Consommation : la vente de jouets en seconde main en plein boom avec l’inflation et l’impératif écologique

La vente de jouets d’occasion n’est plus un marché de niche. Bien au contraire, la filière connaît un véritable essor, tirée par des parents sensibilisés aux enjeux écologiques ou qui, période d’inflation oblige, cherchent tout simplement à optimiser leur pouvoir d’achat. Enquête sur une tendance particulièrement visible en cette période de Noël.
Mathieu Viviani
Selon le cabinet de conseil Circana, un total de 25 millions de jouets d'occasion ont été vendus en 2022, pour un chiffre d'affaires en hausse estimé à 215 millions d'euros.

« En devenant père il y a un an, comme la plupart des parents, j'ai fait l'expérience des jouets que l'on ne garde pas dans le temps car les enfants grandissent très vite à cet âge-là ! L'idée de mon entreprise actuelle était née. Au-delà de l'aspect économique, son objectif principal est le suivant : relever le défi environnemental de la filière ». C'est avec ces mots que François Truong explique la genèse de la création de sa startup Kidibam, qui rachète et revend des jouets d'occasion, via une plateforme en ligne.

L'Agence française de la transition écologique (Ademe) valide la démarche de cet entrepreneur. D'après ses calculs, parmi les 110.000 tonnes de jouets jetés chaque année, 70% sont fabriqués à partir de matières plastiques. Par ailleurs, très peu de jouets sont recyclés, et ce, malgré les ambitions de la filière « REP » (pour « responsabilité élargie des producteurs »), mise en place par la loi du 10 février 2020, relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (la fameuse loi AGEC).

Une nouvelle opportunité économique

Pour les commerçants français du secteur, la seconde main est également une nouvelle opportunité économique. Le segment connaît en effet un vrai boom si l'on en croit le cabinet de conseil Circana. Celui-ci a publié l'année dernière une étude relativement complète sur cette tendance. D'après celle-ci, le marché français du jouet en seconde main a capté 4,7% des ventes en 2022. Un total de 25 millions de jouets d'occasion ont été vendus, pour un chiffre d'affaires estimé à 215 millions d'euros. Le tout, sur un marché tricolore global du jouet de 4,4 milliards d'euros (en baisse de 2,6% par rapport à 2021).

Lire aussiConsommation : face à l'inflation, le marché de la seconde main explose

L'enquête de Circana évalue le prix moyen d'un jouet en seconde main à 8,7 euros, soit « un prix en général moitié moins élevé qu'un jouet neuf », selon Jean Kimpe, délégué général de la Fédération des commerces spécialistes des jouets (FCJPE). Il précise par ailleurs : « Pour le moment, les principaux circuits de revente sont en ligne, via des sites comme Le Bon coin, Vinted, etc. Mais de plus en plus d'enseignes françaises de jouets, comme King jouet, Jouet club, ou encore Oxybulle, se mettent à la seconde main. Une dynamique haussière que j'observe depuis 2020. »

Et à en croire le cabinet de conseil, cette tendance ne va pas s'arrêter : celui-ci table sur 15% la part de marché tricolore du jouet en seconde main d'ici à 2030. D'après le délégué général de la FCJPE, le secteur français possède « un fort potentiel de croissance », mais « la tendance est globale en Europe ». Le Royaume-Uni aurait aussi été « précurseur ». Ce qui s'explique par les habitudes de cadeaux des parents britanniques. « Comme en France, ils en offrent pour les grandes fêtes comme Noël, mais aussi lorsque les enfants ont une bonne note à l'école », analyse Jean Kimpe.

Le pouvoir d'achat et l'écologie comme motivations

Cet essor du jouet en seconde main s'explique par des nouveaux comportements d'achat. Comment l'expliquer ? Pour en savoir plus, il faut se tourner vers les sondages de consommateurs. Publié mi-novembre, celui du cabinet IDM Families (filiale du groupe d'analyse économique XERFI), en partenariat avec la startup Kidibam, est assez illustrant. D'après cette enquête, la hausse de la seconde-main dans les jouets serait essentiellement tirée par deux biais : une prise de conscience écologique de plus en plus forte chez les parents (particulièrement chez « les plus aisés », commente Jean Kimpe), mais aussi l'inflation galopante (estimée par l'Insee à 3,4% en novembre), qui impacte leur pouvoir d'achat. Les foyers les plus modestes étant les premiers touchés.

Résultat, le sondage rapporte que 69% des parents français envisagent d'offrir un jeu d'occasion à Noël cette année, soit deux parents sur trois. Un chiffre cohérent avec les 69% de parents qui ont déjà offert des jeux-jouets d'occasion à Noël dans le passé. Parmi eux, 56% l'ont fait pour leur propre enfant et 28% pour un autre enfant que le leur. Le sondage note d'ailleurs que 86% des parents ont désormais confiance dans l'achat d'occasion pour leur enfant.

Le délégué général de la FCJPE insiste particulièrement sur ce fait : « Il y a quatre ou cinq ans, il y avait un vrai frein à l'achat sur les jouets d'occasion. L'hygiène et l'état global de ceux-ci étaient un vrai sujet pour les clients. Surtout sur les unités destinées aux tout petits enfants », plus enclins à être mâchouillés.

