Entre la crise sanitaire et la relance, le dilemme périlleux de Macron

En annonçant un couvre-feu de 21h à 6h du matin, Emmanuel Macron veut tenter de préserver le tissu productif déjà meurtri par un printemps désastreux. Derrière, le personnel de santé exsangue redoute un hiver terrible. Pour l'exécutif, ce dilemme reste un casse-tête quotidien.
Grégoire Normand
(Crédits : POOL)

C'est un exercice difficile d'équilibriste. Depuis le début du confinement au printemps, Emmanuel Macron est sur une ligne de crête. Entre la nécessité de freiner la propagation du virus et le besoin de préserver l'économie, le chef de l'Etat tente de jongler entre ces différents impératifs parfois contradictoires. Lors de son intervention télévisée mercredi 14 octobre, le Président de la République a suscité une vague de réactions et d'indignation à la suite de son annonce sur la mise en place d'un couvre-feu dans les grandes métropoles françaises entre 21 heures et 6 heures du matin pour tenter d'enrayer l'épidémie. Certains l'ont accusé de mettre à nouveau en péril les libertés individuelles quand d'autres, comme les restaurateurs, estiment être victimes d'un nouveau tour de vis sanitaire. "Il n'y aura pas une interdiction de circuler entre 21 heures et 6 heures du matin. Il y aura une stricte limitation aux bonnes raisons. Et cela veut dire par contre qu'on n'ira plus au restaurant, on ne sortira plus du restaurant après 21 heures, qu'on n'ira plus chez des amis, qu'on ira plus faire la fête parce qu'on sait que c'est là qu'on se contamine plus facilement et qu'il faut réduire" a ainsi précisé Emmanuel Macron.

"Priorité au travail"

Au printemps, la mise en oeuvre des mesures drastiques de confinement a plongé l'économie tricolore dans une inquiétante torpeur. En seulement quelques jours, des pans entiers de l'économie hexagonale ont été mis à l'arrêt pour tenter d'enrayer la propagation du virus. Le manque de masques, de gel hydroalcoolique et de capacités hospitalières ont obligé les autorités à mettre en oeuvre un état d'urgence sanitaire exceptionnel pendant quelques mois. Du jour au lendemain, des millions de travailleurs se sont retrouvés au chômage partiel. Pour éviter à nouveau cette bascule à l'automne, le président a fait clairement comprendre que sa priorité était de faire tourner l'économie marchande.

"L'objectif, c'est de pouvoir continuer à avoir une vie économique, à fonctionner, à travailler à ce que les écoles, les lycées, les universités soient ouvertes et fonctionnent, à ce que nos concitoyens puissent travailler tout à fait normalement [...] je l'ai dit, nous allons continuer à travailler. Notre économie en a besoin, notre société en a besoin, on en a besoin, nos enfants ont besoin de continuer d'être à l'école. On doit continuer de pouvoir aller au travail dans tous les secteurs pour soigner, pour faire tourner notre industrie, nos services et notre pays a besoin de ça. Pour le moral et puis pour financer le reste du modèle."

Les risques d'une stratégie du "en même temps"

Après avoir mis sous cloche l'économie et instauré un confinement généralisé, les autorités ont finalement décidé de changer de stratégie en proposant des mesures plus ciblées sur les zones géographiques sous tension. En réalité, cette stratégie du "en même temps" comporte de multiples risques. En l'absence de consigne claire sur le télétravail dans des zones densément peuplées par exemple, le gouvernement prend le risque d'entretenir l'exposition de millions de salariés et indépendants au virus alors qu'une partie importante de la population active peut recourir au télétravail. Beaucoup doivent alors multiplier les tests et se mettre à l'isolement ou en arrêt de travail après avoir été testé positif. Ce qui peut entraîner une hausse importante de la main d'oeuvre non-disponible et avoir des répercussions néfastes sur le plan économique. Dans une récente étude, la direction statistique du ministère du Travail (Dares) avait mis en exergue que le présentéisme en entreprise lorsque le salarié était malade pouvait entraîner une forte hausse des contaminations. En outre, malgré les mesures d'aides annoncées par le gouvernement, le personnel hospitalier et les services de réanimation ont fait part de leur désarroi lors de récentes enquêtes après un printemps cataclysmique.

