment de mettre le sujet au cœur du débat », explique Bénédicte Ravache, présidente de l'association. « Compte tenu de l'élan actuel, on ne peut pas ignorer ce qu'il se passe. » La tribune publiée dans Le Journal du dimanche (JDD) par cent femmes interpellant le président de la République l'évoque également :

« Rendez obligatoire la formation des salariés et managers à la prévention du harcèlement sexuel au travail, instaurez une négociation obligatoire en entre prise sur ce sujet et protégez l'emploi des femmes victimes. »

Les formations ont été évoquées, lors du discours d'Emmanuel Macron le 25 novembre dernier, dans le cadre de la mise en place de modules d'enseignement dans les écoles publiques et de sensibilisation pour les professionnels de la petite enfance.

■ Prévoir un système de prévention dans les entreprises

Aujourd'hui, seules 18% des entreprises sont équipées d'un système de prévention pour faire face au harcèlement sexuel. Pour Maude Beckers, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis, ce n'est clairement pas suffisant :

« Les entreprises ne sont pas prêtes du tout au harcèlement. Il faudrait qu'elles y aient réfléchi en amont. Une structure importante doit être capable de réaliser une enquête ou faire appel à un consultant pour la conseiller ; les auditions doivent être faites de manière individuelle et une procédure stricte doit être établie pour traiter la situation. Enfin, l'employeur doit respecter les textes. »

À Randstad, la directrice de la responsabilité sociale et environnementale (RSE) Aline Crépin, membre de l'ANDRH également, donne une piste en évoquant le comité antiharcèlement mis en place en interne. L'organe accompagne les salariés permanents et les intérimaires en cas de harcèlement moral et sexuel. Ce comité propose une cellule psychologique, accompagne les victimes et réalise des enquêtes au sein des entreprises avec qui il établit également des échanges sur ce sujet.

« Les entreprises prennent très au sérieux la problématique et répondent lorsque l'on en parle, mais pour beaucoup d'entre elles, un tabou persiste », note Aline Crépin.

Pour la directrice RSE, l'une des clés réside dans le partage des ressources : « Souvent, le sujet n'est pas anticipé par la structure. Il faudrait réfléchir d'un point de vue territorial : pourquoi ne pas mutualiser les ressources de manière à ce que toutes les structures puissent en profiter et pas que les plus grosses ? »

■ Sanctionner les entreprises

Parce que derrière une punition, se trouve une leçon. Marie Andrée Seguin, secrétaire nationale de la CFDT, relève la nécessité de sanctionner les entreprises qui toléreraient le harcèlement :

« Il faut plus de contrôle. Il faut que les IRP mettent les entreprises face à leurs responsabilités, qu'elles sachent ce qu'elles risquent. Certaines entreprises se voilent la face. »

Me Maude Beckers partage le constat que, si les entreprises étaient davantage sanctionnées, le harcèlement sexuel serait moins toléré. Elle se prononce donc en faveur d'un alourdissement des sanctions.

Aujourd'hui, le plafond « équivaut à 6 mois de salaire de dédommagement pour l'entreprise. C'est censé être dissuasif, mais, devant cette somme, les entreprises rient tout simplement ».

Le législateur en a conscience, ajoute-t-elle, « mais ce n'est pas dans l'état d'esprit actuel du gouvernement de sanctionner les entreprises ».

L'avocate rappelle que dans 40% des cas, la victime connaît des représailles professionnelles après avoir alerté son employeur.

« D'où la nécessité, d'une part d'éduquer, de former les entreprises - ce qui va prendre du temps - et d'autre part, de sanctionner les mauvais élèves. »

■ Combattre les inégalités Femmes-Hommes

Pour la CGT, combattre le harcèlement sexuel passe par l'égalité femme-homme. Selon Céline Verzeletti, considérer la femme comme l'égale de l'homme permettrait de faire cesser ces abus de pouvoir. Ce qui passe notamment par l'égalité salariale. Or, avec la disparition de l'obligation annuelle des négociations (négociations annuelles obligatoires [NAO]), on assisterait à un « recul sur les avantages ». Plus les négociations seront espacées dans le temps, moins il y aura d'occasion de combattre les inégalités salariales. À noter : même depuis les ordonnances, rien n'empêche une entreprise d'organiser des négociations tous les ans ; elle est désormais libre de choisir son calendrier.

■ Renforcer les moyens des associations d'accompagnement des victimes

Les moyens alloués aux associations sont le premier point demandé dans la tribune publiée dans Le JDD et signée par une centaine de femmes (artistes, politiques, féministes...) : « Monsieur le Président [...], doublez immédiatement les subventions des associations qui accueillent les femmes au téléphone ou physiquement et doublez le nombre de places d'accueil pour les femmes victimes. »

■ Améliorer le système judiciaire

Pour la CFDT, les magistrats aussi doivent être formés à la problématique du harcèlement sexuel. « Il y a trop d'affaires qui sont classées sans suite », note Marie-Andrée Seguin, secrétaire nationale de la CFDT.

« Ceci décourage les femmes à porter plainte. »

Pour l'avocate Maude Beckers, la France est arrivée aujourd'hui, grâce à ses textes, à un niveau satisfaisant (1) en se fondant sur la législation européenne, jadis plus avancée. Mais il reste des lacunes. L'une d'elle concerne la reconnaissance des preuves: lors de la constitution du dossier, un enregistrement audio clandestin ne peut pas être retenu pour condamner l'employeur. « Il faut que le législateur aille jusqu'au bout », note Me Beckers.

