Le gouvernement Attal est assis sur un volcan. Quinze jours à peine après son entrée à Matignon, le chef du gouvernement a reçu ce lundi le principal syndicat agricole FNSEA. Objectif affiché, tenter d'endiguer la grogne des agriculteurs. À l'automne déjà, des éleveurs et céréaliers avaient retourné des milliers de panneaux sur tout le territoire, en signe de protestation contre la fin de la détaxe sur les carburants. Et depuis, la colère est montée d'un cran. En Europe, les agriculteurs ont organisé de vastes manifestations en Allemagne et aux Pays-Bas.
Dans le viseur, la politique agricole de la Commission européenne et le Green Deal bruxellois. Les conseillers de Matignon et de l'Elysée suivent de très près ces mouvements de contestation. La révolte des « gilets jaunes » de l'hiver 2018 est restée gravée dans les esprits. À l'époque, les rassemblements autour des ronds-points et les blocages avaient surpris toute la Macronie. Face à l'exacerbation du mouvement, le gouvernement avait dû mettre près de 20 milliards d'euros sur la table pour éteindre l'incendie. Six ans après cette contestation inédite, le nouveau gouvernement doit faire face à sa première crise.
Risque de propagation
Le premier syndicat agricole a déjà annoncé des mobilisations tout au long de la semaine. Ces appels pourraient générer des vagues de contestation dans d'autres secteurs. En effet, les agriculteurs ne sont pas les seuls à devoir encaisser la fin de la détaxe sur le gazole non routier (GNR) décidée à l'automne lors de la préparation du budget 2024.
Les entreprises du BTP sont également concernées par la suppression de cette détaxe. Pressés dans un premier temps par ce relèvement de la fiscalité, les marins pêcheurs ont obtenu un répit jusqu'en juin 2024. Mais la question de la hausse des prix des carburants pour les professionnels dépendants de l'énergie fossile est loin d'être réglée. L'exécutif a prévu une sortie progressive de cette niche fiscale... jusqu'en 2030. De leur côté, les organisations professionnelles attendent toujours des solutions pour adopter des outils compatibles avec la transition écologique.
Dans ce climat de mécontentement, « la mobilisation des agriculteurs n'a pas encore trouvé de prolongement auprès d'autres catégories professionnelles », rappelle à La Tribune, Erwan Lestrohan, directeur des études chez Odoxa.
« Pour autant, le capital sympathie dont bénéficient les agriculteurs et l'attention que leur prête désormais l'exécutif sont à prendre en compte si l'on se pose la question de la coagulation potentielle de leur mouvement de contestation », poursuit le spécialiste des enquêtes d'opinion.
Cette catégorie professionnelle bénéficie « d'un soutien et d'un capital sympathie élevés dans l'opinion. Les agriculteurs ont une excellente image dans la population nationale, les Français sont très attachés à cette profession qui assure la qualité de notre alimentation, incarne le respect et la défense des territoires ».
Une économie au ralenti
L'autre ferment qui pourrait nourrir le mécontentement réside dans le ralentissement de l'économie tricolore. Les dernières enquêtes PMI montrent que l'activité tourne au ralenti, notamment dans l'industrie. La plupart des instituts de prévisions ont dégradé leurs chiffres de croissance pour 2024. De son côté, le gouvernement table sur une baisse des taux pour donner du souffle aux ménages et aux entreprises. Mais ce pari semble risqué.
Les dirigeants de PME doivent faire face à une baisse des carnets de commandes, depuis de longs mois et l'extinction des aides Covid. Résultat, les défaillances d'entreprises sont reparties à la hausse en 2023. Et les perspectives sont loin d'être réjouissantes. La multiplication des fermetures d'entreprises pourrait entraîner des licenciements importants et une hausse du chômage comme annoncée par l'OFCE et la Banque de France.
Du côté des ménages, la consommation est toujours en berne. Hormis le Smic, les salaires désindexés de l'inflation n'ont pas suivi l'envolée des prix à la consommation, en particulier dans l'alimentaire. Cette semaine, le Premier ministre Gabriel Attal doit encore recevoir les syndicats et les organisations patronales en vue de son discours de politique générale, prévu le 30 janvier prochain. Les confédérations ne devraient pas manquer de faire remonter les difficultés des salariés face au prolongement de la hausse des prix.
Le RN sur le terrain
À quelques mois des élections européennes, le Rassemblement national (RN) redouble d'efforts pour occuper le terrain médiatique. Résultat, ses élus et représentants multiplient les déplacements sur le thème de l'agriculture. Et le parti compte bien exploiter la colère des campagnes pour gagner encore des points dans les sondages. Le RN de Marine Le Pen espère ainsi obtenir des sièges supplémentaires au Parlement européen.
« Dans la période actuelle, l'attention médiatique et politique dont le mouvement de contestation bénéficie désormais, pourrait inciter d'autres professions en crise (comme le personnel soignant par exemple) à s'engager dans une phase de revendication de leurs difficultés. Gabriel Attal s'est penché, au-delà du ministre de l'Agriculture, sur ce sujet et à 6 mois des élections européennes, le candidat du RN, principal rival de la majorité présidentielle dans les sondages sur cette élection, s'est aussi déplacé ces derniers jours pour rencontrer des agriculteurs », rappelle Erwan Lestrohan. La bataille pour les européennes s'annonce particulièrement rude.