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Des secteurs au bord du gouffre

Plusieurs secteurs sont au bord du précipice. Dans une récente évaluation, les économistes de l'OFCE ont rappelé que "l'hôtellerie-restauration, les services de transport et certains services aux ménages (arts, spectacles, activités récréatives et sportives)" sont en première ligne dans cette crise sanitaire. "Il existe des risques importants sur les faillites, les licenciements que l'on a dû mal à mesurer. Le choc actuel est sans commune mesure avec ce que la France a pu vivre depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. C'est une crise hors-norme. Deux secteurs perdent plus de 50% de leur valeur ajoutée en 2020. Il s'agit des matériels de transport, de l'hébergement-restauration" a expliqué l'économiste Mathieu Plane du centre de recherche rattaché à Sciences-Po Paris lors d'une présentation aux journalistes. Pour tenter une nouvelle fois de rassurer, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire a présenté un renforcement des dispositifs d'aides pour les secteurs les plus touchés lors d'un point presse avec le Premier ministre Jean Castex jeudi 15 octobre mais la fin d'année risque d'être tendue. Une grande partie des perspectives dépend grandement des avancées de la recherche pour trouver un traitement ou un vaccin.

Un conflit ancien

Ce conflit entre l'économie et la santé est loin d'être nouveau. Lors des précédentes épidémies, les gouvernements ont dû se confronter à de telles décisions. En 1918 par exemple, la grippe espagnole avait fait entre 50 et 100 millions de morts selon l'économiste et ancien président de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), Pierre Cyrille Hautcoeur ,interrogé par La Tribune au printemps.

"La grippe espagnole s'est développée à l'échelle de toute la planète et a fait de nombreux morts (50 à 100 millions à l'échelle de la planète, de l'ordre de 1% de la population dans les pays riches). C'est considérable. En revanche, elle a eu semble-t-il peu d'effets économiques. Comme elle est apparue à la fin de la première guerre mondiale, il est difficile de dissocier les deux. Mais des travaux académiques ont été menés sur des pays neutres comme la Suède, qui suggèrent qu'il y a eu peu d'effets économiques même si le bilan humain était désastreux. Cette grippe montre que si l'Etat ne fait rien, les morts s'accumulent mais l'économie fonctionne. Dans la crise actuelle, l'économie est bloquée pour sauver les gens."

Plus récemment, quelques exemples ont montré que privilégier uniquement l'économie pouvait mener à des désastres. Au printemps, la stratégie américaine qui a consisté à laisser faire le virus sans vraiment protéger la population a conduit à une catastrophe sanitaire historique sans compter les millions de personnes qui ont perdu leur emploi en quelques jours.

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De l'efficacité et de la rapidité des tests

Au mois de septembre, les économistes et prix Nobel Esther Duflo et Abhijit Banerjee ont proposé dans une tribune au Monde de mettre en place un confinement du premier au vingt décembre afin de permettre aux familles de se voir à Noël. Cette proposition a suscité une réaction indignée du patron du Medef Geoffroy Roux de Bezieux. Après un confinement drastique et généralisé sur tout le territoire, il semble que le gouvernement ne veut pas revenir sur un tel scénario dans les semaines à venir. En outre, le confinement généralisé a aggravé certaines inégalités antérieures à la crise. L'une des solutions réside sans doute dans l'efficacité et la rapidité des tests ainsi que le tracing des cas contacts comme l'ont proposé plusieurs épidémiologistes. Il reste que le fiasco de l'application StopCovid a refroidi les ardeurs.

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Grégoire Normand
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