Inflation, grippe aviaire… Comment les grossistes de Rungis préparent l’arrivée des fêtes de fin d’année

REPORTAGE - Rungis, lieu unique au monde, pesant plus de 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel, une période cruciale s'ouvre pour les grossistes qui vendent leurs produits auprès des professionnels - commerçants et restaurateurs. Jusqu’à présent, les premiers signes s’avèrent encourageants en vue de Noël et du jour de l’An. Mais, qu’il s’agisse des fruits, légumes ou de la viande, si les professionnels peuvent tirer leur épingle du jeu, il leur faut sans cesse s'adapter face aux aléas qui ont marqué ces dernières années.
Pauline Chateau
Durant les fêtes de fin d'année, certains grossistes engrangent parfois jusqu'à 30% de leur chiffre d'affaires annuel en un mois.
Durant les fêtes de fin d'année, certains grossistes engrangent parfois jusqu'à 30% de leur chiffre d'affaires annuel en un mois. (Crédits : Pauline Chateau / La Tribune)

Au petit matin, le Marché International de Rungis donne l'impression - au premier abord - d'un village endormi, où défilent les rues et les avenues aux noms sans équivoque. Très vite, néanmoins, les doutes sont dissipés devant le ballet incessant des transpalettes manuels et le chargement des poids lourds frigorifiques de denrées alimentaires, d'un pavillon à l'autre. À l'heure où l'inflation est encore sur toutes les lèvres - en hausse de 3,4% en novembre sur un an, selon les derniers chiffres de l'Insee -, les salariés sont à pied d'œuvre, depuis minuit pour certains.

Outre les affaires courantes, les grossistes et l'entreprise chargée d'administrer le Marché International de Rungis - 13.000 salariés et 10,2 milliards d'euros de chiffres d'affaires -, et d'organiser ses activités commerciales (Semmaris), s'activent déjà en vue des fêtes de fin d'année. Objectif, séduire les professionnels (restaurateurs et commerçants). Les guirlandes lumineuses et les quelques sapins dans les enclos, à l'extérieur des pavillons horticoles, donnent déjà le ton.

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 « Bientôt, les parkings seront remplis de sapins : un sapin sur trois en France vient de Rungis, s'enthousiasme Stéphane Layani, PDG du Marché International de Rungis, non sans fierté, à l'occasion d'une visite de presse. J'ai l'impression que les opérateurs sont prêts. Nous attendons jusqu'à 50.000 visiteurs par nuit, contre 25.000 à 30.000 en temps normal. »

Une inflation en pleine « décélération »

De fait, les fêtes de fin d'année constituent un enjeu de taille. « Certains grossistes réalisent parfois jusqu'à deux mois de chiffre d'affaires en un mois », fait remarquer le patron du gigantesque marché de gros. « Noël représente 25 à 30% de notre chiffre d'affaires annuel », illustre Frédéric Masse, grossiste spécialisé dans le foie gras, dont le chiffre d'affaires dépasse le million d'euros. Or, ces dernières années, les opérateurs ont dû serrer les dents, compte tenu de la flambée des prix à la consommation, accélérée par la hausse des prix de l'énergie. « Je pense être au clair sur l'inflation : elle est continue depuis deux ans, mais depuis quelques mois, nous observons une décélération. Il faut avoir à l'esprit que cela n'a pas beaucoup de sens d'en parler de manière globale », nuance-t-il, insistant sur les répercussions de la hausse des prix et les problématiques propres à chaque filière.

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Un constat largement partagé au fil de la déambulation parmi les pavillons. A l'image de celui de la marée, consacré aux produits issus de la pêche, un des premiers à s'activer chaque nuit. « L'inflation est derrière nous : l'offre est là, balaie Stéphane Reynaud, patron de la maison centaine éponyme (300 millions d'euros de chiffre d'affaires et plus de 30.000 tonnes de produits vendus chaque année), servant des poissonneries et des restaurateurs en France et à l'étranger. Certains de nos produits, comme les huîtres et les crevettes, ont vu leur prix baisser de plusieurs euros, par rapport aux années précédentes. »

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[A Rungis, les fêtes de fin d'année constituent un enjeu de taille. P.C.]

