
« Le pouvoir d'achat est la préoccupation numéro un des Français ». Lors de la conférence sociale organisée au Palais d'Iena le 16 octobre dernier, la secrétaire de la CFDT Marylise Léon sonnait l'alerte devant la Première ministre Elisabeth Borne entourée d'un parterre de ministres et syndicalistes. « Enfin, on parle salaire. Il était temps ! », poursuivait Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT avant une journée d'âpres négociations. A l'issue de ces échanges marathon, la cheffe du gouvernement avait mis la pression aux patrons pour revaloriser les bas salaires. Mais les tensions sont loin d'être retombées.
L'inflation a certes marqué le pas en Europe et en France. Mais les prix dans l'alimentaire et l'énergie continuent de frapper de plein fouet un grand nombre de Français. Et le conflit au Proche-Orient entre le Hamas et Israël pourrait maintenir les prix du pétrole à un niveau élevé. Dans ce contexte, des économistes réunis dans les locaux de France Stratégie lors d'un séminaire ce mardi 21 novembre ont tiré la sonnette d'alarme. « A l'international, les salaires réels baissent (en tenant compte de l'inflation), malgré la croissance des salaires nominaux. La baisse des salaires réels concerne tous les pays de l'OCDE avec en moyenne un recul de 3,8% pour le premier trimestre 2023 », a déclaré Sandrine Cazes, économiste à l'OCDE. « En France, la baisse des salaires réels a été relativement modeste au deuxième trimestre en raison du bouclier tarifaire et de l'inflation relativement contenue [...] L'inflation affecte particulièrement les salariés au bas de l'échelle car ils ont peu de réserves d'épargne ».
La question cruciale des branches non conformes
Ces derniers mois, de nombreuses branches ont affiché des minima inférieurs au SMIC en France. Etant donné que le Smic augmente plus vite (avec l'inflation, sur laquelle il est indexé) que le reste des salaires, certains minima de branches sont rattrapés, générant un « tassement » des salaires. « Le SMIC fixe un salaire plancher national et sa revalorisation est indexée sur l'inflation. Lorsque le SMIC se retrouve au dessus de plusieurs minimas de branche, on parle de non conformité des branches », a rappelé Erwan Gautier, économiste à la Banque de France.
Constatant que « la non conformité avait globalement diminué au cours des années 2010 en partie sous l'effet d'un SMIC moins dynamique », l'économiste a pointé « l'absence de négociations pendant la période Covid » et « des revalorisations très fréquentes du SMIC sous l'effet de l'inflation». Résultat, beaucoup de travailleurs dans certains secteurs comme la coiffure se sont retrouvés avec des salaires inférieurs au salaire minimum. « La hausse rapide du SMIC et la non conformité de certaines branches ont débouché sur des tassements des grilles de branches », a résumé l'économiste. Mises sous pression par le gouvernement, les branches non conformes doivent rapidement présenter un plan d'action sous peine de ne plus pouvoir profiter de certaines exonérations sociales, a prévenu Elisabeth Borne.
Partage de la valeur : « pas une solution magique »
Face à l'envolée des prix, le gouvernement a toujours exclu l'indexation des salaires sur l'inflation, au grand dam des syndicats comme la CGT. En revanche, l'exécutif a toujours promis les dispositifs de partage de valeur (prime, intéressement, participation, actionnariat salarié). Dans un vote solennel prévu ce mercredi 22 novembre, l'Assemblée nationale doit voter le texte législatif retranscrivant l'accord national interprofessionnel signé en février dernier par la plupart des syndicats, sauf la CGT en raison « du refus du gouvernement et du patronat de ne pas traiter de la question des salaires ».
Les dispositifs de partage de la valeur « ne sont pas une solution magique », a affirmé Yves Barou, économiste et président du Cercle des DRH européen. La part des salariés touchant la prime de pouvoir d'achat a bondi passant de 14% à 27% entre 2021 et 2022. « Ces primes ont soutenu la rémunération sans contribuer à la boucle prix salaire » a noté Erwan Gautier . « Mais il y a d'importantes différences sectorielles ». Autant dire que les tensions salariales en période d'inflation risquent de perdurer.
Un recul inédit des salaires depuis 27 ans dans le privé Le salaire réel, en tenant compte de l'inflation, a reculé de 1% en 2022 . Il s'agit d'un recul historique de 27 ans selon l'Insee. Toutes les catégories professionnelles dans le secteur privé ont été frappées par ce repli, à l'exception des salariés au niveau du SMIC. Et les derniers chiffres de la direction statistique du ministère du Travail montrent également que les salaires ont reculé au cours du troisième trimestre 2023.