Comment amortir les 1.900 milliards de dollars du plan de relance américain, les 750 milliards d'euros du plan européen, les 100 milliards prévus à date par l'État français...? Après le choc de l'arrêt de l'activité, les gouvernements, qui ont massivement recours aux rachats de titres de dette publique opérés par la BCE sur le marché secondaire pour soutenir les entreprises face au Covid-19, font le même constat : dette et déficit explosent, au risque de laisser des stigmates sur plusieurs générations. En France, il ont tous deux été portés respectivement à près de 120% du PIB fin 2020 et à plus de 211 milliards d'euros, soit un déficit qui a triplé par rapport à 2019, note l'Insee.
Tandis que la reprise de la croissance est conditionnée à la vaccination, il s'agit donc de s'assurer un nouveau courant de rentrées fiscales. Or, en première ligne de la croissance attendue à 5,5% en 2021 au niveau mondial par le FMI, se trouvent les entreprises censées remplir leurs carnets de commandes.
Une manne potentielle que les gouvernements - même ceux traditionnellement « pro business » comptent ponctionner face aux trous d'air laissés par la pandémie. Ainsi, avec Joe Biden, de 21%, l'impôt sur les sociétés - torpillé par Donald Trump pour son « America First », après les 35% sous Obama, - passera à 28% avec le retour des démocrates. Tel le "New Deal" de la Grande Répression sous Roosevelt, Joe Biden veut réactiver la croissance en finançant de nouvelles infrastructures. Recette attendue : 1.000 milliards de dollars supplémentaires pour l'Etat sur quinze ans.
Le levier de l'IS moins évident en France
De même, de 19%, l'imposition des sociétés au Royaume-Uni passera à 25% d'ici à deux ans, pour les grandes et moyennes structures. Objectif : financer une partie de l'énorme déficit public causé par les mesures d'aides, tout en laissant une imposition à 19% pour les petites structures, avait indiqué le ministre des Finances britannique.
Championne des prélèvements obligatoires des pays de l'OCDE, la France dispose d'une marge de manœuvre plus réduite - avec un IS qui doit déjà progressivement passer (auparavant à 33%) à 25% en 2022 pour toutes les entreprises.
Prudent, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a évoqué cette possibilité en misant d'abord sur les gains de la reprise : « si demain (...) les entreprises renouent avec la croissance, ont une croissance supplémentaire, et donc que les recettes de l'impôt sur les sociétés augmentent, est-ce qu'il ne serait pas efficace, est-ce qu'il ne serait pas juste, de consacrer une part de l'augmentation de cet impôt sur les sociétés (...) au remboursement de la dette Covid ? », a-t-il avancé.
Biden veut rester l'ami des grandes fortunes
Aussi, l'impôt sur les sociétés au niveau national n'est pas le seul levier envisagé pour récupérer les fruits de la croissance. La secrétaire d'État Janet Yellen souhaite, au niveau mondial, que le G20 trouve un accord pour adopter de manière collective un taux d'imposition minimal pour les entreprises, a-t-elle annoncé lundi. Le projet d'accord concerne tous les secteurs d'activité, mais, en ligne de mire, les grands gagnants en 2020 de la pandémie et de la numérisation accélérée de l'économie.
Ainsi, Amazon, deuxième plus grand employeur américain a quasiment doublé son bénéfice net à 21 milliards de dollars en 2020, grâce à l'explosion de la demande par temps de fermeture de magasins physiques.
Dans cette chasse inédite aux bénéfices au pays des entrepreneurs, Joe Biden a dû d'ailleurs rappeler qu'il n'avait "rien contre les millionnaires et les milliardaires". Mais de critiquer les "plus grandes entreprises du monde, dont Amazon", qui "utilisent diverses astuces juridiques et ne paient pas un seul centime d'impôt fédéral sur les bénéfices".
"Nous soutenons une hausse de l'impôt sur les sociétés", lui a répondu le fondateur d'Amazon Jeff Bezos mardi dans une déclaration publiée par son groupe sur Twitter.
Cette proposition a même été saluée par l'Allemagne, première économie européenne. L'UE reste un continent fiscalement hétérogène, où l'Irlande joue sa propre partition en matière de taxation attractive pour les géants de l'Internet.
La France s'est aussi montrée favorable à la surtaxe spéciale Covid créée au niveau mondial, la défendant depuis le début du quinquennat Macron.
Taxer les riches et les gagnants de la pandémie
Dans la foulée, le FMI va encore plus loin. Les gouvernements, qui ont besoin de ressources supplémentaires pour continuer à aider les plus vulnérables pour sortir de la crise, pourraient augmenter les impôts sur les plus riches ou les entreprises ayant fait plus de bénéfices pendant la pandémie, recommande-t-il mercredi.
"La pandémie a accru les inégalités, et les gouvernements ont dû fournir un soutien" financier important aux personnes et aux entreprises les plus durement touchées, a déclaré Paolo Mauro, un des responsables des affaires budgétaires au FMI lors d'une conférence de presse.
Il est "nécessaire de mobiliser des recettes fiscales supplémentaires" pour les redéployer à travers les soins de santé, l'éducation, les filets de sécurité sociale, a-t-il ajouté.
Pour ce faire, le FMI conseille, comme il l'avait fait en octobre, la mise en place d'une fiscalité provisoire sur les revenus les plus élevés pour aider les gouvernements à répondre à ces besoins de financement.
"Nous avons également constaté une érosion de l'imposition des revenus personnels pour les personnes se situant tout en haut de l'échelle des revenus", a-t-il ajouté.
"Ainsi, dans les économies avancées, il y a une opportunité d'inverser" cette tendance en augmentant à la fois l'impôt sur le revenu des sociétés et des particuliers les plus riches, en éliminant les niches fiscales, en augmentant les impôts fonciers ou les droits de succession, a-t-il détaillé.
"Il y a tout un éventail d'options disponibles", a-t-il poursuivi.
Pour tempérer cette chasse aux plus fortunés, le FMI précise que plus de 1.000 milliards de dollars de recettes fiscales supplémentaires pourraient être générées d'ici 2025 à l'échelle mondiale si tous les pays parvenaient à maîtriser la pandémie plus tôt que prévu.
"La vaccination est donc plus que rentable, car elle offre un excellent rapport qualité-prix aux fonds publics investis pour accélérer la production et la distribution mondiales de vaccins", commente l'institution de Washington.
(Avec AFP et Reuters)