Inflation, pénuries, manque de main-d'œuvre : « le stress monte » chez les entreprises de taille intermédiaire

Bien qu'elles aient traversé la crise sanitaire avec une sérénité incontestable, augmentant même leur niveau d'investissement, les entreprises de taille intermédiaire (ETI) sont néanmoins frappées comme beaucoup par les difficultés d'approvisionnement et de recrutement ainsi que par la hausse des prix, aggravés par la guerre qui sévit en Ukraine. Pour La Tribune, Frédéric Coirier, co-président du METI et PDG du Groupe Poujoulat, revient sur les inquiétudes de ces dirigeants et les solutions que prône le syndicat sectoriel.
Coline Vazquez
Frédéric Coirier, co-président du METI et Pdg du Groupe Poujoulat, revient pour La Tribune sur les inquiétudes des entreprises de taille intermédiaires (ETI) face à la crise actuelle.
Frédéric Coirier, co-président du METI et Pdg du Groupe Poujoulat, revient pour "La Tribune" sur les inquiétudes des entreprises de taille intermédiaires (ETI) face à la crise actuelle. (Crédits : Reuters)

Inflation, pénuries et difficultés à embaucher... la France subit de plein fouet les conséquences de la guerre en Ukraine aggravant encore les problèmes d'approvisionnement qu'ont causé les confinements à répétition en Chine. Des difficultés auxquelles n'échappent pas les entreprises de taille intermédiaire (ETI). L'Hexagone en compte 5.400 entreprises qui génèrent entre 50 millions d'euros et 1,5 milliard de chiffre d'affaires. Solidement implantées sur le territoire (70% de leurs sièges sociaux sont situés en dehors de l'Île-de-France), elles sont un maillon essentiel du tissu industriel français.

Elles sont pourtant parvenues à traverser la crise sanitaire avec une certaine sérénité. C'est, en effet, ce qu'illustre une étude sur l'investissement des ETI en France, réalisée par le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI) et le cabinet Stanwell Consulting. Ainsi, entre 2019 et 2021, 65% d'entre elles n'ont pas modifié leur trajectoire d'investissement, et, parmi celles qui ont même accru leurs investissements en 2021 par rapport à 2019, 35% l'on fait dans le but de satisfaire de nouveaux besoins et 31% pour saisir des opportunités de développement à l'international.

Mais cette bonne santé affichée ces deux dernières années ne saurait masquer les craintes qui se sont installées chez une grande partie de leurs dirigeants. Près de 37% se disent inquiets, voire très inquiets, quant aux perspectives de leur entreprise pour les six prochains mois. Plus de 25% estiment, en outre, que la situation de leur secteur d'activité s'est dégradée depuis juin 2021, selon le 6e Baromètre Palatine-METI sur le financement des ETI.

Et pour cause: elles sont non seulement deux fois moins nombreuses à avoir vu leur trésorerie s'améliorer ces trois derniers mois, mais encore, la part de celles dont l'endettement net total s'est dégradé a progressé de 6 points.

Des difficultés auxquelles il est possible de répondre notamment par un allègement de la fiscalité française qui les pénalise face à la concurrence européenne, avance Frédéric Coirier, co-président du METI et PDG du Groupe Poujoulat. Pour La Tribune, il revient sur les enjeux au cœur de la santé et du développement des ETI françaises.

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LA TRIBUNE - Quelle est la force des ETI en France ?

FRÉDÉRIC COIRIER - Grâce à leur vision à long terme, les ETI sont plus solides que la moyenne et peuvent s'autofinancer, c'est-à-dire qu'elles réinvestissent en grande partie leurs résultats. Elles investissent d'ailleurs deux fois plus que la moyenne française. Elles recrutent davantage, également. Si on regarde sur une période longue, depuis la crise de 2008, les ETI ont créé créatrices nettes d'emplois. Des records ont même été battus en 2021 et au premier trimestre 2022 : 50.000 emplois ont été créés en net. Les ETI sont donc des facteurs de stabilité pour l'économie française.

Cela est en grande partie lié à la stratégie de leurs actionnariats qui privilégient le long terme plutôt que des objectifs de rendement immédiats, ce qui fait d'elles des structures financières robustes. Les ETI ne vont donc pas surréagir pendant les crises, elles gardent un certain sang-froid, comme on a pu le constater pendant la crise sanitaire. Mais, depuis mars et l'intervention russe en Ukraine [le 24 février 2022, Ndlr], ce niveau de stress monte.

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Pourquoi observe-t-on une forte inquiétude chez les chefs d'entreprise depuis peu?

À l'issue des confinements, l'activité est repartie plus fortement que prévu alors que l'on s'attendait à une année 2020 difficile, mais l'explosion des prix de l'énergie, fin 2021, est venue ternir le tableau, et ce, d'autant plus depuis l'éclatement de la guerre en Ukraine. La moitié des dirigeants disent ressentir davantage les effets de la conjoncture par rapport au premier trimestre. Ils sont même deux sur trois s'agissant des prix de l'énergie, selon le baromètre que nous avons réalisé avec la banque Palatine.

