Le coup est dur pour les défenseurs de l'environnement, qui se battent pour une agriculture et une alimentation moins nocives pour la planète. Car, en égrenant les nouvelles mesures censées calmer les agriculteurs en colère, le Premier ministre a donné de nombreux coups de canif à plusieurs mesures favorisant la transition écologique dans l'agriculture. A commencer par le plan Ecophyto, qui doit fixer des objectifs de baisse d'usage des pesticides et cristallise la colère des producteurs de grandes cultures.
« Nous le mettons à l'arrêt le temps de mettre en place un nouvel indicateur et de reparler des zonages et de la simplification (...) », a annoncé Gabriel Attal, pour qui ce travail doit commencer « dès la semaine prochaine » et aboutir avant le Salon international de l'agriculture, qui commencera le 24 février.
Et ce, alors même que l'Etat a jusqu'au 30 juin 2024 pour mieux respecter ses trajectoires de baisse de l'utilisation des pesticides et protéger les eaux, sur ordre de la justice administrative, a rappelé à l'AFP l'ONG Pollinis, une des cinq associations à l'origine de la procédure judiciaire « Justice pour le Vivant ».
L'objectif clairement affiché vise à mettre fin à l'application en France de mesures réglementaires plus strictes que celles demandées par Bruxelles, notamment sur les pesticides. Autrement dit la « non-surtransposition » des normes, une revendication majeure des agriculteurs français, qui se plaignent d'être soumis, en France, à des contraintes plus lourdes que les producteurs d'autres Etats membres de l'Union européenne et encore plus de pays tiers.
Le nouveau plan « Ecophyto 2030 », encore en consultation, prévoyait en effet de réduire de moitié l'utilisation des pesticides d'ici à 2030 (par rapport à 2015-2017), tout en accélérant la recherche de solutions alternatives. Bien que critiqué notamment par l'Association générale des producteurs de blé et autres céréales (AGPB), le gouvernement avait décidé de maintenir cet objectif même après le rejet par le Parlement européen, en novembre, d'une législation poursuivant le même but.
« Pas d'interdiction sans solutions »
« Lutter contre la surtransposition », c'est-à-dire contre des objectifs environnementaux plus élevés en France que dans le reste de l'Europe, est d'ailleurs désormais l'un des huit « grand objectif » agricoles du gouvernement. D'autres mesures visent à l'atteindre, concernant le calendrier des réhomologations des produits phytosanitaires et la « coordination » avec l'Union européenne de l'Anses (l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) - une instance que le principal syndicat agricole, la Fnsea, avait demandé de « placer (...) sous l'autorité politique ».
« Interdire en France des produits alors même que la procédure est en cours au niveau Européen, ça n'a pas de sens », estime Gabriel Attal.
Un principe, porté haut et fort par la FNSEA, le principal syndicat agricole, et sur lequel Emmanuel Macron s'était engagé en 2017, complète désormais explicitement ce rejet des « surtranspositions » en matière de substances dangereuses pour l'environnement : « pas d'interdictions sans solutions », a déclaré Gabriel Attal. Ce qui signifie qu'aucun phytosanitaire ne pourra plus être banni de l'Hexagone ou des DOM-TOM s'il représente un risque pour la production.
« L'objectif de souveraineté » dans la loi
Les deux nouveaux « mots d'ordre pour notre agriculture » sont en effet devenus « produire, et protéger » les agriculteurs, a expliqué le Premier ministre. Dans cet état d'esprit, les défenseurs de l'environnement devront donc avaler une autre grosse couleuvre : l'inscription dans la loi de « l'objectif de souveraineté », « sur la base d'indicateurs clairs définis » avec les agriculteurs.
« Nous consacrerons dans le code rural l'agriculture comme un intérêt fondamental de la nation », a ajouté Gabriel Attal.
Dans la vision de la FNSEA cette inscription doit permettre « que la souveraineté soit prévue comme un complément du droit de l'environnement sur le plan juridique. Le but est que toute mesure environnementale engendrant une réduction de la production soit neutralisée tant qu'on ne trouve pas de solution », expliquait à La Tribune Dimanche son patron, Arnaud Rousseau, le 28 janvier. Une vision d'autant plus inquiétante pour les défenseurs de l'environnement que la notion de « souveraineté alimentaire » est loin d'être définie : les agriculteurs assument pleinement d'y inclure les exportations de céréales, vin et produits laitiers français -voire l'accroissement de ces exportations.
