La Cour des comptes juge "obsolète" la doctrine de l'Etat actionnaire

La Cour des comptes préconise dans son dernier rapport sur les participations de l'Etat de justifier les motifs d'intervention publique de l'Etat actionnaire. La juridiction juge "obsolète" la doctrine de l'Etat actionnaire mise à jour sous le quinquennat Macron. Dans le contexte de la pandémie et de la transition énergétique, les magistrats pointent notamment les failles de la cession de participations "pour contribuer au désendettement de l'Etat" et "financer les besoins de croissance d'autres portefeuilles".
Grégoire Normand
(Crédits : Reuters)

Air France, Renault, la SNCF, la Compagnie des Alpes... l'Etat n'a pas hésité à voler au secours de grands fleurons industriels tricolores depuis le printemps 2020. Pour éviter un cataclysme et des faillites en cascade, Bercy, qui a pris des participations dans de nombreuses entreprises (ou augmenté sa part dans le capital des sociétés plus fragiles dans lequel il était déjà présent) par le biais de l'agence des participations de l'Etat (APE), avait annoncé des recapitalisations ou des garanties de prêts bancaires colossaux (prêts garantis par l'Etat ou PGE). Des mesures qui s'ajoutaient par ailleurs aux mesures d'urgence de droit commun comme le financement de l'activité partielle ou des exonérations de cotisations.

Malgré ces sauvetages à répétition, le prolongement de la pandémie fait encore trembler beaucoup de secteurs empêtrés dans une crise sanitaire à rallonge. Même si la croissance du PIB a marqué un nouveau record en 2021 à 7%, l'économie française est encore loin d'avoir retrouvé son niveau d'avant-crise, encore inférieur de 1,6% selon les derniers chiffres de l'Insee.

Une doctrine jugée "obsolète"

Dans ce contexte troublé, les experts de la Cour jugent, dans un volumineux rapport de près de 130 pages dévoilé ce dimanche 6 février que cette doctrine est "obsolète.

"La crise sanitaire et le contexte nouveau [de transition énergétique]  frappent d'obsolescence une partie de la doctrine d'intervention de l'État en matière de participations publiques" expliquent-ils.

Lors de la présentation du dernier rapport d'activité à la presse à l'automne, le patron de l'APE, Martin, Vial avait expliqué que son agence serait plus attentive aux appétits aiguisés des investisseurs étrangers à l'égard des 83 entreprises dépendantes des participations de l'Etat actionnaire dont 11 cotées.

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Selon nos informations, la remise de ces propositions devrait intervenir après le second tour de l'élection présidentielle. "Il y a actuellement une revue du portefeuille de l'agence des participations de l'Etat. L'objectif est de proposer une nouvelle feuille de route avec plusieurs scénarios pour le prochain mandat", explique Bercy.

La doctrine établie en 2014 et mise à jour en 2017 au début du quinquennat Macron consistait pour l'Etat à être actionnaire dans trois types d'entreprises expliquent les rapporteurs :  les entreprises stratégiques (défense et nucléaire), les entreprises participant à des missions de service public et les entreprises dont la faillite pourrait entraîner un risque systémique.

L'autre volet important de la doctrine est que la puissance publique devait céder des participations pour désendetter l'Etat et "financer les besoins de croissance d'autres entreprises du portefeuille", rappelle la juridiction financière. La pandémie a fait voler en éclat cette doctrine. D'où la nécessité de mettre à jour cette politique selon les juristes de la Cour. Ils formulent ainsi plusieurs recommandations dans le sens d'une plus grande transparence et une plus grande clarification :

  • "préciser les motifs de l'intervention publique
  • définir les ressources financières mobilisables ;
  • veiller à bien articuler les stratégies actionnariales des différents pôles de l'actionnariat public (APE, CDC, Bpifrance)."

Il est vrai que l'Etat est intervenu dans de nombreux domaines ces dernières années sans être forcément actionnaire. Ces interventions ont été bien souvent justifiées par des impératifs de sûreté ou de souveraineté nationale. Le problème pointé par la Cour est que ces interventions ne vont pas forcément rapporter beaucoup de cash à l'Etat. "Il est peu probable que ses participations dans le secteur industriel et de services permettent de dégager des dividendes importants dans les prochaines années", explique la Cour.

Le coût faramineux de la crise pour l'Etat actionnaire

Près de deux ans après le début du séisme sanitaire, la Cour des comptes a révélé que le coût pour l'Etat actionnaire de cette crise est estimé "entre 15 milliards et 20 milliards d'euros" rien que sur l'année 2020. Cette fourchette prend en compte les pertes de dividendes, les pertes de recettes de cession d'actifs, les recapitalisations et d'autres hausses de dépenses budgétaires. Et cette estimation qui ne prend en compte que la première année de la pandémie pourrait encore gonfler. En effet, la multiplication des déferlantes de virus depuis mars 2020 a obligé l'Etat français a sans cesse intervenir au travers de nombreuses aides et dispositifs pour tenter d'amortir le choc. La Commission européenne avait suspendu ses règles en matière d'aides d'Etat. Si le pic de la cinquième vague semble passé, plusieurs épidémiologistes tablent déjà sur de prochaines hausses de contaminations. Ce qui signifie que l'Etat pourrait continuer à devoir amortir une grande partie du choc.