D'autres critiques du système judiciaire sont à rapprocher des ordonnances réformant le Code du travail. Première remarque : avant, on jugeait que le harcèlement était suffisamment grave pour oublier les autres griefs dans une procédure pour reclasser un licenciement.

Aujourd'hui, avec les ordonnances, « on va regarder tous les griefs et cela va permettre une baisse des dommages et intérêts pour les entreprises. Cela va rassurer les employeurs », note Maude Beckers.

Autre point : les barèmes. Le plafond de trois mois était censé ne pas être appliqué au harcèlement sexuel dans le cadre d'un reclassement d'une démission motivée, au nom de ce que l'on nomme la « prise d'acte ». Or, il y aurait un loup dans la réforme : la prise d'acte pourrait être (ou pas) soumise au barème.

« Pendant cinq ans, on va donc se battre pour savoir si c'est le cas ou non. En attendant que la Cour de Cassation rende son avis sur l'interprétation. »

Une question sur laquelle même le Défenseur des droits a alerté dans un rapport. Enfin, pour les syndicats, la fusion des IRP (comité d'entreprise [CE], délégués du personnel [DP] ou délégation unique du personnel [DUP], comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail [CHSCT]), décidée par les ordonnances, réduit également les moyens de défense des salariés.

« On s'aperçoit que les instances qui sont présentes pour rappeler à l'employeur qu'il a le devoir d'assurer la sécurité et la santé des salariés vont connaître une baisse de moyens. Ceci passe par une baisse des heures de délégations, une baisse du nombre d'élus qui vont, pourtant, devoir couvrir plus de domaines d'expertises », explique Céline Verzeletti, de la CGT.

■ Des personnels spécifiques dans la police, la gendarmerie et la magistrature

La formation dans le monde de l'entreprise ne suffit pas. Pour Isabelle Steyer, avocate au barreau de Paris, il faut également que les personnels du corps judiciaire soient équipés face au harcèlement sexuel et ce pour toutes les étapes de la procédure.

« Il faut créer des brigades spécifiques : des gendarmes et des policiers psychologues par exemple. Parce que ce n'est pas la même chose de faire une planque que d'accompagner une victime de harcèlement sexuel. Un magistrat pourrait être sensibilisé à la problématique dans chaque magistrature : je suis sûre que ça intéresserait certaines personnes de se spécialiser. »

Cet argument rejoint également l'une des demandes des cent premières femmes ayant signé la tribune publiée dans Le JDD :

« Monsieur le Président (...), organisez dès 2018, de manière systématique et obligatoire, une formation de tous les professionnels en contact avec des femmes victimes : enseignants, magistrats, policiers, gendarmes, professionnels de santé, notamment de la santé au travail. »

| Lire aussi : Harcèlement sexuel : « Si tu veux rester dans la société, il faut que tu t'y fasses »

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(1) Aujourd'hui, devant le conseil des prud'hommes ou le tribunal administratif, la preuve du harcèlement sexuel est « aménagée » : ceci signifie que la victime salariée n'a pas besoin d'apporter de preuve directe et complète du harcèlement sexuel mais « des éléments de fait » qui permettent de le présumer. Lorsque le harcèlement est présumé, c'est à l'employeur d'apporter une preuve contraire. De plus, il existe une règle de « preuve globalisante » qui oblige le juge à considérer un élément en le liant avec les autres.

Commentaires 6
à écrit le 26/01/2018 à 14:52
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MACRON A DAVOS A DIT IL FAUT FAIRE UNE PLACE AUX FEMMES EST IL A RAISON ,LES FEMMES SONT SOUVENT PLUS DIPLOME QUE LEURS CHEFS MASCULINS? DONC ILS FAUT FAINEMISEZ LES CADRES DES ENTREPRISES EST LES PROFESSIONS OU ONT NE TROUVE QUE DES HOMMES ? RENVER...

à écrit le 26/01/2018 à 6:09
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LE HARCELEMENT EST UN PROBLÈME COMPLEXE PARTOUT AU MONDE LE PROBLÈME RESIDE AU NIVEAU DE L'EDUCATION DE L'HOMME .

à écrit le 25/01/2018 à 14:40
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Pourquoi un humain harcele t il un autre humain(e)? 1) c’est soit à cause d’un complexe intérieur ou un transfert 2) ça fait partie d’une «  stratégie » pour virer l’autre personne ( souvent le ou les managers sont au courant mais il y a la loi d...

à écrit le 25/01/2018 à 9:41
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Allez, on fait comme à l'école, on supprime la mixité. Des entreprises ou il n'y aura que des hommes et d'autres ou il n'y aura que des femmes. Une blague bien sûr, mais , ça devient un peu lourdingue ces polémiques sur les rapports entre les sexes.

à écrit le 25/01/2018 à 8:55
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En supprimant le lien hiérarchique on supprimerait 90% des harcèlements, la justice serait bien plus efficace pour les 10% restant de ce fait.

le 09/02/2018 à 11:09
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Pourquoi le harcèlement est considéré comme féminin? Es ce tabou, l'harcèlement d'un homme par une femme ou un autre homme?

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