« La souveraineté est bonne pour l'écologie », a même lancé le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des Territoires, Christophe Béchu, en ouverture de son intervention après Gabriel Attal.
Des reculs aussi sur le GNR et l'eau
Au grand regret des écologistes, ces dernières annonces viennent de surcroît s'ajouter à d'autres nombreuses reculades du gouvernement et de Bruxelles sur la transition écologique depuis le début du mouvement des agriculteurs. Dans son discours d'aujourd'hui, le Premier ministre en a rappelé quelques-unes du gouvernement français.
« Sur le GNR (gazole non routier), la redevance eau, et la RPD (redevance pollution diffuse) : on a renoncé à faire la hausse. C'était indispensable pour ne pas étrangler la trésorerie de nos agriculteurs », a déclaré Gabriel Attal.
Le 26 janvier, son gouvernement a en effet promis d'abandonner une hausse de la taxe sur le GNR, pourtant négociée avec la FNSEA. En décembre, sa prédécesseure, Elisabeth Borne, avait, pour sa part, cédé sur la fiscalité en matière d'irrigation et de produits phytosanitaires.
Tout au long du mois de janvier, les agriculteurs ont en outre obtenu de plus en plus de garanties concernant le soutien de l'exécutif à leurs projets de stockage de l'eau, souvent contestés par les écologistes. Gabriel Attal a notamment promis « des simplifications drastiques (...) pour réduire tous les délais », incluant la suppression de niveaux de juridiction en cas de recours. Au contraire, pas « pas un mot » n'a été dit « sur la préservation et le partage de l'eau », regrette la Confédération paysanne.
Le syndicat agricole de gauche dénonce aussi un autre recul écologique : sur les OGM, le gouvernement s'étant engagé à soutenir les nouvelles techniques génomiques (NGT).
Un affaiblissement des conditions environnementales de la PAC
Quant à Bruxelles, après des mois de résistance, la Commission européenne a fini, face aux manifestations des agriculteurs dans toute l'Europe, par accepter de prolonger une dérogation à l'une des conditions pour obtenir les aides de la Politique agricole commune (PAC) : celle de laisser au moins 4% de terres arables en jachère ou en infrastructures agro-écologiques non productives (haies, bosquets, fossés, mares), pour protéger la biodiversité. Le gouvernement français promet aux agriculteurs de se battre pour obtenir l'abandon d'une autre mesure environnementale :
« Nous défendrons aussi une évolution s'agissant du ratio prairie et des prairies sensibles », a affirmé le Premier ministre.
Le maintien de prairies permanentes, selon un ratio dont les agriculteurs critiquent les critères de calcul, notamment pour les éleveurs, est un effet une autre des conditions environnementales de la PAC.
« Dans l'attente d'évolutions sur ce point, nous appliqueront une dérogation à l'obligation de réimplantation pendant 1 an », a même promis le Premier ministre, en dénonçant, dans le sillon de la FNSEA, les « situations absurdes où des agriculteurs sont obligés de réinstaller des prairies alors même qu'ils ont arrêté leur activité d'élevage ».
« Un nouvel échec politique, sanitaire et environnemental »
Les réactions des ONG, qui doivent quand même participer aux consultations sur le plan Ecophyto, ne se sont donc pas fait attendre.
« Ce que nous propose aujourd'hui Gabriel Attal vient totalement en contradiction avec les stratégies nationales" de décarbonation (SNBC), d'alimentation (SNANC) ou de planification agricole (PLOA) », regrette Thomas Uthayakumar, de la Fondation pour la Nature et l'Homme, auprès de l'AFP.
« Aujourd'hui la Fnsea a gagné, mais ça ne va rien amener au revenu agricole, pas un centime », et « ça permettra de continuer à faire l'agriculture du siècle précédent en gardant toujours plus de produits dangereux sur le marché et en retardant leur retrait de manière cynique », a déclaré à l'AFP le porte-parole de Générations Futures, François Veillerette.
« En favorisant les tenants de l'agriculture intensive et agro-industrielle plus que le monde agricole dans sa diversité, le gouvernement annonce aujourd'hui un nouvel échec politique, sanitaire et environnemental », résume Jean Burkard, du WWF France.