Enquête : Affaire Daval, l'ultime chapitre

Cité à comparaître mercredi pour dénonciation calomnieuse, Jonathann Daval va de nouveau se retrouver face à la famille de celle qu’il a tuée et qui, longtemps, l’a considéré comme un fils.
En novembre 2017, Isabelle et Jean-Pierre Fouillot entourent le meurtrier de leur fille qui, à l’époque, joue le veuf éploré. À leurs côtés, Stéphanie et Grégory Gay, la sœur et le beau-frère d’Alexia.
En novembre 2017, Isabelle et Jean-Pierre Fouillot entourent le meurtrier de leur fille qui, à l’époque, joue le veuf éploré. À leurs côtés, Stéphanie et Grégory Gay, la sœur et le beau-frère d’Alexia. (Crédits : © LTD / SEBASTIEN BOZON/AFP)

La maison du couple reste inhabitée rue de Sonjour, à Gray-la-Ville. Hormis les enquêteurs, personne n'y a pénétré depuis la nuit du 27 octobre 2017. Des mauvaises herbes ont poussé le long des murs roses, sur la boîte aux lettres on peut encore lire « M. Daval Jonathann et Mme Daval Fouillot Alexia ». On aperçoit les scellés de la gendarmerie sur la porte du garage, derniers vestiges du drame. Plus de six ans après les faits, un calme apparent règne sur la petite commune des bords de Saône. « La sérénité est revenue, mais les rancœurs restent », lance une voisine, accoudée à sa fenêtre. Elle fréquente les parents d'Alexia et explique : « Entre Daval et Fouillot, certains avaient choisi leur camp. » Un meurtre et deux familles, que tout le monde connaît ici, qui continuent de se croiser et de s'affronter.

La maison des Duval


C'est ici, dans la nuit du 27 octobre 2017 qu'Alexia a été tuée. À droite, le bar La Terrasse, où les Fouillot et les Daval se croisent encore. (© LTD / LAFARGUE RAPHAEL/ABACA)

Au bar La Terrasse, tenu par les parents d'Alexia jusqu'en 2019, une habituée en imper rose oppose les Fouillot « qui ont des moyens » aux Daval « qu'en ont pas ». En salle, le taulier, Stéphane, ajoute : « Quand ils se rencontrent dans la rue, il y a des tensions. » L'ancien militaire tempère cependant : « On a tous envie de tourner la page. »

Il sert sans distinction Jean-Pierre, le père d'Alexia, qui continue de venir boire des cafés dans l'établissement où il a vu grandir ses deux filles, et Martine, la mère de Jonathann, fervente défenseuse de son fils. D'autres Graylois évoquent cette supposée lutte de clans et de classes entre les parents de la victime, notables et propriétaires, et la fratrie du meurtrier, plus modeste. « Cet aspect est secondaire, affirme Gilles-Jean Portejoie, avocat des Fouillot. Il n'y a rien de chabro-lien dans cette affaire. » Point ici de grands bourgeois et de petits prolétaires ; Fouillot et Daval, implantés dans la région depuis plusieurs générations, sont à peu de chose près issus du même milieu ouvrier, installés dans des quartiers résidentiels, avec des enfants inscrits dans les mêmes écoles et les mêmes clubs de sport.

C'est ainsi que Jonathann et Alexia se rencontrent, adolescents, au sein d'une bande de copains. Barbecues, vacances à la montagne, virées en centre-ville, l'insouciance file, le mariage est célébré en 2015. Les parents d'Alexia ont repris le PMU au milieu des années 2000, devenant « des patrons » murmure-t-on dans la commune, même si les journées sont longues et laborieuses derrière le comptoir. Ils accueillent avec chaleur les deux garçons dont s'éprennent leurs filles. Grégory et Jonathann : ces gendres seront comme des fils. Le premier est ingénieur de recherche dans le domaine spatial, le second informaticien ; entre eux l'entente est cordiale. Stéphanie et Alexia, sœurs si proches, font le lien.

