Le Premier ministre Gabriel Attal est prévenu. À la veille de son discours de politique générale au Parlement, le chef du gouvernement Gabriel Attal et le ministre de la Justice Eric Dupont Morreti sont venus assister à l'audience solennelle de rentrée de la Cour des comptes lundi. En présence d'un parterre de magistrats financiers et de députés, le président de la Cour Pierre Moscovici a fixé le cap de « cette année percutante », a-t-il promis dans la salle prestigieuse des audiences du bâtiment principal de la rue Cambon. « 2024 sera une année charnière pour les finances publiques », a tonné l'ancien commissaire européen.
Budget : des objectifs « trop peu ambitieux »
Confronté à une dette publique vertigineuse, le gouvernement, encore incomplet, de Gabriel Attal a déjà promis 12 milliards d'euros d'économies cette année. « Le quantum d'économies à réaliser dans le budget 2024 est inédit depuis des années », a remarqué Pierre Moscovici. D'autant que, face à la fronde des agriculteurs, le gouvernement a déjà commencé à faire des propositions vendredi dernier. Mais cette opération déminage est jugée insuffisante par la plupart des syndicats agricoles. L'exécutif va sans doute devoir faire une rallonge budgétaire dans les jours à venir s'il ne veut pas que la colère et les violences s'éternisent. Autant dire que l'équation financière semble déjà virer au casse-tête pour le nouveau gouvernement Attal.
Sur le front budgétaire, le premier président de la Cour des comptes a d'ailleurs tancé l'exécutif sur « ses objectifs trop peu ambitieux ». « L'état des finances publiques est insatisfaisant », a jugé Pierre Moscovici. Le gouvernement s'est fixé pour objectif de ramener le déficit en deçà de 3% d'ici 2027 et de stabiliser la dette publique. Mais les prévisions macroéconomiques du budget 2024 semblent de moins en moins crédibles aux yeux d'un grand nombre de conjoncturistes.
Pour rappel, l'exécutif table sur une croissance du PIB de 1,4% cette année, soit un niveau bien supérieur à la Banque de France (0,8%) ou l'OFCE (0,8%). « Les scénarios du gouvernement sont optimistes », a jugé Pierre Moscovici. Il a notamment alerté sur la hausse des taux d'intérêt payés sur la dette.« Les administrations s'apprêtent à verser 54 milliards d'euros de charges d'intérêt en 2024 et pourraient dépenser 87 milliards d'euros en 2027 ». Un scénario défavorable pour l'ancien ministre des Comptes publics Gabriel Attal.
Un rapport annuel sur l'adaptation au changement climatique
Dans son discours, Pierre Moscovici a également esquissé les grandes lignes des travaux de la Cour à venir. Au programme du rapport annuel, l'adaptation au changement climatique. L'envolée du mercure et la multiplication des inondations ont secoué de nombreuses régions françaises ces dernières années. Dans quelques territoires, les populations sont exaspérées par la hausse des catastrophes naturelles.
Face au péril climatique, la Cour des comptes a décidé de s'attaquer à ce vaste sujet dans sa publication phare. « La triste actualité dans le Nord de la France nous montre combien il est important de nous pencher sur ces questions », a rappelé l'ancien ministre socialiste lors de ses voeux à la presse il y a quelques jours. S'agissant de 2025, le sujet du rapport annuel doit porter sur les politiques de la jeunesse. Au programme de 2024 également, une dizaine d'enquêtes à l'initiative de citoyens portant la lutte contre la corruption, « le pantouflage », c'est-à-dire le passage du public au privé ou encore les taxes à faible rendement.
« Résister aux assauts »
Critiqué il y a plusieurs semaines pour avoir reporté un rapport sur l'immigration régulière, le magistrat a réaffirmé « l'indépendance » de la Cour devant le chef du gouvernement. La Cour des comptes « se tient prête à résister aux assauts. La démocratie est en péril dans de nombreuses régions du monde et les populismes gagnent du terrain », a prévenu Pierre Moscovici. « Les autorités indépendantes et les Cours suprêmes ne sont pas des fardeaux ou des obstacles qu'il faudrait lever », a-t-il encore insisté. Aux Etats-Unis, l'attaque contre le Capitole orchestrée par les soutiens de Donald Trump avait d'ailleurs provoqué une vague de sidération partout sur la planète en janvier 2021.
En France, les récentes critiques à l'encontre du Conseil constitutionnel au moment de la censure du projet de loi immigration ont également fait bondir les Sages de la rue Montpensier. Ces institutions « sont des garantes de l'Etat de droit et des piliers de notre démocratie. Si nous perdons cette boussole-là, ce fil à plomb des institutions, alors nous courrons tous les risques », a poursuivi Pierre Moscovici, quatre jours après la censure par le Conseil constitutionnel de vastes pans de la loi sur l'immigration du gouvernement. Début janvier, le président du Conseil constitutionnel Laurent Fabius avait déjà regretté « une certaine confusion chez certains entre le droit et la politique ».