Depuis le début de l'année, les annonces pleuvent, et les chiffres donnent le tournis. Partenariat en vue de la création d'un géant mondial de l'hydrogène renouvelable en Inde, contrat pharaonique pour le développement du plus grand champ de gaz naturel du globe au Qatar, acquisitions de plusieurs centaines de milliards de dollars dans le solaire aux Etats-Unis... Les superlatifs ne manquent pas pour qualifier le marché titanesque sur lequel s'assoit la « supermajor » française TotalEnergies, en pleine offensive pour diversifier ses activités.
Il faut dire que sa santé de fer lui permet d'avancer ses pions un à un et déployer une stratégie bien rodée afin de rester parmi les leaders du secteur. Et pour cause, avec un bénéfice record de 16 milliards de dollars en 2021, l'entreprise dispose des moyens pour asseoir sa position dans un monde aux enjeux nouveaux. Son PDG, Patrick Pouyanné, aime d'ailleurs à le répéter : c'est bien le cœur d'activité historique de la société, c'est-à-dire les revenus colossaux générés par la vente d'hydrocarbures, qui permettent au groupe d'investir massivement dans les énergies de demain. Notamment en ces temps de flambée des cours du gaz et du pétrole, qui lui assure de très confortables marges.
Objectif : top 3 mondial du GNL
De quoi tisser sa toile en dehors de Russie, alors que son prédécesseur, Christophe de Margerie, avait fortement misé sur le pays dirigé par Vladimir Poutine pour en exploiter le sous-sol. De fait, l'annonce dimanche dernier du méga-partenariat avec le Qatar dans le gaz naturel liquéfié (GNL) permet au groupe tricolore de tourner un peu plus le dos à Moscou, même s'il y reste présent, notamment à Yamal LNG, en Sibérie, et via ses parts dans le géant gazier Novatek.
Malgré les critiques et l'empreinte carbone peu reluisante du GNL, le pari semble d'ailleurs gagnant pour l'entreprise, qui ne fait qu' « accompagner » la stratégie mise en place par l'Union européenne elle-même, défend régulièrement Patrick Pouyanné, entre achat « as usual » de gaz russe malgré la guerre en Ukraine, et volonté d'un retrait progressif. Et pour cause, la major finit par « profiter » de la situation puisque, malgré l'explosion de son prix, la demande de GNL ne faiblit pas, bien au contraire.
D'après les projections, celle-ci devrait même augmenter de 5 à 7% par an d'ici à 2025, après avoir enregistré une hausse de 9% de 2015 à 2021. TotalEnergies compte bien en tirer parti, avec un objectif de 30% de croissance de production annuelle de GNL en 2025 par rapport à 2020, pour atteindre une part de 50% de gaz dans le mix de vente d'ici à la fin de la décennie, et « consolider sa position dans le top 3 mondial du GNL ». Le groupe français est ainsi devenu le premier exportateur de GNL américain, dont la production explose, notamment dans les usines de Cameron LNG, parvenue à pleines capacités et en cours d'extension, et Freeport LNG. Il y a cinq jours, la major a d'ailleurs annoncé, dans un énième communiqué, le renforcement de son alliance avec le groupe américain Sempra, pour développer entre autres une usine de liquéfaction de GNL sur la côte ouest du Mexique, Vista Pacifico, destinée à l'export vers l'Asie et l'Amérique du Sud.
Les Etats-Unis, pièce maîtresse dans la stratégie
TotalEnergies compte d'ailleurs fortement sur ses partenariats outre-Atlantique, y compris en dehors du GNL, pour muscler son jeu. Fin mai, l'entreprise avait ainsi acquis 50% de l'américain Clearway, le cinquième acteur du pays dans les énergies renouvelables. « Une preuve de plus pour [ses] actionnaires » que le groupe « fait ce qu'il dit dans sa stratégie », avait-il alors fait valoir par voie de communiqué, à quelques heures d'une assemblée générale sous haute tension.
Un mois plus tôt, le groupe avait également mis la main sur la société texane Solar Core, spécialisée dans la prospection de le développement de sites pouvant accueillir de grandes fermes de panneaux photovoltaïques, avec un pipe d'opportunité de pas moins de 4 GW. Enfin, en février, TotalEnergies avait annoncé obtenir pour 250 millions de dollars les activités solaires industrielles et commerciales de l'américain SunPower, dont il est actionnaire majoritaire.
Plus généralement, dans le monde, le géant français ambitionne d'atteindre une capacité installée de production d'électricité d'origine renouvelable de 35 GW d'ici à 2025, et de 100 GW d'ici à la fin de la décennie. En février, lors de la présentation de ses profits records de 2021, TotalEnergies avait ainsi précisé qu'il allouerait, en 2022, 25% de ses investissements nets (3,5 milliards de dollars) dans les énergies renouvelables et l'électricité. Ce qui s'est d'ores et déjà traduit par des projets aux quatre coins du globe.
Et notamment en Asie puisque, le 13 avril dernier, le groupe avait annoncé s'associer avec la société pétrolière japonaise ENEOS afin de développer la production d'énergie solaire pour ses clients B2B dans plusieurs pays d'Asie, avec un objectif de 2GW de capacités dans les cinq prochaines années. Surtout, début 2021, TotalEnergies avait mis la main sur 20% du capital d'AGEL, une filiale d'Adani, le plus grand conglomérat privé indien dans le domaine de l'énergie et premier développeur solaire au monde. En Inde, le groupe tricolore couve également de grandes ambitions dans l'hydrogène : en début de semaine, il a annoncé s'allier avec Adani, cette fois-ci pour créer « un géant de l'hydrogène vert ». Concrètement, celui-ci vise, comme premier jalon, une production de pas moins d'un million de tonnes d'hydrogène par an d'ici à 2030, soit plus que la production annuelle mondiale actuelle !
Le pétrole reste au cœur de l'activité
Néanmoins, TotalEnergies continue d'investir très massivement dans le pétrole, en dépit du dérèglement climatique. En novembre dernier, l'entreprise avait par exemple signé avec les autorités libyennes divers accords, afin de « développer des projets solaires », mais aussi et surtout pour investir dans des projets de réduction du brûlage du gaz sur les champs pétroliers, ainsi que pour contribuer à la restauration de la production de pétrole du pays, de manière à atteindre 2 millions de barils par jour et par là-même alimenter les marchés mondiaux.
Surtout, son mégaprojet EACOP de construction d'un oléoduc chauffé à 50°C en Ouganda et en Tanzanie continue d'attirer les foudres des écologistes, tant le site promet de contribuer aux émissions de gaz à effet de serre mondiales, et affectera la biodiversité et les populations locales. A cet égard, pas sûr que sa communication douteuse autour de la « faible intensité carbone » de son pétrole et de son GNL, du fait de techniques de stockage et de capture du CO2 dont l'efficacité reste à prouver, suffise à les rassurer.
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