
LA TRIBUNE- À Saint-Brévin-les-Pins, y a-t-il eu non-assistance à maire en danger ?
GÉRARD LARCHER- Je lui avais écrit quand son domicile a été incendié pour lui témoigner notre solidarité. Je ne sais pas s'il y a eu non-assistance à maire en danger, il faut connaître les détails du dossier. Mais je veux savoir. Quand un maire démissionne car sa vie est devenue impossible, c'est la République qui est menacée, insultée et agressée. C'est pour ça que j'ai approuvé la décision de notre collègue Jean-Noël Buffet, le Président de la commission des lois du Sénat, de convier Yannick Morez à une audition (elle a eu lieu mercredi dernier) afin de comprendre ce qui l'a conduit à démissionner. Nous avons besoin de son témoignage. Ce n'est pas suffisant de dire que ce n'est pas acceptable et de zapper ensuite. Il faut aller au fond des choses pour comprendre son ressenti. Il vivait dans sa commune depuis 32 ans et exerçait la profession de médecin. Il faut analyser ce processus d'auto-exclusion et cette violence. C'est le rôle constitutionnel du Sénat d'être aux côtés des élus, de les écouter et de les entendre. Dans sa lettre de démission, le maire de Saint-Brevin-les-Pins dénonce le manque de soutien de l'État. Le Sénat mène notamment, depuis la mort en 2019 du maire de Signes, un travail de fond pour mieux protéger les élus locaux. Une loi a été adoptée en janvier dernier. Peut-être faut-il aller encore plus loin et exiger de l'État qu'il soit plus réactif.
L'État protège-t-il assez les maires ?
Hélas non. Je visite trois départements par mois et rencontre des dizaines d'élus locaux. Je sens une extraordinaire lassitude des maires qui ne se sentent pas assez soutenus, mais sont aussi confrontés à une bureaucratisation, une inflation de normes qu'ils ne supportent plus. Regardez l'exemple du maire de Nevoy (Loiret). Comment voulez-vous qu'un maire de moins de 1.500 habitants puisse faire face à l'arrivée de 40.000 évangélistes ? Lui n'a pas démissionné mais il a lancé un appel au secours devant la passivité des services de l'État. Là, il y a non-assistance à commune en danger ! J'ai dû moi-même, avec les sénateurs du Loiret, alerter la Première ministre sur la situation pour qu'on ne le laisse pas tomber.
D'autres maires sont sous la pression d'opposants qui refusent l'ouverture de centres d'accueil de demandeurs d'asile. Cela pose-t-il la question de la clé de répartition des immigrés ?
Pas seulement la clé de répartition mais aussi des flux migratoires devenus incontrôlés par une absence totale de politique migratoire dans le pays. Du fait de l'arrivée massive de migrants, les contestations autour d'ouverture de centres d'accueil de demandeurs d'asiles se multiplient. Les maires et les départements sont confrontés à la question majeure des mineurs non accompagnés. Sur le terrain, de nombreux élus vivent des situations intenables face à l'explosion de l'immigration. Il est temps d'avoir une politique migratoire qui tienne compte des réalités. On ne peut pas laisser croire que ça va se régler en remplissant tous les hôtels une ou deux étoiles en Île-de-France ou des Alpes-Maritimes. Derrière, ce sont les maires qui doivent les accompagner, les accueillir dans les centres communaux d'action sociale, scolariser les enfants. Sans compter faire face aux tensions que cela peut engendrer. Les maires sont le dernier rempart de protection de notre société et ils affrontent tous les problèmes.
La Première ministre a finalement décidé d'ouvrir des consultations pour préparer une réforme de l'immigration d'ici à juillet. Vous aviez critiqué le report du projet de loi à l'automne. Cela doit vous réjouir ?
