Crise de l'hôpital public : pourquoi le recours aux intérimaires est controversé

L'hôpital public peine à recruter. La quasi-totalité des établissements de santé rencontrent des difficultés actuellement, selon une enquête publiée la semaine dernière par la Fédération hospitalière des hôpitaux publics (FHF). Pour pallier ces manques, de nombreux établissements ont recours à des praticiens et soignants intérimaires. Une pratique qui devient aujourd'hui « colossale » et problématique, selon les représentants de l'hôpital public. Explications.
Les urgences, avec les gardes de nuit, sont particulièrement concernées par la pénurie de soignants.
Les urgences, avec les gardes de nuit, sont particulièrement concernées par la pénurie de soignants. (Crédits : © Charles Platiau / Reuters)

Avec le climat et le pouvoir d'achat, la santé fait partie de ces urgences auxquelles le gouvernement doit s'atteler. L'hôpital public, comme d'autres secteurs, peine à recruter. D'après une étude publiée mercredi dernier par la Fédération hospitalière des hôpitaux publics (FHF), la quasi-totalité des établissements de santé rencontrent des difficultés de recrutement. Faute de soignants, au moins 120 services d'urgences ont été forcés de limiter leur activité ou s'y préparent, selon un décompte fin mai de l'association Samu-Urgences de France. Et l'été s'annonce chaud, avec les congés qui arrivent et menacent d'accentuer la pression sur le personnel soignant de services déjà sous tension.

Cette enquête de la FHF, réalisée en avril et mai 2022 auprès de plus de 400 établissements publics de santé et médico-sociaux, regroupant en tout plus de 380.000 professionnels non médicaux, révèle que 80,3% des hôpitaux et Ehpad publics rencontrent en permanence des difficultés, pour 18,9% d'entre eux c'est de façon ponctuelle. C'est donc la quasi-totalité (99%) des établissements qui connaissent des difficultés de recrutement d'infirmiers et d'aides-soignants « de manière permanente ou ponctuelle ». Et l'urgence reste « les infirmiers et la nuit », selon ce rapport.

Le constat n'est pas nouveau. En 2019, un rapport de la Cour des comptes dénonçait déjà le problème : « Malgré les efforts entrepris pour réorganiser le circuit des patients dans les services d'urgence, le système actuel semble à bout de souffle. Les situations de tension récurrentes et la pénurie de personnel constatées dans certains établissements témoignent des difficultés à assurer la permanence des soins dans tous les territoires, notamment en "nuit profonde".»

Actuellement, pour faire face à la pénurie de soignants dans les hôpitaux français, de nombreux établissements hospitaliers comblent leurs effectifs avec des vacataires ou des soignants intérimaires. Les urgences de l'hôpital Delafontaine à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), tournaient fin mai avec « la moitié du personnel paramédical » nécessaire et comblait « soit avec des heures supplémentaires et des primes, soit avec du personnel vacataire ou intérimaire... quand ils veulent bien venir », selon le chef de service cité par l'AFP.

Si le recours à des médecins ou infirmiers, ou sages-femmes intérimaires, permet à l'origine de pallier une absence temporaire de soignants, cette pratique devient aujourd'hui « colossale » et problématique, estime Quentin Henaff, responsable-adjoint du pôle ressources humaines hospitalière de la FHF. Problématique dans la mesure où elle pèse sur les finances de l'hôpital et décourage les soignants et praticiens hospitaliers qui se sentent moins bien considérés car moins payés pour la même tâche.

Fin mai, sur France Inter, le patron de l'AP-HP, Martin Hirsch (qui quitte ses fonctions fin juin), appelait à réguler ce phénomène, dénonçait la « drogue douce » de l'intérim. Pour les hôpitaux franciliens, il estimait qu'il manquait « 1.400 infirmières » dans les effectifs des hôpitaux franciliens. Il fustigeait certaines infirmières qui ne prennent pas de poste à l'AP-HP une fois diplômées, et certaines d'entre elles qui optent pour « la drogue douce de l'intérim qui nous met dans des situations absolument terribles ». Il dénonçait un comportement de « mercenaires », « qui prennent 1.500 balles » pour travailler ponctuellement aux urgences de l'AP-HP. « Se vendre comme ça, c'est un problème » avait-il lancé.

