Le marché du travail français continue de déjouer les pronostics. En dépit d'un fort ralentissement économique en 2024, les entreprises prévoient d'embaucher des cadres à tour de bras. « Le scénario d'une forte reprise économique n'est pas à l'ordre du jour. C'est l'investissement des entreprises qui traditionnellement contribue à l'embauche des cadres. Or, les dépenses d'investissement pourraient reculer en 2024, selon les chiffres de la Banque de France. Malgré ce contexte pas très réjouissant, on a une bonne surprise avec 337.000 embauches prévues en 2024 », a déclaré la directrice générale adjointe de l'APEC, Laetitia Niaudeau, lors d'un point presse ce mardi 2 avril.
Pour rappel, les entreprises avaient prévu de recruter 330.000 cadres en 2023 et 308.000 en 2022. Il s'agit certes d'un ralentissement par rapport aux deux années précédentes. Mais l'emploi cadre demeure à un niveau très élevé au regard des chiffres sur les deux précédentes décennies. « Après trois années atypiques liées au rattrapage des années Covid, on arrive à une forme de plateau avec une dynamique au ralenti. C'est une bonne surprise qui peut masquer des dynamiques différentes selon les secteurs », poursuit la spécialiste.
Ces projections sont d'autant plus étonnantes que la Banque de France et l'Insee anticipent une hausse du chômage dans les mois à venir. Le débranchement des aides Covid et les sombres perspectives ont incité les entreprises à appuyer sur le frein des embauches en 2023. L'Insee table sur une très faible hausse des recrutements au cours du premier semestre (+0,1%) après une année 2023 au ralenti.
Les services à forte valeur ajoutée dans le vert, la construction dans le rouge
Sans surprise, les services à forte valeur ajoutée tirent les embauches vers le haut. C'est particulièrement le cas dans les activités informatiques et les télécommunications (+6% ; 76.200), l'ingénierie (+2% ; 44.500) ou encore les activités juridiques, comptables et conseil (+4%; 32.060). L'autre bonne nouvelle concerne l'industrie. En 2023, les industriels ont boosté leurs embauches de cadres (+15%).
En particulier dans la mécanique et la métallurgie, les entreprises ont musclé leurs recrutements l'année dernière. « Il y a sans doute des effets de réindustrialisation et aussi un décalage dans le temps du rattrapage post-Covid », souligne Gilles Gateau, directeur général de l'APEC. En revanche, la construction s'enfonce dans la crise. Frappées de plein fouet par la hausse des taux et le resserrement de la politique monétaire de la BCE, les entreprises anticipent une baisse des embauches de cadres en 2024.
Des difficultés de recrutement toujours élevées
Malgré un coup de frein économique, les entreprises expriment toujours des difficultés de recrutement. À la fin de l'année 2023, 72% des entreprises interrogées exprimaient des obstacles. C'est certes le plus bas niveau depuis 2021. Mais le marché de l'emploi des cadres reste extrêmement tendu. Face à ces difficultés, « les entreprises continuent d'assouplir les critères de recrutement », explique Gilles Gateau.
Près de la moitié (51%) des entreprises sont prêtes à revoir leur proposition de rémunération à la hausse. Sur ce point sensible, l'envolée des prix en France a remis au centre des négociations la question des hausses de salaire. Pour surmonter les difficultés d'embauche, 41% des entreprises sont également prêtes à recruter un cadre n'ayant pas toutes les compétences techniques.
Enfin un tiers affirment qu'elles peuvent embaucher un profil avec moins d'années d'expérience. « Les entreprises ont trop tendance à écarter les plus jeunes de leur processus de recrutement », regrette Gilles Gateau. Quant à l'emploi des seniors actuellement en plein débat chez les partenaires sociaux, Gilles Gateau considère que « l'âgisme est une injustice mais aussi une aberration économique ».
Une productivité en berne
Ces recrutements en hausse devraient avoir des répercussions sur la productivité du travail dans les entreprises. Dans une récente étude, les économistes de la Banque de France ont indiqué que la productivité en France avait baissé de 8,5% dans l'Hexagone depuis 2019. « L'évolution de l'emploi des cadres et celle de la croissance est déroutante depuis plusieurs années », admet Gilles Gateau, interrogé par La Tribune.
Pourquoi la productivité est-elle en berne aussi chez les cadres ? « Dans un contexte de difficultés de recrutement, les entreprises ont des comportements de rétention de main-d'oeuvre et veulent éviter de se retrouver en difficulté pour accueillir des nouvelles compétences ». Les entreprises sont « prêtes à accepter des pertes de productivité ». Reste à savoir si les entreprises vont pouvoir le faire longtemps.
Sur le front géographique, l'Ile-de-France concentre la moitié des prévisions de recrutement de cadres en 2024 (160.000). Viennent ensuite les régions Auvergne-Rhône Alpes (38.000) et Occitanie (19.980). « En Ile de France, les services à haute valeur ajouté sont le moteur de l'emploi cadre », souligne Laetitia Niaudeau. A l'opposé, le Centre-Val de Loire, les Hauts-de-France et le Grand Est sont à la peine en termes de dynamique avec des projections d'embauches en baisse pour 2024.L'Ile-de-France, moteur du recrutement des cadres