En mars, j'avais demandé à reporter ce texte. Au sortir de la réforme des retraites, ce n'était pas le bon moment, le pays me paraissait alors hors d'état de traiter une réforme aussi indispensable qui nécessite calme et raison. La proposition du gouvernement d'un texte à la découpe était inacceptable. Nous avons dit non. Ensuite, c'est la Première ministre qui annonce le report de l'examen du projet. Nous avons alors décidé de transformer le travail de la commission des lois du Sénat en propositions de loi. Vingt-quatre heures plus tard, Élisabeth Borne me téléphonait pour m'indiquer qu'elle allait reprendre des consultations. Tout ça n'est plus très clair...
Un consensus est-il possible avec les Républicains ?
Au Sénat, nous sommes prêts. Nous allons déposer une proposition de loi ordinaire et une proposition de loi constitutionnelle pour être réactifs et efficaces. Les deux groupes LR, Assemblée nationale et Sénat, sont sur la même longueur d'onde, à quelques nuances près. J'observe que les divisions sont plutôt dans la « majorité relative » qui a de vraies réticences à durcir le contrôle des flux migratoires. Il n'est pas question pour Les Républicains de régulariser au nom de l'emploi des immigrés entrés irrégulièrement. 500.000 personnes issues de l'immigration sont actuellement au chômage. Commençons par organiser le retour vers l'emploi de ces personnes.
« Le pacte asile immigration défendu par le Président de la République est un flop retentissant »
Gérald Darmanin a-t-il eu raison de mettre les pieds dans le plat en critiquant le gouvernement de Giorgia Meloni, incapable selon lui de régler les problèmes migratoires ?
Le constat de Gérald Darmanin est exact : l'Italie est confrontée à une nouvelle vague migratoire qu'elle n'arrive pas à juguler, avec des conséquences humaines terribles. Mais gardons-nous de donner des leçons, nous ne sommes pas en état de le faire ! En France aussi, les flux ont explosé, sans aucune politique migratoire efficace sur le dernier quinquennat. La question de l'immigration est un enjeu national et européen. C'est d'ailleurs le grand échec de la présidence française de l'Union européenne. Le pacte asile immigration défendu par le Président de la République est un flop retentissant.
Sommes-nous devant une nouvelle crise migratoire d'ampleur ?
Oui. Nous n'avons jamais accueilli autant d'étrangers qu'en 2022 : + 65% de titres de séjour délivrés par rapport à il y a dix ans ; + 44% cette année pour l'immigration économique, les bénéficiaires de l'Aide médicale d'État ont augmenté de 100% depuis 2009. Sur l'immigration, tous les signaux sont au rouge. On ne peut plus attendre, nos capacités d'accueil sont saturées. Le Président de la République le sait. La balle est dans son camp.
Faut-il légiférer contre les casseurs comme le souhaite Gérald Darmanin ?
Nous avons déjà légiféré en 2019. Une partie de la loi a été censurée par le Conseil constitutionnel, faute de garanties suffisantes, sur une disposition, pour préserver les libertés publiques. Au Sénat, la commission des lois a retravaillé les propositions pour qu'elles répondent aux exigences du Conseil constitutionnel. Si c'est nécessaire, légiférons à nouveau. Mais le grand sujet c'est la liaison police-justice. Des violences de Sainte-Soline à celles du 1er mai, j'observe qu'il n'y a pas eu beaucoup de suites judiciaires à ce jour.
Y a-t-il un danger avec ces manifs de l'ultra droite ? Faut-il les interdire ?
Il y a un danger avec les manifestations de l'ultra droite et de l'ultra gauche. Encore faut-il que le préfet de police ait la possibilité de les interdire. Dans la manifestation de l'ultra droite qui a défrayé la chronique, je n'ai pas compris que la police laisse des individus défiler le visage masqué.
Gérald Darmanin est-il un bon ministre de l'Intérieur ?
Nous ne sommes pas toujours d'accord mais il fait le job et sa tâche est très difficile. C'est le cas notamment à Mayotte où il y a non-assistance à nos compatriotes de ce département d'Outre-mer en danger compte tenu des ravages de l'immigration incontrôlée et de l'explosion de la criminalité. Je regrette d'ailleurs que la Première ministre, qui était à la Réunion ces derniers jours, ne se soit pas rendue à Mayotte.