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« Un féminicide, oui, mais particulier » (Gilles-Jean Portejoie)

Quand le corps sans vie d'Alexia est retrouvé à l'orée d'un bois de Gray, en partie calciné, le visage marqué de nombreux coups, des traces de strangulation sur la nuque, les parents dévastés soutiennent le mari. Devant les caméras de télévision, ses larmes coulent sans s'arrêter. La France est suspendue à ces images tragiques, captivée par le mystère de l'enquête. Pendant trois mois, Jonathann reste proche des Fouillot, quasiment installé chez eux, meurtrier déguisé en veuf éploré qui porte autour du cou l'alliance de sa défunte épouse.

Stéphanie et Grégory sont présents, bien sûr, désemparés. « Dès qu'Alexia a disparu, j'ai pris un carnet pour noter ce qui se passait, ne rien oublier, nous relate aujourd'hui Grégory Gay. Je ne voulais pas rester passif. » Il écrit tout, ses pensées, les avancées des investigations, ses doutes... « Le comportement de Jonathann m'intriguait. Il était le dernier à avoir vu Alexia vivante, j'étais persuadé qu'il savait quelque chose. » Il tente de déceler des signes, se remémore avoir entendu les bribes d'une violente dispute, un an auparavant.

De leur côté, les gendarmes rassemblent des éléments probants contre l'enfant du pays que Gray soutient dans son deuil. Jonathann Daval est interpellé le 29 janvier 2018. Le lendemain, il avoue avoir donné la mort à son épouse, « par accident » prétend-il d'abord, sans reconnaître avoir déplacé et brûlé le corps. Fin juin, coup de théâtre : devant le juge d'instruction, le prévenu change de version et accuse Grégory d'avoir étranglé Alexia avec la complicité des Fouillot. Le choc est rude. Les regards changent sur la famille, désormais soupçonnée. En coulisses, Jean-Pierre, Isabelle, Stéphanie et Grégory vivent un calvaire supplémentaire en se brouillant avec leur avocat, à qui ils reprochent de « graves manquements déontologiques », signalés au conseil de l'ordre du barreau de Paris.

Pour prendre la relève de leur défense, Grégory sollicite le cabinet pénal des Portejoie père et fils. Et tente d'aider la justice. « Je me suis plongé dans le dossier, raconte l'ingénieur. Devant ces accusations calomnieuses et délirantes, il m'était inconcevable de ne rien faire. » Il s'intéresse aux expertises scientifiques et psychiatriques, aux écoutes téléphoniques, « au fond de l'affaire », résume-t-il. Le 7 décembre 2018, lors d'une confrontation avec Isabelle Fouillot, Daval avoue finalement avoir tué sa femme. Transporté sur la scène de crime pour une reconstitution, il mime la série de coups de poing portés au visage cette nuit d'octobre dans la maison rose et rejoue, sur une gendarme, les quatre longues minutes d'étranglement. Dans le bois d'Esmoulins, il admet enfin avoir mis le feu au corps. Le meurtre d'Alexia, 29 ans, devient le premier « féminicide » médiatisé comme tel en France. « Un féminicide, oui, mais particulier, avec tous ces mensonges, ces revirements, ces trahisons et la force des parties civiles que je représente, qui se sont battues pour la manifestation de la vérité, commente le pénaliste Gilles-Jean Portejoie. Cette histoire est une tragédie à répétition, à chaque fois de la douleur vient s'ajouter à la souffrance. »

La tombe d'Alexia Fouillot


La tombe d'Alexia Fouillot fleurie par sa famille et des anonymes. Des proches de victimes de féminicide ont apporté leur soutien. (© LTD / LAFARGUE RAPHAEL/ABACA)

Le procès se tient en novembre 2020, devant la cour d'assises de la Haute-Saône, à Vesoul, pour « meurtre sur conjoint ». Pendant cinq jours, les faits et la personnalité de l'accusé sont passés en revue, tout comme la volonté d'Alexia d'avoir un enfant, ses traitements de fertilité, sa joie de tomber enceinte, sa tristesse quand survient une fausse couche.