La Cour des comptes pose même l'hypothèse pour l'Etat de ressortir le carnet de chèques. "On ne peut exclure la nécessité, pour certaines des entreprises concernées, de financements complémentaires sur les années postérieures à 2020."

Et d'ajouter : "au-delà des coûts constatés en 2020, la crise sanitaire (...) a des conséquences sur les perspectives des entreprises concernées et entraîne des risques de coûts futurs pour l'actionnaire public".

L'agence des participations de l'Etat (APE), la Caisse des dépôts (CDC) et BPI fortement secouées

Plus que pour Bpifrance ou la Caisse des dépôts (CDC), la Cour s'inquiète surtout pour l'Agence des participations de l'État (APE) qui gère l'intervention de l'État dans les grandes entreprises (EDF, Engie, Orange, SNCF, Air France-KLM, ADP etc.) : "les effets retardés de la crise pour les participations gérées par l'APE pourraient être significatifs", prévient-elle. Parmi les bras armés financier de l'Etat, l'agence des participations de l'Etat piloté par Martin Vial est en effet celle qui a le plus souffert.

Les magistrats de la Rue Cambon estiment que la crise sanitaire a entraîné une chute de 8,6 milliards d'euros des fonds propres des entreprises faisant partie du portefeuille de l'agence de l'Etat. Il faut dire que Bercy a dû voler au secours de secteurs en première ligne comme les transports, l'énergie ou l'aéronautique dans lesquels l'agence est fortement impliquée.

La Caisse des dépôts et consignation a également été fortement frappée par les répercussions de la crise sanitaire. La fermeture des remontées mécaniques et des stations de ski en raison des mesures sanitaires ont provoqué une chute brutale du tourisme et de l'activité dans les montagnes entraînant de grandes difficultés de la Compagnie des Alpes. L'activité de la Poste a également subi de violentes secousses durant l'année 2020. Résultat, les fonds propres de la CDC ont diminué de trois milliards d'euros.

Enfin, le groupe BPI, fortement exposé aux répercussions de la pandémie, a accusé des pertes estimées à 1,3 milliard d'euros, selon la juridiction administrative. Si on regarde dans le rétroviseur, la pandémie a accéléré la baisse des dividendes versées par les entreprises à l'Etat déjà à l'œuvre depuis plusieurs années. Entre 2013 et 2020, le versement des dividendes a quasiment été divisé par dix passant de 4,5 milliards d'euros à 500 millions en 2020. Il faut néanmoins rappeler que Bercy avait annoncé d'importantes mesures d'aides en interdisant le versement de dividendes dans les grands groupes à participation publique. Le prochain mandat présidentiel pourrait réserver de nombreuses surprises.

Dividendes Etat actionnaire

Grégoire Normand
Commentaires 11
à écrit le 07/02/2022 à 22:31
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Mais, mais comment ils vont faire pour recaser les copains des copains ?

à écrit le 07/02/2022 à 17:57
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Depuis 86 Chirac, et le tout début des privatisations massives jusqu'à Chirac-De Villepin et en passant par Jospain P.S : 2300 Milliards d'eur de recettes de privatisation dépensées avec désinvolture en dépenses publiques, plutot qu'au désendettement...

à écrit le 07/02/2022 à 16:48
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mais c'est l'état français qui est obsolète !

à écrit le 07/02/2022 à 13:07
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Le dégagement de l'état actionnaire des société dans lesquelles il est minoritaire est une évidence, pour les société stratégiques la compensation doit être la création d'actions spécifiques interdisant la cession des voies stratégiques sans autorisa...

à écrit le 07/02/2022 à 11:26
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De toute façon la France est une dictature communiste qui subventionne à l'insu des français ses entreprises pseudo-privées lorsqu'elles sont mal gérees (cf. PGE) alors l'état actionnaire ou pas cela ne changera pas grand chose dans les faits puis...

à écrit le 07/02/2022 à 9:36
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Le problème de fonds est que la culture entrepreneuriale est faible en France. La majorité des français(e)s pensent à profiter, et la majorité des décideurs pensent à réguler et à taxer pour satisfaire leurs électorat. Tout ça ne tient que parce que ...

à écrit le 07/02/2022 à 8:52
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J'estime mais c'est sans doute une erreur que la cour des comptes n'est pas là pour dire la politique. Son boulot est d'assurer une large transparence de l'utilisation de l'argent public.. Et là...

le 08/02/2022 à 11:16
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Pas uniquement , elle a aussi pour rôle de guider les politiques dans leurs choix, donc de faire des propositions étant entendu qu'en dernier ressort ce sont les politiques ; gouvernement et parlementaires qui décident .

à écrit le 07/02/2022 à 8:21
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La SNCF c'est obligatoire de la sauver étant donné que la privatisation est un leurre, qu'elle a échoué au RU et en Allemagne et il faut bien que le train fonctionne ce serait le comble de l'hypocrisie qu'ils sabotent le train alors qu'ils nous impos...

à écrit le 07/02/2022 à 7:13
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l'etat actionnaire qui coule edf en rigolant serait ravi de le vendre plein pot a des actionnaires pour racheter ca gratuit une fois au tas.... he ben y a plus qu'a trouver les imbeciles volontaires, et ca ca va pas etre facile!

à écrit le 07/02/2022 à 5:27
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Le montant actuel reste inferieur en terme de croissance d'avant 2019. Le 1,7% c'est du vent, la croissance est a zero, tout simplement. Il suffit de regarder les indices. Bercy chante la messe aux ordres du micron.

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