Votre collègue Yaël Braun-Pivet, Présidente de l'Assemblée nationale, estime que c'est le bon moment pour réformer les institutions. Partagez-vous son avis ?
C'est un sujet important mais je crains qu'il ne soit pas en phase avec les préoccupations des Français aujourd'hui. Arrêtons de se raconter des histoires, l'exécutif ne dispose pas des 3/5ème pour modifier la Constitution. Nous ne vivons pas une crise institutionnelle mais une crise politique. Elle est liée bien sûr à l'absence de majorité à l'Assemblée nationale mais aussi au mode de gouvernance du chef de l'État et à sa verticalité. La première réforme qu'Emmanuel Macron doit accomplir c'est de changer sa façon de gouverner.
Êtes-vous favorable à une révision de la Constitution sur l'IVG ?
Elle n'est pas utile. Le Conseil constitutionnel protège déjà l'interruption volontaire de grossesse. J'ai toujours été très attaché à la loi Veil. Ma préoccupation c'est la fermeture de 130 centres d'IVG en 15 ans, et les 16 départements sans gynécologue, cela ne cesse de s'aggraver. Je pense que le droit à l'IVG n'est pas menacé. Par contre, l'accès à l'IVG s'exerce de manière inégale selon les territoires.
Le rejet des demandes de RIP sur la réforme des retraites montre que la pratique du référendum est en panne. Faut-il revoir la procédure afin de la rendre possible ?
Les décisions du Conseil Constitutionnel sur le « RIP retraites » sont incontestables et cohérentes. Cessons de croire qu'un référendum peut être utilisé à toutes les sauces. La démocratie participative, si elle est utile, ne peut pas remplacer la démocratie représentative. Alors c'est vrai que nous avons perdu la culture du référendum. Nous avons notre part de responsabilité. En 2005, il y a le fâcheux précédent du référendum européen. Les Français le rejettent. On l'adopte quand même. À Notre-Dame-des-Landes, on organise un référendum local sur le projet d'aéroport. Les gens disent oui et le gouvernement fait le contraire. Les Français nous reprochent de ne pas respecter leur choix.
L'agenda parlementaire est plutôt « light » jusqu'à cet été en dehors des textes sur la Justice, l'industrie verte et la loi de programmation militaire, le signe d'un blocage de l'exécutif ?
C'est le signe que l'exécutif n'a pas de majorité et donc que nous allons travailler texte par texte. C'est compliqué mais c'est le seul moyen.
« En l'état actuel, nous ne voterons pas le projet de loi de programmation des finances publiques »
Bruno Le Maire a confié à La Tribune qu'il écouterait vos suggestions en matière de réductions des dépenses publiques. En l'état, voterez-vous la loi de programmation des finances publiques ?
En l'état actuel, nous ne voterons pas le projet de loi de programmation des finances publiques. Depuis plus d'un an, Bruno Le Maire dit vouloir mettre fin au « quoi qu'il en coûte ». Mais il ne se passe pas un jour ou presque sans que le Président de la République n'annonce de nouvelles dépenses. Les économies sont malheureusement plus rares. La demande du Sénat est claire : il faut maîtriser la dépense publique, sans quoi nous risquons de connaître une situation comme la Grèce. Nous ne voterons la loi de programmation que si elle porte une trajectoire à la fois claire, ambitieuse et crédible de baisse du déficit public.
« En matière de logement par exemple, nous dépensons, en proportion du PIB, deux fois plus que la moyenne européenne tout en étant confrontés à un déficit de logements. Cela ne peut plus durer ! »
Peut-on à la fois baisser les impôts pour les classes moyennes et contenir les dépenses comme l'assure le ministre de l'Économie et des Finances ?
Le Président a annoncé lundi soir un geste en faveur des classes moyennes à hauteur de 2 milliards d'euros, je m'interroge sur le financement d'une telle mesure ! Nous avons à la fois le taux de dépense publique et le taux de prélèvements obligatoires les plus élevés de l'UE. Les Français ne jugent plus les services publics à la hauteur de leurs attentes. Cela révèle un sérieux problème d'efficacité de la dépense. En matière de logement par exemple, nous dépensons, en proportion du PIB, deux fois plus que la moyenne européenne tout en étant confrontés à un déficit de logements. Cela ne peut plus durer !