Qui sont ces soignants qui optent pour ce statut d'intérimaire? Sont-ils trois fois plus payés ? Est-ce qu'une régulation accrue de ce statut (ou sa suppression) permettrait de répondre à la pénurie de soignants ?

Les motivations d'un médecin intérimaire

Cécile Chopard est médecin anesthésiste et secrétaire du Syndicat National des Médecins Remplaçants des hôpitaux (SNMRH). Après avoir travaillé 7 ans dans un hôpital, elle a décidé d'opter pour l'intérim. Un statut qui lui convient très bien actuellement.

« Je peux choisir où et quand je travaille. Je travaille moins et ça me permet de garder le même niveau de vie », confie-t-elle.

Elle a choisi de troquer son temps plein à l'hôpital, ses 5 gardes de nuit par mois, ses 48 heures par semaine pour un statut et l'intérim qui lui permet de travailler deux fois moins, d'avoir ses mercredis et de gagner autant (4.600 euros net mensuels pour un médecin anesthésiste titulaire à l'hôpital qui débute, 6.200 euros net mensuels en moyenne pour cette spécialité). Cécile Chopard se dit habituée aux accusations de « mercenaires » ou d'intérimaires qui « gangrènent l'hôpital ». Mais elle assume parfaitement son choix. Ce statut n'a pas « que des avantages », souligne-t-elle. « Tous les mois je dois faire mon planning. Certains mois je travaille plus ou moins. En intérim, on n'a pas de congés payés, pas de congés formations, pas de congés maladie », rappelle-t-elle. Mieux payée oui, mais pour compenser la précarité de son statut, souligne-t-elle.

Malgré cette précarité, de plus en plus de soignants optent pour ce statut, désertant l'hôpital public. En 2013, Olivier Véran alors député de l'Isère rendait un rapport parlementaire sur l'emploi médical temporaire à l'hôpital. Il faisait alors déjà le constat  « d'un hôpital public certes très attractif mais en pénurie chronique pour certaines spécialités, et qui a recours massivement à de l'emploi temporaire très coûteux et peu structurant pour maintenir ouvert des pans entiers d'activité ». S'appuyant sur une étude de la FHF, il chiffrait à 6.000 le nombre de médecins intérimaires pour un surcoût pour l'hôpital public de l'ordre de 500 millions d'euros. Depuis, la tendance s'est accentuée. « Aujourd'hui on peut imaginer que ce surcoût est autour d'un milliard », selon Quentin Henaff, qui précise qu'il n'y a pas de chiffres officiels.

D'après le Syndicat National des Médecins Remplaçants des Hôpitaux (SNMRH), il y aurait actuellement 12.000 médecins intérimaires, exerçant temporairement ou de façon plus pérenne. Deux spécialités sont particulièrement concernées à l'hôpital public : l'anesthésie-réanimation et la médecine d'urgence.

Des jeunes mais pas que

Concernant les médecins qui optent pour l'intérim, le phénomène n'est pas nouveau. Il remonte à une quinzaine d'années, moment où la démographie médicale a commencé à baisser. Les profils de ce pool de remplaçants ? Des jeunes, mais aussi beaucoup de médecins d'origine étrangère, avec des besoins accrus sur les spécialités qui ont le plus besoin de travailler la nuit (radiologues, urgentistes, gynécologue-obstétriciens), sans oublier des médecins retraités qui ne lâchent pas et veulent arrondir leurs fins de mois.

Aujourd'hui de plus en plus d'infirmières ou d'aides-soignants optent aussi pour ce statut. « On a beaucoup de jeunes avec qui on est en contact dès la deuxième année de l'école d'infirmier qui peuvent intervenir comme aide-soignant », précise Damien Tardivon,
directeur du développement chez Vitalis Médical, une société spécialisée dans l'intérim médical.

