L'horizon au bout du tunnel est encore loin de se dégager. Après deux longues années de pandémie, l'économie française a traversé de fortes zones de turbulences au cours du premier trimestre. Entre l'explosion des contaminations du variant Omicron du début d'année et l'éclatement de la guerre en Ukraine à la fin du mois de février, l'activité économique dans l'Hexagone a fait du surplace entre les mois de janvier et mars. A cela s'ajoutent l'envolée des prix et les tensions accrues sur les chaînes d'approvisionnement.
Pour l'instant, l'institut basé à Montrouge n'a pas évoqué le scénario noir d'une « stagflation », mauvais souvenir des années 70 marquées par une croissance atone et une inflation au plus haut. « La stagflation correspond à une activité qui stagne et une inflation sur une période durable. Notre scénario pour le second trimestre est celui d'une croissance modeste avec une inflation qui reste élevée. Nous n'avons pas de scénario au-delà de la mi-année », a expliqué le chef du département de la conjoncture Julien Pouget, lors d'un point presse ce lundi. L'Insee n'a pas non plus évoqué de scénario de récession. Pour rappel, une récession technique correspond à deux trimestres consécutifs de recul du produit intérieur brut (PIB).
Le président Emmanuel Macron, qui pourrait annoncer son prochain gouvernement cette semaine, aura la lourde tâche de ne pas faire sombrer l'économie tricolore s'il veut pouvoir tenir les promesses de son programme présidentiel dès les premiers mois de son mandat.
L'Insee table sur 0,25% de croissance du PIB au second trimestre
En dépit des nuages qui s'amoncellent au-dessus de l'économie française, la croissance devrait progresser légèrement au cours du second trimestre, selon l'Insee. Les différentes enquêtes menées par l'institut de statistiques illustrent une montée des incertitudes mais aussi « une résistance du climat des affaires », soulignent les auteurs du point de conjoncture. « Le scénario central de notre prévision montre une croissance modeste de 0,25% avec des effets de rattrapage, une relative résistance du climat de l'emploi. Il existe néanmoins des risques sur la consommation des ménages, des risques internationaux, » a résumé Julien Pouget. La politique zéro-covid menée en Chine continue de chambouler les chaînes d'approvisionnement partout sur la planète.
L'acquis de croissance en 2022, c'est à dire le niveau de croissance qui serait enregistré si rien ne se passait, serait de 2,6% à la mi-année contre 2,7% dans la note de conjoncture de mars. Cet acquis résulte en grande partie du rebond mécanique de 2021 de la croissance du PIB en 2021 (+7%) après le plongeon spectaculaire de 2020 au moment du pic de la pandémie.
Une inflation supérieure à 5%
Les compteurs de l'inflation continuent de grimper en flèche. Après avoir atteint 4,8% au mois d'avril, l'indice des prix à la consommation pourrait dépasser la barre symbolique des 5% d'ici juin. « Les chocs d'offre négatifs avec la guerre en Ukraine et la politique zéro covid en Chine augmentent les tensions sur les quantités et les prix. S'agissant des prix, ils atteignent des niveaux inédits depuis le début de nos séries dans l'agriculture (+69% pour les céréales), l'industrie. Ces prix à la production continuent de se transmettre aux prix à la consommation », explique Julien Pouget. « En mars 2022, les prix de production de l'industrie française ont augmenté de 24,4 % sur un an. Il s'agit de la plus forte augmentation depuis que ces séries sont calculées, janvier 1995 », souligne un récent billet de blog de l'Insee.
L'inflation sous-jacente, qui exclut les prix les plus volatils (énergie, alimentation) pourrait grimper à 3,5% d'ici à juin contre 2,5% en juin. En moyenne annuelle, l'inflation sous-jacente était de 1,1% au cours de l'année 2021. La Banque centrale européenne (BCE) est actuellement sur une ligne de crête. Même si elle a déjà annoncé un resserrement de sa politique monétaire via l'arrêt du programme d'achat d'urgence face à la pandémie (PEPP), le conseil des gouverneurs doit éviter de freiner l'activité de la zone euro déjà empêtrée dans une croissance au ralenti au cours du premier trimestre.
Un pouvoir d'achat en berne
La guerre en Ukraine a considérablement affecté la confiance et la consommation des ménages, traditionnel moteur de l'économie tricolore au cours du premier trimestre. Le pouvoir d'achat des ménages français a reculé de 1,5% entre janvier et mars et pourrait une nouvelle fois se replier de 0,5% au cours du second trimestre. « Il y a une baisse très nette de la confiance des ménages depuis le début de la guerre en Ukraine. L'indicateur mesurant l'opportunité de faire des achats importants marque une chute. Dans le même temps, l'indicateur mesurant l'opportunité d'épargner n'a pas vraiment diminué depuis le début de la crise sanitaire », souligne Julien Pouget.
Malgré toutes les mesures pour lutter contre la hausse du coût de la vie (bouclier tarifaire, remise à la pompe, chèque inflation), le pouvoir d'achat, enjeu de préoccupation majeur des Français, perd du terrain dans ce contexte particulièrement anxiogène.
L'industrie dans le rouge, les services résistent
Du côté des entreprises, la situation est particulièrement critique dans les secteurs très dépendants des énergies fossiles ou de l'étranger pour se procurer des matières premières ou des métaux. Dans l'automobile, la plupart des grands groupes et de leurs sous-traitants sont toujours dans le rouge. L'automobile reste marquée par des tensions d'approvisionnement. « Au mois de mars, la production automobile était encore inférieure d'un tiers à son niveau d'avant crise sanitaire », indique Julien Pouget. A l'opposé, certains secteurs dans l'informatique notamment continuent de tirer leur épingle du jeu, profitant de l'essor du numérique dans les entreprises depuis la pandémie.
Du côté des ménages, la situation est contrastée. La poussée de fièvre des prix ces derniers mois a pénalisé en premier lieu les ménages les plus modestes et ceux dépendants de leur véhicule pour se déplacer. Les mesures de l'exécutif en grande partie non ciblées n'ont pas permis de compenser les effets néfastes de cette hausse galopante des prix sur le porte-monnaie des familles en bas de la distribution. Cela pourrait avoir des répercussions importantes sur la croissance du PIB. Compte tenu de leur propension à consommer, ces familles pourraient encore freiner leurs dépenses de consommation dans les semaines à venir.