Dites-vous qu'Emmanuel Macron est le président le plus dépensier de la V République ?
Oui. Au cours du premier quinquennat, les dépenses publiques ont augmenté de 240 milliards dont 60 milliards hors COVID. Le gouvernement annonce une progression de 220 milliards pour les cinq ans à venir. La tendance est deux fois plus rapide que sous François Hollande. Il faut revenir à la raison.
Que pensez-vous des annonces de Gabriel Attal qui veut s'attaquer aux ultra-riches qui fraudent le fisc ?
Ne soyons pas dupes, c'est un clin d'œil à l'aile gauche et la volonté de s'attirer les grâces des classes moyennes. L'administration fiscale fait correctement son travail. En revanche, il est normal de demander éthique et morale à ceux qui ont bénéficié économiquement de la crise. Mais évitons d'être démagogues. Pour lutter contre la fraude sociale, nous avons voté au Sénat, en 2019, la carte vitale biométrique. Et on attend toujours...
Le président a donné cent jours à la Première ministre pour amorcer un consensus avec les forces politiques parlementaires. Vous y croyez ou bien est-ce qu'il gagne du temps faute de solution pour relancer son mandat ?
Nous avons de vraies différences sur la manière de gouverner, sur le régalien, sur la décentralisation, sur les dépenses publiques. Voilà pourquoi nous ne pouvons avancer que texte par texte, quand c'est l'intérêt du pays. On ne fait pas en cent jours ce qu'on n'a pas fait en six ans.
J'ajoute que le Président Macron a lui-même déclaré, dans les colonnes de vos confrères de l'Opinion, qu'il ne croyait pas aux coalitions, dont acte ! Le prochain test pour l'exécutif sera à l'automne avec le vote du budget 2024. Il faudra qu'il soit attentif aux exigences du Sénat.
Pourtant votre nom circule pour Matignon ?
En l'état de nos différences, je refuserais une telle proposition. Pour relancer le quinquennat avec une coalition, il faut un choc passant par une nouvelle élection - présidentielle ou législative -avec derrière un accord électoral et un contrat de gouvernement très clair.
Des membres de la gauche qui manifestent devant le siège de Renaissance en criant « Louis XVI on t'a décapité, Macron on peut recommencer ». Que dites-vous ?
Ce n'est pas acceptable.
Croyez-vous au retour du clivage droite/gauche en 2027 ou bien la tripartition de la vie politique entre le bloc de la décroissance (la Nupes), le bloc nationaliste et le bloc central est durablement installé ?
La vie politique a besoin de clarté sinon nous ouvrons un boulevard aux extrêmes. Nous assistons aux limites du « en même temps ». Ce « en même temps » de gauche et de droite a été mortifère pour notre démocratie. Le clivage droite/gauche réapparaît d'ailleurs naturellement quand il s'agit de la réforme des retraites ou celle de l'immigration.
Quel bilan tirez-vous des premiers mois de la présidence d'Éric Ciotti ?
Ce n'était pas mon candidat mais je trouve qu'il fait preuve de courage et de détermination. Je serai à ses côtés.
Aurélien Pradié a-t-il sa place dans votre mouvement ?
C'est à lui de le décider, mais à force de prendre des positions contraires à la majorité du parti, il devra se mettre en cohérence avec ses convictions.
Laurent Wauquiez sort du silence et trace des perspectives. Est-il le candidat naturel de la droite pour 2027 ?
Son entretien dans « Le Point » est très intéressant. Sa réflexion mûrit. Chacun sait que j'aurais aimé qu'il se positionne davantage sur les retraites. Est-il notre candidat naturel ? Il en a toutes les qualités mais l'urgence du moment n'est pas de savoir qui sera notre candidat. Quand on est à moins de 5% à l'élection présidentielle, il faut d'abord retrouver la confiance des électeurs. Ce que je sens profondément c'est que les Français ne croient plus à l'action politique et qu'elle ne change plus rien à leur vie. À nous de leur proposer un nouveau chemin.