Un choix qui est loin de ravir l'hôpital public. D'après l'enquête de la FHF : les hôpitaux, hors CHU, ont fait face en deux ans à un doublement des postes d'infirmiers non pourvus (6,6% en avril 2022 contre 3% en 2019).

Martin Hirsh, qui était à la tête de l'AP-HP depuis 2013, expliquait cette pénurie d'infirmières par le fait qu' « il y en a qui ont changé de métier, il y en a qui sont partis dans le privé, il y en a qui sont partis en province, il y a en qui ne sont pas venus travailler après la diplomation de l'été dernier ». Et de commenter : « Avant, quand on était diplômé, on n'avait pas le droit de s'installer comme intérimaire. Intérimaire dans les métiers de santé où il n'y a pas de chômage (...), ça veut dire je fais le choix de travailler quand je veux, quand je peux, et être payé trois fois plus que les autres ».

Un surcoût régulièrement dénoncé

Pour les hôpitaux, le recours à des médecins ou infirmiers en intérim pèse sur leurs finances. Dans un rapport publié en 2019, la Cour des comptes estimait que « les charges liées à l'intérim connaissent une forte croissance dans la plupart des régions, essentiellement dans les centres hospitaliers de taille moyenne et petite, et ceci malgré des tentatives pour en limiter le montant ». La région Ile-de-France, considérée pourtant comme attractive pour les médecins, « se trouve dans une situation extrêmement tendue, les heures d'intérim ayant crû de 60 % par an ces deux dernières années ». Idem en Bretagne. L'Agence régionale de santé (ARS) signalait une hausse des charges d'intérim de 47 % en 2017, la rémunération des praticiens pouvant atteindre des coûts à la journée de 1.300 euros net et de 2.000 euros pour 24h (soit 4.500 euros brut). « Les exigences de rémunération sont particulièrement fortes à certaines périodes de l'année (Noël, jour de l'an ou congés estivaux) », commentait la Cour des comptes.

Plusieurs récents rapports de Cours régionales des comptes vont dans le même sens. Ainsi, l'hôpital de Cholet (Maine-et-Loire) a été épinglé en décembre 2021 pour son « management défaillant des ressources et des organisations médicales ».

« L'hôpital semble avoir perdu la maîtrise de sa masse salariale médicale, affectée par les nombreuses rémunérations non prévues par la réglementation et qui se superposent (...) pouvant aller jusqu'à 63.500 euros bruts annuels, soit un complément mensuel de rémunération irrégulier moyen de 5.300 euros brut. (...) Sur le seul exercice 2019, le surcoût des indus de rémunération au profit de quelques praticiens est estimé à l'équivalent de 29 emplois soignants à temps complet », peut-on lire.

Profitant de l'offre du marché et de la demande qui est en faveur des soignants, certains n'hésitent donc pas à faire monter les enchères. « De temps en temps des hôpitaux en galère monstrueuse sont prêts à débourser des salaires très supérieurs pour avoir un remplaçant », reconnaît Cécile Chopard. Si certains « abusent » et se vendent à l'hôpital le plus offrant, elle assure n'avoir « jamais remplacé à 3.000 euros ». La rémunération de base est de 650 euros net la journée pour les anesthésistes. La nuit pour une garde de 24 heures, elle passe à 1.300 euros pour ces praticiens. « Souvent on se prend des petites réflexions, comme quoi on pille le service public. Mais moi je réponds que je comble les trous ! », se défend-elle.

Une régulation du statut ?