Ces entreprises subissent également les conséquences de délais d'approvisionnement qui ont en moyenne doublé par rapport à la période pré-Covid. Elles connaissent de fortes tensions pour certaines matières premières comme l'acier, les plastiques, mais aussi l'électronique avec les composants et les puces. Autant d'éléments qui obligent les entreprises à augmenter leurs stocks et, donc, à mobiliser davantage leur trésorerie. Qui plus est, cette situation entretient l'inflation car la demande est supérieure à l'offre. C'est ce qu'illustrent les chiffres de notre baromètre selon lesquels ces difficultés ont un impact sur l'activité de 90% des ETI, sur la rentabilité de 87% d'entre elles et sur les projets d'investissements de 63% d'entre elles. Et pour y faire face, 86% des ETI répercutent tout ou partie des hausses de coûts sur leurs prix de vente. Or, on ne voit pour l'instant pas vraiment de sortie de crise...

Sans compter qu'à cela s'ajoutent des difficultés de recrutement. C'est d'ailleurs la première source d'inquiétude (97%) des dirigeants d'ETI aux côtés de l'inflation des matières premières (91%). Ce sont des entreprises qui comptent de nombreux métiers industriels pour lesquels la France n'a pas assez formé de main-d'œuvre. Cela ne veut pas dire que les ETI ne parviennent pas à recruter, mais c'est beaucoup plus difficile et plus long.

De quel soutien ont-elles besoin pour traverser ces difficultés ?

Nous ne sommes pas des demandeurs de subventions mais d'air et d'espace pour pouvoir mieux fonctionner. Le plus important est que les ETI françaises soient placées à égalité avec la concurrence européenne. En effet, le coût du travail qualifié est deux fois plus important chez nous qu'ailleurs en Europe. De même, les impôts de production s'élèvent en France à 80 milliards d'euros contre 40 milliards en moyenne en Europe (Selon le baromètre européen des impôts de production 2022 réalisé par l'Institut Montaigne et le cabinet Mazars, les impôts de production s'élèvent à plus de 100 milliards d'euros, soit plus de quatre fois plus qu'en Allemagne par exemple, ndlr). En 2020, le gouvernement a décidé d'une baisse de cette fiscalité dans le cadre du plan France Relance [10 milliards d'euros de baisse des impôts de production à l'échelle nationale concernant près de 600.000 entreprises, Ndlr]. Bien que cette baisse devrait se poursuive, avec la suppression de la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) en 2023, ce n'est pas suffisant pour rattraper l'écart avec la moyenne des pays européens.

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Les ETI, qui sont très investies dans le territoire français, sont, en effet, très sensibles aux politiques publiques qui sont mises en place, et on voit bien qu'elles ont un impact significatif sur les comportements et les marges des entreprises. Ainsi, nous avons pu constater un vrai retour sur investissement à la suite de la première baisse des impôts de production, comme le montre l'étude réalisée avec Stanwell : l'investissement des ETI a augmenté par rapport à 2019, qui était déjà une bonne année. Si chaque année, elles renouvelaient leurs outils de production, les ETI ont pu, en 2021, accroître leurs capacités et étendre leurs ateliers, créer de nouveaux outils de production. Si on peut travailler sur la baisse des impôts de production, l'allègement des charges sur le travail qualifié et la simplification des règles, on pourra permettre aux entreprises de passer cette crise.

Coline Vazquez
Commentaires 4
à écrit le 12/07/2022 à 8:32
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Le problème est toujours le même: les perpectives d'avenir! Donc comment se mobiliser a bon escient si l'on reste dans l'inconnu? Ce n'est pas avec Mc Kron que l'on y verra plus clair, car il préfère jongler avec les excuses!

le 12/07/2022 à 11:27
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"le problème" le propre d'un chef d'entreprise c'est de prendre des risques , c'est à dire accepter une part plus ou moins importante d'inconnue en se projetant dans l'avenir sans se soucier du présent . Regardez le parcours de ceux qui ont réussi ,...

à écrit le 12/07/2022 à 8:12
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C'est étonnant ce manque de main d'oeuvre car les entreprises se plaignent toujours de recevoir beaucoup trop de CV, et de ne pas avoir de temps de s'attarder sur chaque candidature... Je pense que ce "manque de main d'oeuvre" fallacieux est juste un...

le 12/07/2022 à 10:19
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le manque de main d oeuvre concerne surtout des emplois durs et mal payés. on manque pas de personnel pour remplir des powerpoint dans des bureaux climatisés. La penurie va enclencher une amelioration des conditions de travail & salaire dans ces met...

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