Faut-il s'attendre à des bouleversements lors du prochain renouvellement sénatorial ?
Rien n'est jamais gagné. Je fais donc campagne pour éviter de mauvaises surprises. Il faut expliquer aux élus locaux notre action pour contrôler le gouvernement et les représenter. Beaucoup sont déconcertés par un exécutif qui avance à petit pas, sans boussole et sans majorité. Et puis, les Français sont perturbés par l'image dégradée de l'Assemblée nationale du fait de l'attitude de certains députés. Je crois que le Sénat est un pôle de stabilité dans notre République si ballotée en ce moment.
Les candidats « Horizons », le parti d'Édouard Philippe, peuvent-ils créer la surprise ?
Je ne crois pas à de grands bouleversements. Édouard Philippe fera sûrement élire quelques sénateurs grâce à son tissu d'élus locaux. Nous verrons quel sera leur positionnement au Sénat.
Vous-même, vous êtes candidat à un nouveau mandat dans une assemblée où vous avez été élu pour la première fois en 1986. Qu'est-ce qui vous motive encore ?
Faire les choses avec la même passion qu'au premier jour. Je ne suis jamais autant heureux que lorsque je me retrouve à la table d'un conseil municipal. J'aime les campagnes, j'aime les gens. Mon baromètre politique, ce sont les 35.000 communes.
Ce sera donc le dernier mandat ?
Je n'en sais rien. Pour l'instant, j'ai le sentiment d'être utile, j'ai l'énergie, je veux servir.
Qui seraient vos invités rêvés (personnages morts ou vivants) dans un dîner parfait ?
Martin Luther King, ce personnage me fascine depuis mon adolescence. Et Jean Moulin, un parcours, un modèle, une passion pour la France. Une rue porte son nom à Rambouillet (ndlr, Gérard Larcher fut maire de la sous-préfecture des Yvelines pendant 28 ans) car il a été préfet d'Eure-et-Loir, le département voisin.
En quoi souhaiteriez-vous vous réincarner ?
Je ne crois pas à la réincarnation.
Qu'aimeriez-vous sur votre épitaphe ?
Rien
Et si c'était à refaire, quel métier aimeriez-vous ?
Vétérinaire, le mien. J'ai appris de ma formation qu'il faut poser un diagnostic et proposer un traitement. C'est peut-être ce qui manque à la politique aujourd'hui.
De quoi rêviez-vous enfant ?
D'être agriculteur-éleveur. Je n'ai pas tout à fait réussi !
Où aimeriez-vous être en 2027 ?
Là où je pourrai être utile.
Portrait- Gérard Larcher, l'art de se réinventer La photo est cachée derrière une autre sur la cheminée de son bureau de président du Sénat. Gérard Larcher aime la montrer à ses visiteurs avec un petit sourire en coin. On y voit sur ce document en noir et blanc de la séance inaugurale du Sénat en 1996 le jeune (37 ans) sénateur des Yvelines, élu pour la première fois en 1986, et l'autre benjamin (35 ans) de la Haute-Assemblée Jean-Luc Mélenchon, son collègue socialiste de l'Essonne avec son collier de barbe entourant le président de l'époque Alain Poher. Autre temps, autre histoire. Depuis le « petit vétérinaire » de Rambouillet, comme l'avait surnommé Charles Pasqua, a fait son chemin. Avec son physique de sénateur, son tempérament tout en rondeur et sa subtilité politique, il fait rapidement partie des murs. Quand il débarque au Sénat, Gérard Larcher milite déjà dans les rangs du RPR depuis une bonne dizaine d'années. C'est l'époque où François Mitterrand est contraint à composer dans une inédite cohabitation avec Jacques Chirac. L'ascension du pasquaïen Larcher sera rapide. La compétition politique lui va comme un gant. Larcher est une fine gâchette. Ce Normand de naissance, fils d'un maire de L'Orne, est un grand amateur de chasse et d'équitation. Il a même été le vétérinaire de l'équipe de France championne olympique à Montréal en 1976. Bon vivant, il