Depuis 2017, un décret est censé encadrer la pratique de l'intérim médical. Fin 2017 en effet, l'ancienne ministre de la Santé Agnès Buzin avait voulu s'attaquer au problème. Elle avait publié un décret visant à plafonner les tarifs des médecins intérimaires à 1.170 euros brut pour une garde de 24 heures. Soit l'équivalent de 36 euros net de l'heure, alors que les intérimaires étaient rétribués autour de 65 euros net de l'heure, et souvent davantage. Mais cette tentative n'a pas été concluante. Alors qu'elle allait entrer en vigueur, des médecins intérimaires y ont fait barrage, en se structurant autour du Syndicat National des Médecins Remplaçants des hôpitaux (SNMRH).

En 2021, seconde tentative de régulation avec la loi Rist qui avait pour objectif de plafonner les rémunérations des médecins intérimaires embauchés dans les hôpitaux publics. Mais dans le contexte de crise sanitaire, l'application du texte a été suspendue. Le gouvernement avait décalé l'application de cette loi à... 2022. Le décret est passé mais tous les hôpitaux ne l'appliquent pas...faute de soignants. Et de toute façon, « si tous les intérimaires prenaient les postes vacants, pas sûr que ça comblerait le déficit », estime Cécile Chopard.

Dans tous les cas, la FHF plaide pour « moraliser » le marché de l'intérim médical.

« Aujourd'hui il y a une décorrélation entre les prix demandés par les intérimaires et leur mission. L'effet négatif c'est que cela décourage les autres », déplore Quentin Hennaf.« L'intérim est utile quand il y a des congés prévus, qu'on a besoin de renforts temporaires. Mais il est dangereux à partir du moment où ça devient un système pérenne », estime ce responsable-adjoint du pôle ressources humaines hospitalière de la FHF, qui plaide pour un état des lieux sur les rémunérations. « On a le droit de savoir où va l'argent, où vont les 200 milliards octroyés à l'hôpital public ».

Des mesures imminentes attendues

Pour parer à l'urgence, l'éphémère ministre de la santé, Brigitte Bourguignon, battue aux législatives, avait annoncé début juin des premières mesures de soutien aux services d'urgences hospitalières, dont une partie sont menacés de fermetures forcées faute d'effectifs. Parmi ces mesures figurent un doublement de la rémunération des heures supplémentaires, la possibilité d'exercer dès l'été pour les élèves infirmiers et aides-soignants dont la formation s'achève en juin ou juillet et la facilitation du cumul emploi-retraite. Ces mesures seront bientôt complétées par les propositions de la « mission flash » confiée par l'Elysée au docteur François Braun, président de Samu-Urgences de France. Emmanuel Macron, dans son allocution mercredi soir, après la défaite relative du parti présidentiel aux élections législatives, a confirmé que « des mesures d'urgences » seraient bien prises, « dès cet été », « pour notre santé, qu'il s'agisse de notre hôpital ou de l'épidémie » de Covid-19 qui repart. Seront-elles à la hauteur du chantier ? Rendront-elles l'hôpital public à nouveau plus attractif ? Les conclusions de la mission flash sont attendues fin juin.

Commentaires 5
à écrit le 27/06/2022 à 14:57
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La responsabilisation des intérimaires est bien moindre que les contractuels dans le service hospitalier! L'un et l'autre représentent leur entreprise, mais l'un est responsable devant l'usager et l'autre devant l'hôpital, son client!

à écrit le 27/06/2022 à 14:55
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La responsabilisation des intérimaires est bien moindre que les contracttuels dans l'entreprise! L'un et l'autre représentent leur entreprise mais l'un est responsable devant l'usager et l'autre devant l'hôpital son client!

à écrit le 27/06/2022 à 10:02
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Compte tenu que les études d infirmières - médecins sont payées par l état pourquoi ne pas interdire l intérim …..

à écrit le 27/06/2022 à 10:01
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Compte tenu que les études d infirmières sont payées par l état pourquoi ne pas interdire l intérim …..

à écrit le 27/06/2022 à 9:57
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Le fonctionnement des hôpitaux, avec es intérimaires quelquefois bien mieux payés que le personnel en place depuis des années, devient ubuesque. De même pour les professeurs recrutés par interview et payés autant que des titulaires en milieu de carri...

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