« Ce n'est pas un budget de rigueur, ce n'est pas un budget de facilité, c'est un budget responsable et protecteur dans des temps de grande incertitude ». Le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a voulu se montrer rassurant lors la présentation du premier budget du nouveau quinquennat d'Emmanuel Macron ce lundi 26 septembre. Huit mois jour pour jour après l'éclatement de la guerre en Ukraine, « l'économie française résiste », a insisté le locataire de Bercy dans la tour de l'hôtel des ministres.
Depuis la fin du mois d'août, Bruno Le Maire ne cesse d'insister sur les indicateurs jugés « favorables » de l'activité tricolore. « La consommation des ménages a rebondi, les investissements se maintiennent », a poursuivi le ministre. Alors que la menace de récession se propage partout en Europe, le gouvernement d'Elisabeth Borne est déterminé à garder le cap budgétaire fixé par le président de la République lors de la campagne présidentielle. Bruno Le Maire et le ministre en charge des Comptes publics Gabriel Attal entendent tenir « la ligne économique », c'est-à-dire la politique de l'offre, qui a donné « des résultats sur la croissance, l'emploi et l'investissement ».
Pourtant, la plupart des économistes ont révisé à la baisse leurs prévisions macroéconomiques pour la France. Ce lundi, l'OCDE a dégradé son chiffre de croissance du PIB tricolore à 0,6% pour 2023 contre 1,4% en juin dernier. A ce rythme, l'économie française pourrait plonger en récession si la guerre en Ukraine se prolonge et que le robinet du gaz russe se coupe complètement dans les semaines à venir. De son côté, le gouvernement a maintenu sa prévision à 1% pour l'année prochaine. Du côté de l'indice des prix, les prévisionnistes du Trésor tablent désormais sur une inflation de 4,2% en moyenne annuelle en 2023 contre 5,3% en 2022.
Des dépenses en hausse de 40 milliards d'euros par rapport à la LFI 2022
Sur le front des dépenses globales, l'exécutif prévoit un bond des dépenses de près de 40 milliards d'euros entre la loi de finances initiale en 2022 (LFI 2022) et le PLF 2023 passant de 461,5 milliards d'euros à 500,2 milliards d'euros l'année prochaine. Evidemment, cette enveloppe pourrait être amenée à gonfler en fonction de l'évolution du contexte géopolitique et des prix de l'énergie.
Parmi les principales mesures confirmées ce lundi figure le bouclier tarifaire. Ce dispositif destiné à amortir l'impact des prix de l'énergie sur le budget des ménages devrait limiter les factures de gaz et d'électricité à 15% à partir de janvier 2023. Le coût brut de ce bouclier est estimé à 45 milliards d'euros mais Bercy compte bien récupérer une partie de cette somme via un mécanisme spécifique appliqué notamment au secteur des énergies renouvelables.
Pour résumer, quand le prix de marché est inférieur au prix de rachat garanti par l'Etat, des compensations sont versées aux sociétés. Inversement, lorsque les prix de marché sont supérieurs au prix de rachat, ce sont les opérateurs qui redonnent des recettes à l'Etat. Au final, le coût net pour l'Etat pourrait s'élever à 16 milliards d'euros. Pour les ménages, la mise en œuvre du chèque énergie de 100 ou 200 euros pourrait représenter un montant de 1,8 milliard d'euros. Cette mesure ciblée sur les ménages les plus modestes devrait permettre de compenser un bouclier tarifaire moins généreux qu'en 2022. Enfin, le ministre de l'Economie a confirmé l'indexation du barème de l'impôt sur le revenu sur l'indexation. « Le revenu disponible après impôt restera le même pour tous les ménages même si leur salaire augmente », a déclaré Bruno Le Maire. Cette mesure devrait représenter un coût de 6 milliards d'euros environ. Il faut néanmoins rappeler que la plupart des salaires en France, hormis le SMIC sont désindexés sur l'inflation depuis les années 80. Résultat, le revenu réel des salariés, c'est-à-dire en prenant en compte l'inflation, continue de reculer pour la plupart des catégories professionnelles. L'Insee prévoit ainsi un recul du pouvoir d'achat par unité de consommation de 1% cette année.
Du côté des entreprises, l'exécutif a garanti que toutes les entreprises « qui possèdent un chiffre d'affaires inférieur à 2 millions d'euros et comptent moins de 10 salariés, continuerons à bénéficier du tarif régulé de vente avec une hausse contenue de 15% ». Bruno Le Maire a également expliqué que le guichet pour les aides aux entreprises sera simplifié dès le 3 octobre prochain « pour toutes les périodes passées ». Pour être éligibles, les entreprises doivent prouver que l'énergie représente 3% du chiffre d'affaires en 2021 et doivent accuser une baisse du résultat d'exploitation sur un mois et non plus trois mois comme auparavant.
La Défense, la Sécurité et la Transition écologique en hausse
Dans les tableaux fournis par Bercy, les missions régaliennes de l'Etat semblent profiter des hausses de crédits prévues par l'exécutif. La mission « Sécurité » bénéficient ainsi d'une hausse de ses subsides de 1,6 milliard d'euros entre la LFI 2022 (loi de finances) et le PLF 2023 pour passer de 14,7 milliards d'euros à 16,3 milliards d'euros. Du côté de la Défense, les crédits vont bondir de 3 milliards d'euros dans le contexte de la guerre en Ukraine. L'enveloppe devrait ainsi passer de 40,9 milliards d'euros en LFI 2022 à 43,9 milliards d'euros en 2023 et 47 milliards d'euros en 2024. La mission enseignement scolaire va également enregistrer une hausse substantielle de ses crédits, passant de 56,5 milliards d'euros à 60 milliards d'euros suite aux annonces de l'exécutif sur le salaire des enseignants. Ces derniers ne devraient plus débuter leur carrière avec un salaire inférieur à 2.000 euros à partir de 2023.