A ces deux paramètres, on peut ajouter l'absence de garantie et de service après-vente, ainsi que la difficulté de se faire rembourser.

Autant de raisons pour lesquelles Kidibam propose dans son service le lavage et la remise en état des jouets rachetés. « Ce service est inclus dans notre prestation. C'est déterminant dans l'acte d'achat. On garantit à nos clients des jouets d'occasion en bon état de marche, donc sécurisés, et propres », explique l'entrepreneur François Truong.

Avant de revendiquer : « C'est notre différence avec les sites web comme Le Bon coin ou Vinted, où l'état du produit n'est pas garanti à 100%. La démarche peut aussi se révéler chronophage sur ces plateformes. »

Les enseignes classiques s'y mettent

Du côté des grandes enseignes tricolores du jouet, le filon de la seconde main a aussi été identifié. King jouet, Oxybul, Jouéclub, trois des plus importants acteurs du secteur, ont tous ouvert un service dédié. En 2023, l'entreprise familiale Jouéclub a ainsi doté 130 de ses 300 magasins d'un comptoir de rachat de jouets d'occasion. Baptisé « TrocOjoué », il propose aux clients de récupérer leurs jeux pour enfants contre un bon d'achat valable un an.

A l'heure actuelle, cette activité de rachat/revente représente moins de 1% du chiffre d'affaires de l'entreprise. Mais la démarche plait à de plus en plus de ses clients, sensibles aux enjeux de l'économie circulaire. Répondre à cette nouvelle attente permet de mieux les fidéliser et d'améliorer l'image de marque de la société. A tel point que son patron prévoit de généraliser les « TrocOjoué » à l'ensemble de ses magasins d'ici à 2024.

Des « best-sellers » parmi les jeux d'occasion

Quels sont les jouets d'occasion les plus recherchés ? A cette question, pas de réponse toute faite tant les choix d'achat sont divers. François Truong de Kidibam constate quelques « best-seller » comme les figurines Barbie, Playmobil, les Lego à construire ou encore les Duplo, dont le succès traverse les générations.

« C'est simple, lorsqu'on met un carton en ligne pour ce type de références, il est vendu dans l'heure », précise cet ancien du cabinet de conseil Fabernovel (filiale de EY). « Onéreux en version neuve, les jouets d'éveil en bois pour les 0-3 ans marchent bien aussi », ajoute-t-il.

Lire aussiL'inflation percute le marché du jouet, il manque encore 60% du chiffre d'affaires

Le délégué général de la FCJPE fait le même constat sur les jouets haut de gamme en général. Les jeux de société (Times up, Cluedo, Risk, etc) font aussi partie des meilleures ventes en occasion. Par ailleurs, les ventes et rachats du segment sont particulièrement tirés par la tranche d'âge 0-6 ans, ce qui s'explique par la croissance rapide de l'enfant.  « Un jouet pour un enfant de 12 mois n'est pas le même qu'à 36 mois », rappelle François Truong.

Un essor bien au-delà de la filière des jouets

Le secteur des jouets d'occasion est loin d'être le seul à être touché par le phénomène de la seconde main. La filière est même tirée par une tendance beaucoup plus globale, qui s'est intensifiée à partir de 2020, au moment de la pandémie de covid. D'après une récente étude de la société de services financiers Tripartie et du cabinet Wavestone, le chiffre d'affaires mondial du secteur a atteint 105 milliards d'euros l'année dernière. Cela équivaut à un essor de 22 % par rapport à 2020. Autre donnée à avoir en tête : 34 milliards de ces ventes sont accaparées par la mode d'occasion, faisant du secteur le moteur principal de ce marché.

Lire aussiPrêt-à-porter : après l'hécatombe, le triomphe des enseignes « ultra low cost » et de la seconde main

En France, le cabinet d'études Enov a tenté d'identifier les autres produits d'occasion plébiscités. Les produits culturels et les meubles et décorations d'intérieur sont sur le même podium que les vêtements. Vient derrière les produits électroniques reconditionnés (boosté par des acteurs comme le Français BackMarket), les outils de bricolage, l'informatique de bureau, et l'électroménager.

La plupart des études sur le secteur se rejoignent aussi sur ce constat : à une écrasante majorité, les plateformes en ligne constituent le premier canal de vente de la seconde main, et ce, peu importe le type de produits. A tel point que certains experts estiment que la croissance de la seconde main est directement liée à celle, ininterrompue, de la vente en ligne. Ce que confirme la Fédération française du e-commerce et de la vente à distance (Fevad), pour qui un cyberacheteur sur deux (49%) déclare avoir déjà acheté un produit de seconde main. La révolution de la seconde main est en bonne en route.

Mathieu Viviani
Commentaire 1
à écrit le 18/12/2023 à 8:00
Signaler
C'était déjà en cours non par vertu mais par consumérisme aiguë, les gens pouvant acheter beaucoup plus également du fait de tout cs petits prix, comme "shein" comme "action" et-c... Si en période de crise ils se recentrent vers l'occasion tant mieux...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.