C'est un résultat en demi-teinte pour Emmanuel Macron. Avec 22,41 % des suffrages remportés dimanche dernier, la liste Renaissance conduite par Nathalie Loiseau n'a pas réussi à battre la liste du Rassemblement national (23,31 %), qui a remporté 5,2 millions de voix. Le chef de l'État, qui avait annoncé qu'il « ferait tout son possible » pour que le RN n'arrive pas sur la première marche du podium, a jeté toutes ses forces dans la bataille. La stratégie de la République en marche, qui consistait à se présenter en rempart de l'extrême-droite, a échoué. En effet, le parti présidé par Marine Le Pen a collecté moins de bulletins de vote que pour la présidentielle de 2017 (10,6 millions), mais bien plus que lors des élections européennes de 2014 (4,7 millions). Pour le chercheur du CNRS au Cevipof Bruno Cautrès, « le grand clivage politique qui oppose le Rassemblement national et la République en marche a marqué une étape supplémentaire d'affirmation dans la vie politique. Ce clivage résumé par Emmanuel Macron entre progressistes-libéraux et conservateurs-nationalistes est trop schématique. Les enquêtes montrent que les progressistes viennent beaucoup de la droite ».
Autre temps fort de cette élection européenne, la montée en puissance d'Europe Écologie-Les Verts pourrait obliger le gouvernement à « verdir » sa politique alors qu'il avait privilégié les réformes économiques durant les deux premières années du quinquennat. La seconde place de LREM à ce scrutin représente un désaveu pour le gouvernement qui tente de sortir d'une profonde crise sociale et démocratique. Comment poursuivre la « transformation du pays » après cet avertissement dans les urnes ? Le gouvernement estime pourtant avoir suffisamment limité la casse pour confirmer sa détermination à poursuivre ses réformes à pas de charge. Tout l'enjeu pour le chef de l'État va être de répondre aux fortes attentes exprimées par les Français lors du Grand débat, que ce soit sur les questions fiscales, climatiques ou sur le pouvoir d'achat.
« Si Emmanuel Macron lit ces résultats comme un blanc-seing des Français à sa gouvernance en se disant que l'on peut tourner la page des"gilets jaunes", ce serait une grave erreur. Le Rassemblement national a été en grande partie le réceptacle de la colère populaire exprimée depuis six mois », ajoute Bruno Cautrès. Au soir des élections, le président de la République a cependant écarté tout changement de cap dans sa politique. Il compte même « intensifier l'acte 2 de [son] quinquennat », dont il a confié la mission à son Premier ministre. Édouard Philippe, conforté à son poste, a déclaré qu'il avait entendu « ce message fort » : « Nous l'avons reçu 5 sur 5, comme nous avons reçu le message sur l'urgence écologique. » De facto, le Premier ministre n'a à aucun moment envisagé son départ : « Nous devons mettre en œuvre une nouvelle méthode pour davantage aider les territoires [...] et mettre davantage d'humain dans notre politique. »
Des réformes explosives
L'agenda des réformes s'annonce hautement inflammable. Le gouvernement doit en effet présenter sa réforme de l'assurance-chômage durant le mois de juin. Déjà en début d'année, les pistes envisagées pour réduire le plafond des indemnités des cadres, sauf sans doute des seniors, avaient provoqué une bronca. Mais en proposant le bonus-malus sur les contrats courts, le gouvernement veut aussi montrer qu'il n'hésite pas à braquer le patronat. Dans le même temps, des chantiers au long cours doivent également aboutir comme la réforme des retraites, avec le rapport de Jean-Paul Delevoye attendu en juillet et un projet de loi annoncé pour la rentrée.Toujours au mois de juin, les ministres de Bercy, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin, doivent présenter les modalités de la baisse de 5 milliards d'euros de l'impôt sur le revenu qui sera effective au 1er janvier 2020.
Certaines niches fiscales à destination des entreprises doivent être supprimées, sachant que le Crédit d'impôt recherche (CIR) et la transformation du CICE en baisse de cotisations sociales pérenne ne devraient pas être concernés. Les arbitrages budgétaires pour le projet de loi de finances 2020 devraient également être tranchés avant l'été. Sur d'autres chantiers comme la réorganisation de la présence de l'État dans les territoires, l'opposition parlementaire sort renforcée même si les Républicains ont subi une débâcle historique.
Affaibli par la démission de plusieurs ministres en 2018, le chef de l'État, critiqué pour son exercice du pouvoir « jupitérien », a dû revoir en profondeur sa méthode sous la pression des Gilets jaunes, en prenant mieux en compte les corps intermédiaires. Édouard Philippe avait déjà invité, début mai, un grand nombre d'organisations syndicales et d'ONG afin de lancer la mobilisation nationale et territoriale pour l'emploi. Cet exercice devrait se poursuivre avec des représentants d'associations d'élus locaux. Une réunion avec le Premier ministre est prévue la première semaine de juin pour travailler sur des sujets de décentralisation et des dispositifs pour rapprocher les services publics des citoyens.
Le «Game of Thrones » européen
Reste la réforme de l'Europe, à laquelle Emmanuel Macron veut s'atteler. L'une des grandes leçons de ce scrutin est que, pour la première fois depuis la première élection en 1979, les deux forces politiques qui sont aux manettes de l'assemblée européenne ont perdu leur majorité absolue (376 sièges). Les résultats indiquent que le Parti populaire européen (177) et le groupe des sociaux-démocrates (150) perdent du terrain au profit de l'extrême droite (114), des centristes et libéraux (108) et des écologistes (69).
Le Parlement européen 2019-2024
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Cette nouvelle configuration confirme l'érosion de la place des partis de gouvernement au profit de forces politiques plus récentes et d'une dynamique accrue des partis nationalistes. Elle pourrait profiter à Emmanuel Macron qui cherche à construire un groupe centriste puissant au sein de l'hémicycle européen. Dans ce contexte, un épisode à la « Games of Thrones va commencer », a déclaré le Néerlandais Frans Timmersmans, chef de file des socialistes et prétendant à la tête de la Commission européenne. Depuis le 28 mai, le président du Conseil, Donald Tusk, a lancé des consultations lors d'un sommet extraordinaire pour faire le bilan des européennes. Il a un mois pour trouver un accord avec le Parlement avant un sommet crucial les 20 et 21juin.
Les tractations ont débuté. Longtemps considéré comme favori, l'Allemand Manfred Weber, tête de liste du PPE, se retrouve affaibli, alors que les conservateurs perdent
30 sièges. Plusieurs dirigeants ont tenté de convaincre le PPE de renoncer à son candidat pour cesser d'alimenter l'euroscepticisme. Emmanuel Macron, meneur de cette bataille, fera tout pour soutenir Michel Barnier ou, à défaut, Margrethe Verstager, la commissaire danoise à la Concurrence. « Si Emmanuel Macron obtient la nomination de Michel Barnier à la tête de la Commission euro- péenne, il pourrait continuer à embrayer son projet auprès des Français », conclut Bruno Cautrès. Un pari loin d'être gagné.