Attentisme des acheteurs

Pour autant, les consommateurs ne seront pas certains de trouver en grand nombre certaines espèces, comme le turbot. En effet, ce dernier boude les filets des pêcheurs après les violentes intempéries qui ont traversé l'ouest et le nord de la France. « Il faut vendre ce que la mer nous donne : la surconsommation, c'est fini », martèle Franck Violleau, responsable achat de la Maison Reynaud, citant le barbu, la vieille et le lieu jaune. Outre la crevette et les huîtres, la coquille Saint-Jacques est, elle aussi, largement présente dans les bacs en plastique colorés, son prix étant resté stable. Et pour ceux dont les bourses sont vraiment limitées, il restera toujours les amandes de mer, un mollusque à la chair « plus caoutchouteuse », certes, mais vraiment bon marché, nous glisse un vendeur.

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Reste à savoir si la demande sera au rendez-vous. Sur le sujet, l'intégralité des grossistes rencontrés témoigne d'un certain attentisme. « Les repas se font bien souvent à la dernière minute durant les fêtes, mais cela requiert un minimum d'anticipation de nos clients, ne serait-ce que pour que nous puissions congeler », avertit Véronique Gillardeau, qui a repris la Maison Blanc en 2019.

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[La coquille Saint-Jacques est largement présente sur les étals, son prix étant resté stable. P.C.]

Le marché de gros sous pression

À quelques encablures, le secteur de la volaille ne perçoit plus l'inflation comme une problématique majeure, les effets de la dernière épidémie de grippe aviaire s'étant dissipé - et celle en cours n'ayant pas eu d'effets sur la production déjà en rayon et sur les étals des grossistes. Là aussi, les grossistes ont commencé à mettre en valeur leurs produits stars des fêtes : chapons, oies, foie gras...

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Même son de cloche pour les fruits, où les opérateurs mettent le cap sur le Pérou pour les mangues - qui promettent toutefois d'être très chères en cette fin d'année, compte tenu des récoltes avancées -, La Réunion pour les litchis... sans oublier la Corse pour les clémentines. Ces agrumes accusent une « hausse de 8% cette année, du fait de la sécheresse et du calibre plus petit des fruits », prévient néanmoins Alain Alarcón, patron de Banagrumes (23.000 tonnes de fruits vendus par an).

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[Les clémentines en provenance de Corse. P.C.]

Et si l'effet de l'inflation s'est atténué dernièrement, les grossistes - quelle que soit la filière - de Rungis n'ont parfois eu d'autre choix que de rogner sur leurs marges pour lutter contre la hausse des prix ces dernières années. « Le prix a toujours été un facteur supérieur à la qualité, et encore plus en restauration, on n'achète pas à n'importe quel prix », témoigne Franck Violleau de la Maison Reynaud. Même son de cloche chez LPN Volaille, spécialiste des volailles entières. « Ça ne sert à rien de matraquer sur la quasi-totalité de toutes les gammes : la concurrence est trop rude », soutient un vendeur.

Et pour cause, les règles du marché de gros sont bien différentes du marché de détail, puisque l'enjeu est d'obtenir un volume conséquent, une fois la journée achevée : le prix est négocié par l'acheteur en temps réel, et fluctue au jour le jour, en fonction de la demande et de l'offre des autres grossistes.

Outre le facteur prix - incontournable -, les grossistes optent parfois pour une stratégie complémentaire : développer et proposer de nouveaux produits pour leurs clients, à destination de clients moins aisés. A l'image des ravioles au foie gras et à la truffe pour la Maison Masse ou des barquettes de champignons pour la Maison Butet.

De manière générale, « le marché de Rungis est bien moins cher que ses concurrents, car les produits sont bruts », souligne Stéphane Layani. Il précise : « Et notre impact en énergie et en salaires est moindre ». Il ne rate pas une occasion d'égratigner au passage les négociations commerciales annuelles entre la grande distribution et les industriels - dont l'échéance a été avancée en début d'année, et non au 1er mars 2024 pour l'année à venir, après un vote du Parlement. « Le marché de Rungis est un marché de gros, qui permet une discussion directe entre l'offre et la demande, on évite ainsi les effets de cliquet », vante-t-il. Signe que l'inflation n'est pas encore totalement écartée néanmoins, le patron de Rungis a tout de même convié le chef étoilé Pierre Sang à concocter un menu de fêtes pour moins de 25 euros par personne, pour l'occasion.

Pierre Sang et Stéphane Layani

[Stéphane Layani, PDG du Marché International de Rungis et le chef étoilé Pierre Sang. P.C.]

Pauline Chateau
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