Enfin, la mission « Ecologie, développement et mobilités durables » voit également son enveloppe gonfler passant de 20,6 milliards d'euros à 26,5 milliards d'euros (+5,9 milliards d'euros). Le ministre de l'Economie a cependant reconnu que « ce budget penchait encore trop vers les énergies fossiles. Il faut le reconnaître mais cela ne peut que nous engager vers une trajectoire de réduction des émissions de C02 », a-t-il reconnu.
Des recettes en hausse de 38 milliards d'euros par rapport à la LFI 2022
Sur le front des recettes, elles devraient bondir de 38 milliards d'euros entre la loi de finances initiale 2022 et le projet de loi de finances 2023. Dans le détail, la principale hausse concerne l'impôt sur les sociétés, passant de 40,2 milliards d'euros à 55,2 milliards. Malgré la baisse du taux d'IS ces dernières années, les entreprises ont affiché des résultats imposables relativement élevés. Bruno Le Maire a également confirmé la suppression progressive sur deux ans de la Contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) avec 4 milliards d'euros en 2023 et 4 milliards d'euros en moins en 2024. En revanche, le sujet explosif de la taxe sur les superprofits n'a pas été évoqué par les deux ministres lors du point presse. Sur ce point, les membres de la Nupes risquent de revenir à la charge lors de la rentrée parlementaire prévue début octobre.
Cette rentrée sera notamment marquée par les conclusions de la mission flash menée par les députés Manuel Bompard (LFI) et David Amiel (Renaissance). Pendant deux semaines, les deux parlementaires ont passé sur le grill les représentants des filières énergétiques (UFIP) et les géants du secteur (TotalEnergies, Engie). Du côté des ménages, les recettes issues de l'impôt sur le revenu sont également en hausse, passant de 82,4 milliards d'euros à 86,9 milliards d'euros. En revanche, les recettes fiscales issues de la TVA devraient fondre de 1 milliard d'euro, passant de 98,4 milliards d'euros à 97,4 milliards d'euros. La nouveauté de ce PLF est que les prix du tabac vont être indexés sur l'inflation. Le prix du paquet pourrait désormais atteindre 11 euros. Au total, l'exécutif table sur un maintien du déficit à 5% du PIB en 2023 comme en 2022, une dette à 111,2% du PIB l'année prochaine contre 111,5% cette année. Les ministres ont également promis une baisse de la dépense publique passant de 57,6% du PIB en 2022 à 56,6% en 2023.
Des prévisions taclées par le haut conseil des finances publiques
Dans un avis sévère dévoilé ce lundi 26 septembre, le Haut conseil des finances publiques (HCFP) a taclé les prévisions macroéconomiques du gouvernement. Ce dernier a maintenu sa prévision de croissance de 1% en 2023. Les experts du HCFP jugent les projections macroéconomiques inscrites dans la loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027 « optimistes ». Cette croissance suppose « des effets importants et immédiats des réformes (du revenu de solidarité active, des retraites, de l'assurance-chômage, de l'apprentissage) dont ni les modalités, ni les impacts, ni les calendriers sont documentés » ont épinglé les magistrats.
Pendant le point presse, Bruno Le Maire a beaucoup insisté sur les réformes de l'assurance-chômage et des retraites sans vraiment apporter de détails sur le plan de travail de l'exécutif. Beaucoup de flous demeurent sur le calendrier et les objectifs de ces deux chantiers hautement inflammables. La Première ministre Elisabeth Borne doit recevoir cette semaine les ministres concernés et les responsables de la majorité sur la question épineuse des retraites.
Un budget à l'épreuve du parlement
Pour la première fois en six ans, le gouvernement ne pourra pas compter sur une majorité absolue au parlement pour faire voter son budget. Sans surprise, plusieurs partis d'opposition (Nupes, RN) ont déjà fait savoir qu'ils n'allaient pas voter ce budget. « Jamais un gouvernement n'avait transmis autant d'informations aux membres de l'opposition avant la présentation du PLF en conseil des ministres. Pour des raisons de symbole politique, ils nous ont dit que les oppositions ne voteront pas ce budget. Le symbole politique n'a jamais rempli les frigos ou fait baisser la facture des Français », a répondu Gabriel Attal lors de la présentation aux journalistes.
Plus inquiétant pour le gouvernement, les députés de la majorité présidentielle membres du MoDem de François Bayrou pourraient s'abstenir si l'exécutif décide de passer en force sur la réforme des retraites. De son côté, Bruno Le Maire estime que « le gouvernement n'a pas de marges de manœuvre dans la fiscalité ou la dépense publique. En revanche, nous avons des marges de manœuvre dans le travail » a-t-il expliqué en faisant un appel du pied aux députés de la droite (Les Républicains). Le numéro deux du gouvernement indique qu'il y a « encore une voie étroite pour passer sans 49-3 ».