Les expertises ont décelé chez son époux de l'immaturité, une capacité à la manipulation et aux mensonges, des troubles obsessionnels compulsifs de propreté, ainsi que des frustrations, notamment liées à des troubles sexuels, qui peuvent expliquer sa violence. La thèse d'un empoisonnement au long cours est évoquée, au vu des analyses toxicologiques qui révèlent dans l'organisme de la victime des traces de puissants tranquillisants, sans que la préméditation soit établie. Celle d'un acte sexuel post-mortem est écartée par le médecin légiste. Le jour du verdict, Me Randall Schwerdorffer se souvient de la nervosité de son client. « Quand on a entendu que la peine serait de vingt-cinq ans, on a respiré, dit-il. On a ensuite passé trente minutes avec lui, avant qu'il retourne en détention. »

Dans une petite salle du palais de justice gardée par des policiers, Jonathann Daval, réuni avec ses trois conseils, exprime son soulagement de voir son procès se terminer ; il ne souhaite pas faire appel de la décision. Sur les bancs du tribunal, Martine Henry, sa mère, est elle aussi satisfaite : « On pensait qu'il prendrait trente ans, donc on était contents », confiet-elle par téléphone. Les Fouillot, eux, repartent brisés mais reconnaissants d'avoir eu « une enquête et un procès digne de ce nom ». Aux micros tendus, Isabelle, la mère, a le courage de prononcer ces mots : « Cette décision est à la hauteur de notre souffrance. Nous sommes arrivés à la fin du combat, maintenant on va essayer de se reconstruire. »

« C'est le moment de juger les mensonges de Daval. Il risque cinq ans de prison, cumulés avec sa peine actuelle » (Jean-Hubert Portejoie, avocat de la famille Fouillot)

Incarcéré en Alsace dans la centrale d'Ensisheim, aux côtés d'autres criminels notoires - Nordahl Lelandais, Francis Heaulme et Guy Georges, avec qui il aurait sympathisé -, Daval reçoit tous les quinze jours la visite de sa mère et de son beau-père. Il occupe un emploi dans un atelier de la prison, pour passer le temps mais aussi contribuer à financer les 160 000 euros de dommages et intérêts qu'il doit aux Fouillot et à Grégory Gay. La somme a pour l'instant été avancée par le Fonds de garantie des victimes. « Il fabrique des rouleaux de câbles électriques », précise Martine Henry, qui lui apporte des habits. Elle assure que son fils a le moral. « Il veut que je lui raconte tout ce qui se passe dehors », poursuit-elle. Dehors, rien ne s'est apaisé. Les répercussions de son terrible crime sont nombreuses. À Gray, la vie des Fouillot n'a plus jamais été la même. Seul leur petit-fils, l'enfant de Stéphanie et Grégory, égaie leur infini désespoir. À quelques kilomètres, dans le village de Velet, le quotidien des Daval ne tourne plus qu'autour du prisonnier d'Ensisheim, représenté par sa mère dans ses démarches administratives et judiciaires. Avec quelques accrocs.

Quand Canal+ diffuse un documentaire sur l'affaire, c'est elle qui le regarde et en fait le résumé à Jonathann. Et c'est elle qui, en février, demande à Me Schwerdorffer de porter plainte en diffamation à la suite de propos tenus dans la série par Isabelle et Stéphanie Fouillot. Mais une audition de Daval révèle qu'il n'a pas vu les épisodes en question et qu'il ne souhaite finalement pas poursuivre ses ex-belle-mère et belle-sœur. Le parquet de Vesoul classe la plainte sans suite. Un contentieux demeure cependant, autour du partage des biens de l'ancien couple, source d'insupportables crispations pour les Fouillot.

