«Au pic de la crise, l'activité de la médiation a été multipliée par 10» (Pierre Pelouzet)

ENTRETIEN. Délais de paiement, pénalités de retard, loyers impayés...depuis plusieurs mois déjà, le médiateur des entreprises Pierre Pelouzet avec ses équipes multiplie les interventions auprès des entreprises pour tenter de régler les litiges amplifiés par la crise du Covid-19.
Grégoire Normand
Le médiateur des entreprises, Pierre Pelouzet, est rattaché à Bercy.

LA TRIBUNE : Quel bilan tirez-vous des deux mois de confinement ?

PIERRE PELOUZET : Le médiateur des entreprises est né au lendemain de la crise de 2008. Plus de 10 ans après sa mise en place, la médiation a renforcé son rôle. Durant les deux premières semaines du mois de mars, il y a eu une forte hausse des sollicitations. Avec 600 demandes par semaine, l'activité de la médiation a été multipliée par 10 au plus fort de la crise. Je pense que l'on assiste à la mise en place d'un "réflexe médiation" à l'intérieur des entreprises. Après le confinement, l'objectif est que les entreprises continuent de dialoguer même s'il y a des difficultés. La situation est loin d'être revenue à la normale. Il y a un besoin d'humain au cœur de cette crise.

Comment faites-vous pour répondre aux difficultés ?

Les services de médiation sont pleinement mobilisés dans les régions. La moitié du personnel mobilisé travaille dans les Direccte - Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi - (services déconcentrés de l'Etat) et les autres sont des bénévoles. Parmi ces derniers, on trouve beaucoup de chefs d'entreprise, d'indépendants et aussi d'anciens magistrats. Pendant la crise, nous avons reçu beaucoup de candidatures de personnes, des retraités notamment, qui étaient prêtes à nous aider pour répondre à la demande colossale.

Quelles ont été les principales difficultés rencontrées pendant cette pandémie ?

Les retards de paiement ont été la principale difficulté recensée par nos services. D'habitude, elles représentent environ 20 à 25% de nos saisines. Pendant la crise, elles constituaient environ 50% du total. Avec le comité de crise qui regroupait des organismes consulaires et des fédérations professionnelles comme le Medef, ou la CPME (confédération des petites et moyennes entreprises), nous avons travaillé sur des cas spécifiques. Avec l'accord du ministre de l'Economie Bruno Le Maire, je suis intervenu personnellement auprès de plusieurs grandes directions. Depuis la mise en place du comité de crise, le 23 mars dernier, 40 cas de grandes entreprises structurantes ont été signalés. Ces signalements ont donné lieu à des engagements concrets de la part de leurs dirigeants. En outre, 16 entreprises exemplaires ayant mis en place un paiement accéléré de leurs fournisseurs, ont été identifiées et valorisées par ce comité. Dans plusieurs cas, certaines entreprises de taille intermédiaire (ETI) se sont engagées à régler leurs fournisseurs dans un délai inférieur à la limite légale (60 jours). Derrière ces différends, il y a souvent un rapport de force déséquilibré entre les entreprises. Ce sont pour la plupart du temps les petites entreprises qui se retrouvent à saisir le médiateur face aux grandes entreprises.

> Lire aussi : Covid-19 : la catastrophe des délais de paiement s'amplifie

Quels sont les autres obstacles rencontrés ?

Les pratiques déloyales dans les relations contractuelles représentent une bonne part des saisines traitées par la médiation. Parmi elles, apparaissent notamment les ruptures brutales de contrat. Le conseil et l'événementiel ont été en première ligne. La demande de baisse unilatérale des tarifs vis à vis des fournisseurs fait également partie de ces pratiques déloyales. Par exemple le groupe General Electric Belfort qui a demandé à tous ses fournisseurs de baisser leurs prix de 20%. Saisi par la CPME et le MEDEF, le médiateur des entreprises a mis en place une médiation avec le Groupe General Electric. La convention signée le 27 mai dernier, a permis de trouver un accord et créer les conditions d'un dialogue rééquilibré entre tous les acteurs économiques concernés quant à la réduction des coûts. Enfin, le dernier type de saisines concerne les pénalités de retard alors que les entreprises n'étaient pas en mesure de livrer dans les délais leurs clients.

Avez-vous constaté des difficultés spécifiques pendant cette crise ?

Nous avons assisté à une montée en force des saisines relatives aux loyers des commerçants. Sans rentrées d'argent pendant le confinement, beaucoup d'établissements se sont retrouvés en difficulté pour régler leur bail. Ces litiges représentent environ 10% des cas traités par le médiateur. En plus des saisines sur les baux commerciaux au sens strict, les demandes portent également sur les locations touristiques, les baux professionnels ainsi que sur les lieux de co-working. Les entreprises qui saisissent le médiateur souhaitent des abandons de loyers et/ou des rééchelonnements parfois lointains. Les cas se résolvent par des compromis
rédigés sous la forme d'avenants au bail initial prenant en compte la période spécifique des mois de mars à mai. Quelques dossiers sont l'occasion de mettre à plat, avec l'accord des deux parties, certains aspects du bail qui ne donnaient pas satisfaction et qui seront utiles pour l'avenir au bailleur et au preneur.

Avez-vous une feuille de route spécifique pour les semaines à venir ?

L'objectif dans les semaines à venir est de renforcer notre rôle d'influenceur pour tenter de modifier les comportements. Outre une charte et un label, nous avons fait une campagne sur les réseaux sociaux pour encourager les bonnes pratiques avec plusieurs organisations. Au total, plus de 50 organisations ont promu ce message.

Face à cette crise, beaucoup d'entreprises sont confrontées à une hausse des dépenses pour assurer la sécurité sanitaire des salariés et éviter la propagation du virus. Comment la médiation peut-elle les aider à régler la question de la prise en charge de ce coût supplémentaire ?

Justement l'une de nos missions est de faciliter le dialogue entre les différentes parties prenantes pour les aider à déterminer qui doit prendre à charge ce surcoût lié à la crise sanitaire, notamment dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. Dans le cadre des mesures de soutien aux entreprises du BTP, le Premier ministre a adressé le 9 juin 2020 une instruction aux maîtres d'ouvrage de l'Etat pour leur demander de négocier rapidement avec les entreprises une prise en charge d'une partie des surcoûts directs liés à l'arrêt des chantiers et au respect des mesures sanitaires dans la reprise de leur exécution. Là encore, notre rôle n'est pas celui d'un arbitre ou d'un juge mais d'éviter que le conflit s'envenime.

La rebond de l'économie qui s'annonce lent et périlleux et l'arrivée de l'été ne risquent-ils pas encore d'enfoncer les entreprises dans la difficulté ?

Chaque semaine est déterminante. Avec l'arrivée des vacances et l'absence de visibilité à la rentrée, beaucoup de PME et TPE déjà sous pression risquent de se retrouver en très grande difficulté. Face à cette urgence, j'appelle tous les grands acteurs, grandes entreprises et collectivités, à multiplier les appels d'offre au cours du mois de juillet même si ce n'est pas toujours évident.

La pandémie a provoqué un report du second tour des élections municipales et le renouvellement des équipes d'élus dans les grandes métropoles notamment. Comment-faire ?

Justement, il ne faut pas que les conseils municipaux tardent à se mettre en place et prennent des décisions. Beaucoup de fournisseurs sont en attente de visibilité pour la rentrée. Si des décisions ne sont pas prises rapidement, le chômage partiel risque de se transformer en licenciement au mois de septembre.

Lire aussi : Energie : le médiateur inquiet d'une recrudescence des factures impayées

Grégoire Normand
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