
Plus encore que les « superprofits », le président de la République Emmanuel Macron crie haro sur les rachats d'action. Lors de son interview sur TF1 et France 2, à l'heure du déjeuner, le chef de l'Etat a dénoncé le « cynisme » de certaines « grandes entreprises » qui profitent « de leurs revenus tellement exceptionnels qu'ils en arrivent à utiliser cet argent pour racheter leurs propres actions ».
Sans le dire, le chef de l'Etat vise le groupe pétrolier TotalEnergies et ses 20 milliards d'euros de profits en 2022 et qui prévoit de lancer un programme de rachat d'actions de deux milliards de dollars au premier trimestre.
Mais aussi sans doute le constructeur automobile Stellantis qui souhaite racheter ses propres actions à hauteur de 1,5 milliard cette année ou bien même BNP Paribas qui va consacrer une partie du fruit de la vente de sa filiale américaine à un programme de rachat d'actions d'un montant de 5 milliards d'euros. Au total, les entreprises du CAC 40 - qui ont accumulé plus de 140 milliards de profits en 2022- devraient consacrer au moins 15 milliards d'euros au rachat d'actions.
Effet neutre pour les actionnaires
Cette attaque contre le rachat d'actions de la part d'un ancien banquier d'affaires peut surprendre. En tant qu'homme rompu aux chiffres, il doit savoir qu'il n'existe pas de différence économique, sinon fiscale (les rachats d'actions ne sont généralement pas imposés ou très peu), entre le versement d'un dividende et le rachat d'action.
Dans un cas comme dans l'autre, l'actionnaire voit mécaniquement la valeur de son action baisser (du montant du dividende ou du montant des capitaux propres annulés, certes compensé par la hausse de son pourcentage de détention). « Pas plus qu'un retrait au distributeur automatique de billets ne vous a jamais enrichi, dividendes et rachats d'actions n'ont jamais enrichi les actionnaires », résument les auteurs de la lettre Vernimmen, Pascal Quiry et Yann Le Fur.
Selon la théorie de la finance d'entreprise, le dividende et le rachat d'actions sont des outils permettant une réallocation du capital dans l'économie. Lors de sa dernière réunion annuelle, en février dernier à Omaha, Warren Buffet, le pape américain de l'investissement de père de famille, a rappelé que « lorsque quelqu'un vous dit que tous les rachats d'actions sont nuisibles (...), vous avez à faire ou bien à un analphabète sur le plan des connaissances économiques, ou bien à un démagogue bonimenteur ».
Mode américaine
Car même aux Etats-Unis, pays champion des rachats d'actions (bien plus important que le versement des dividendes), ce mode de redistribution est critiqué par l'administration démocrate. Lors de son discours sur l'Etat de l'Union en février dernier, le président américain Joe Biden a vertement dénoncé les rachats d'actions des groupes pétroliers, qui ont encaissé quelque 200 milliards de dollars de profits l'an dernier.
« C'est honteux. Ils n'ont pas suffisamment réinvesti ces bénéfices, ce qui aurait permis d'accroître la production intérieure et de modérer les prix de l'essence », a-t-il expliqué, contredisant au passage ses convictions environnementales ! Résultat, Joe Biden souhaite multiplier par quatre la taxe de 1 % sur les rachats d'actions, qui vient juste d'être mise en place dans le cadre de la loi sur la réduction de l'inflation (Inflation reduction Act).
Essor spectaculaire des rachats d'actions en France et en Europe
En France, traditionnellement plutôt porté sur le dividende, le rachat d'action a récemment pris une ampleur inédite. Ainsi, selon les données de Vernimmen, les entreprises du CAC 40 ont procédé en 2021 (au titre de l'exercice 2020) et en 2022 (au titre de de l'exercice 2021) respectivement à 23,8 milliards et 23,7 milliards de rachat d'actions. Une période il est vrai exceptionnelle entre crise sanitaire et sortie de crise.
Depuis 2003, les rachats d'actions dépassaient rarement les 10 milliards d'euros, à l'exception de 2007 (19,2 milliards). Il faut également noter que le rachat d'actions rencontre un succès auprès nombre de grandes entreprises européennes. Selon les données compilées par Exane BNP, les rachats d'actions ont quasiment doublé en 2022 en Europe, à 161 milliards d'euros.
Par nature, les rachats d'actions n'ont pas de caractère d'engagement récurrent, comme les dividendes. C'est d'ailleurs cette flexibilité qu'apprécient les entreprises. Les opérations de rachat d'actions sont d'ailleurs souvent liées à des opérations exceptionnelles, comme par exemple la vente par l'Oréal de sa participation dans Nestlé (avec à la clé un programme de rachat de 10 milliards d'euros, soit plus de 40 % du total des rachats du CAC 40 en 2021), ou bien la vente de Banc of the West par BNP Paribas pour 16,3 milliards de dollars.
Même TotalEnergies n'a pas de politique bien établie en matière de rachat d'actions : il a certes racheté pour 6,4 milliards d'euros d'actions en 2022 mais seulement 140 millions d'euros un an plus tôt.
Le choix du taux de distribution aux actionnaires, et son mode de distribution (dividende ou rachat d'actions), versus la politique d'investissement (ou politique salariale) est évidemment une décision propre à chaque entreprise, en fonction de sa maturité, sa stratégie, de ses marchés, et de ses investisseurs (les investisseurs américains sont notamment très friands du rachat d'actions). Il reste cependant compliqué de bâtir (sinon de justifier) une politique fiscale sur le rachat d'actions, qui peut s'évaporer du jour au lendemain.
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