La maison d'Alexia, où elle rêvait de fonder une famille, propriété occupée précédemment par ses grands-parents et où sa mère, Isabelle, a grandi, est au cœur d'un conflit notarial alimenté par les griefs de Martine Henry, au nom de son fils. « La succession a été réglée, indique Grégory Gay, mes beaux-parents et ma femme ont hérité des parts d'Alexia et devaient racheter celles de Jonathann, en déduction des dommages et intérêts dus. Mais au moment de la levée des scellés, la mère de Jonathann a débarqué à l'improviste avec sa notaire.
Elle criait sur Jean-Pierre et Isabelle, prétendant qu'ils voulaient voler son fils, s'emparant des clés sur la porte, un vrai scandale... »

« On doit encore se battre contre les turpitudes de la mère du meurtier » (Grégory Gay, le beau-frère d'Alexia)

La scène, ubuesque, se déroule en mars 2021, derrière les volets clos du 18, rue de Sonjour, dans le salon où Alexia a vécu ses derniers instants. Une épreuve supplémentaire pour ces parents endeuillés qui, encore aujourd'hui, n'ont pas pu récupérer les affaires de leur enfant disparue. Ce 10 avril, tous doivent se retrouver dans une salle d'audience du tribunal correctionnel de Besançon. À la requête des Fouillot, Jonathann Daval est cité à comparaître pour les avoir, en 2018, accusés à tort du meurtre d'Alexia.

« C'est le moment de juger ses mensonges, nous dit l'avocat Jean-Hubert Portejoie, chargé du dossier avec son père. Daval risque cinq ans de prison, cumulés avec sa peine actuelle. Mais ce n'est pas une démarche pour le symbole. Le préjudice subi par M. Gay et les Fouillot est tout sauf symbolique. » Pour ces années de calomnies et de procédures coûteuses, ils ont aussi demandé une indemnisation de 64 000 euros. « Mon client va s'expliquer, assure Me Schwerdorffer. On peut comprendre les ressorts de ses fabulations, liés à certaines déclarations faites à l'époque et à sa relation avec sa propre mère, même si personne ne lui a rien soufflé. » « On voudrait en finir... », lâche Grégory, beau-frère et enquêteur amateur qui depuis les premières heures du drame a cherché à comprendre, malgré le vacarme médiatique et les rumeurs de la petite ville franc-comtoise.

Il ne cache pas sa colère. : « On a perdu Alexia dans des conditions ignobles et on doit encore se battre contre les turpitudes de la mère du meurtrier, sa notaire et ses avocats... » Aujourd'hui, dans le cimetière de Gray, une tombe se remarque immédiatement, couverte de fleurs, de statuettes d'anges et de chats. Une photo montre une jeune femme blonde et souriante. Sur la pierre tombale gravée de lettres blanches, Alexia Fouillot ne porte plus le nom de Daval.

L'affaire Daval en six dates

28 octobre 2017

Jonathann Daval signale la disparition de son épouse

30 octobre 2017

Le corps partiellement calciné d'Alexia est retrouvé

27 juin 2018

Jonathann Daval accuse son beau-frère Grégory Gay d'avoir étranglé Alexia au domicile de ses parents

7 décembre 2018

Il avoue le meurtre d'Alexia

21 novembre 2020

Jonathann Daval est condamné à vingt-cinq ans de prison sans allongement de la période de sûreté

10 avril 2024

Il est cité à comparaître pour dénonciations calomnieuses devant le tribunal de Besançon

Commentaire 1
à écrit le 07/04/2024 à 9:11
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Le fait qu'ils le traitaient comem son fils n'a aucun effet sur le fait qu'il l'ai assassiné ce n'est pas pire c'est juste que la famille était crédule comme 90% des gens. Et s'ils ne l'avaient pas aimé cela aurait été aussi peut-être pour une mauvai...

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