aime les campagnes et revient rarement bredouille de ses joutes électorales. Élu pour la première fois en 1979 au conseil municipal de Rambouillet, il en devient maire en 1983. Quatre décennies plus tard, le sénateur des Yvelines est toujours dans l'arène politique, totalisant 36 années de mandat au Sénat dont 11 comme président, 28 à la tête de la mairie de Rambouillet et 3 en tant que ministre dans les gouvernements Raffarin et Villepin. Le petit vétérinaire « ne veut pas se la péter » Incroyable longévité. Traversant les pouvoirs et les modes, Gérard Larcher dure et se réinvente sans cesse. Ministre du Travail, il fait l'unanimité auprès des syndicats qui saluent son sens du dialogue. De retour au Sénat, il conquiert la présidence en terrassant le favori Jean-Pierre Raffarin. Après un premier raté de mandat de président du Sénat entre 2008 et 2011, il est battu par un socialiste. La remise en cause est brutale. Il travaille sa communication et ses réseaux. Change ses équipes. Prend sa revanche en 2014 et redore le blason d'un Sénat, symbole de l'ancien monde raillé par Emmanuel Macron lors de son accession au pouvoir. Mais le jeune président ne connaît pas Raoul. Le patron du Sénat va organiser la résistance. A 73 ans, il revient donc du diable vauvert. Catholique devenu protestant (lors de son mariage en secondes noces), Larcher devient le plus petit dénominateur commun d'une droite déchirée et à la peine. Au point de se retrouver presqu'au centre de la vie politique. Certains envisagent sérieusement qu'Emmanuel Macron finisse par lui proposer Matignon pour sortir de la paralysie qui guette le Parlement faute de majorité. Lui passe son temps à dire non à une proposition qui ne lui a jamais été faite formellement. L'ex-maire de Rambouillet, lui, n'a qu'un objectif en tête : se faire réélire pour la sixième fois sénateur des Yvelines et ensuite décrocher pour la quatrième fois un la prestigieuse présidence de la Haute-Assemblée qui fait de lui le 3ème personnage de l'Etat. Il confie à la Tribune qu'il refuserait « en l'état actuel » de ses différences avec Emmanuel Macron d'être son Premier ministre. Seules de nouvelles élections législatives et donc une dissolution pourraient, selon lui, créer les conditions d'un choc qui pourraient amener Les Républicains à conclure un contrat de majorité avec les macronistes. C'est donc non. Pour autant, Gérard Larcher se méfie de la pente qui conduit la France vers les dangers extrémistes. Il abhorre Marine Le Pen et ses idées. Le chiraquien n'a pas oublié ses fondamentaux. Il trouve que Gérald Darmanin « fait le job ». Il s'entend bien avec Bruno Le Maire. Il entretient évidemment de bonnes relations avec Bruno Retailleau, tenant d'une ligne dure à droite et juge « intéressante » l'interview que Laurent Wauquiez a accordée au magazine « Le Point ». Après 40 ans de vie politique et avant de démarrer probablement son dernier mandat, le « petit vétérinaire » ne veut pas « se la péter », fidèle à la promesse faite à son fils lors de sa première élection. Il voudrait surtout baliser le chemin qui ramènera la droite modérée vers le pouvoir. Ce qu'il a raté deux fois avec ses candidats préférés et successifs, de François Fillon (avec qui il est fâché) à Valérie Pécresse. Revenant d'un voyage en Arménie en 2021 et alors que certains le pressaient de se lancer dans la course à l'Elysée, il nous confia : « Je n'ai plus l'âge. Mon objectif est de faire un nouveau mandat de président du Sénat mais je ferai tout pour faire revenir la droite au pouvoir. » La présidence du Sénat ne devrait pas lui échapper. Il lui reste à réinventer la droite. Ce n'est pas gagné. Bruno Jeudy