Les moteurs de l'économie tricolore toussent déjà. Selon la dernière estimation de la Banque de France publiée ce lundi 10 août, l'activité a bien redémarré au mois de juillet mais à un rythme moins rapide qu'au mois de juin. La levée des barrières de confinement a permis à l'économie tricolore d'accélérer très rapidement au mois de juin dernier. Après ce rebond mécanique et un effet de rattrapage, le retour au rythme d'avant crise risque de prendre du temps. La mise en oeuvre de nouvelles mesures sanitaires destinées à limiter la propagation du virus à partir de ce lundi indique que la circulation du virus n'est pas complètement sous contrôle. En outre, la vitesse de la reprise va dépendre des avancées de la recherche pour trouver un vaccin.
Au cours du second trimestre, le PIB a baissé de 13,8%. La chute brutale et violente de l'économie française au moment des mesures de confinement risque d'avoir des répercussions colossales sur la trajectoire de la reprise. "Les points de fragilité comme le tourisme, le commerce international demeurent bien présents" explique l'économiste en chef de Saxo Bank, Christopher Dembik, interrogé par La Tribune. Malgré tout, "l'économie française est plus résistante que d'autres économies européennes. Les revenus des Français ont été plus préservés que ceux d'autres populations. Néanmoins, tous les secteurs exportateurs risquent d'avoir des difficultés dans la seconde moitié de l'année et l'autre point d'inquiétude est la consommation. Si la dynamique des faillites d'entreprises est plus limitée qu'anticipé grâce aux dispositifs mis en œuvre, cela ne va pas empêcher les ajustements et les licenciements", ajoute l'économiste.
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Un rebond timide dans le tertiaire
Les clignotants de la reprise dans les services marchands affichent un rythme poussif. L'activité repart timidement dans l'hébergement-restauration, la location (matériel, automobiles) ou encore la publicité et les études de marché. A l'opposé, la réparation automobile ou les services d'information retrouvent des couleurs. Surtout, les chefs d'entreprise expriment de fortes inquiétudes sur leur trésorerie avec des niveaux bien en deçà de ceux enregistrés avant la crise. Pour l'économie tricolore, la reprise laborieuse du tertiaire est une mauvaise nouvelle. En effet, le poids des services dans l'économie hexagonale n'a cessé de progresser depuis des décennies. Or si le rythme de la reprise dans les services marchands s'essouffle déjà, les effets de la récession risquent de sérieusement se prolonger et d'assombrir les perspectives économiques.
"Dans les services, le secteur du tourisme est à part. L'hémorragie paraît inévitable. La grande question va être la consommation. Les mesures de chômage partiel ont été prolongées et on essaye de préserver les revenus, c'est une bonne nouvelle. Le secteur bancaire devrait pâtir avec des licenciements à partir de la rentrée. La crainte du chômage va inciter à une consommation morose dans les prochains mois. L'amplitude de la crise n'est pas toujours comprise par les ménages alors que les entreprises vont devoir réduire les coûts. Les prochains mois devraient être désastreux", affirme Christopher Dembik. Lors d'un déplacement à Lourdes ce lundi, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a tenté d'apporter des réponses adaptées au secteur du tourisme dans la tourmente. "Nous allons élargir les dispositifs d'aide déjà actifs pour le tourisme aux magasins de souvenir et de piété, aux galeries marchandes, aux galeries commerciales qui se trouvent dans les aéroports avec un décret. Cela va leur permettre d'accéder au fonds de solidarité. Cela signifie des exonérations de charge sur 4 mois et le bénéfice du chômage partiel jusqu'à la fin de l'année", a déclaré le ministre.
L'industrie à la peine
Dans le secteur industriel, le taux d'utilisation des machines augmente de trois points en juillet à 72% (contre 69% en juin). Il reste malgré tout très inférieur à son niveau d'avant crise (79%). Sans surprise, si le taux d'utilisation dans l'industrie pharmaceutique augmente encore (84% en juillet contre 82% en juin), il reste relativement faible dans l'automobile (62% en juillet contre 58% en juin) ou dans la métallurgie (64% en juillet contre 62% en juin). Avec la propagation du virus sur l'ensemble des continents, l'industrie tricolore reste confrontée à un choc d'offre et de demande. "Les carnets de commandes se regarnissent mais restent en deçà de la normale", expliquent les économistes de la Banque de France. Beaucoup d'économistes redoutent une poursuite des plans de licenciement et des fermetures de sites à la rentrée. Dès le printemps, des grands groupes ont annoncé des restructurations massives (Airbus, Air France, Renault) et des réorganisations affectant des territoires entiers malgré les plans d'aides annoncés (Prêts garantis par l'Etat, soutien des filières). De nombreux sous-traitants et fournisseurs ont déjà commencé à trinquer. Pour le mois d'août, les dirigeants interrogés par la Banque de France tablent sur une hausse limitée de l'activité. Selon de récents calculs de l'économiste Eric Dor, la contraction de l'activité dans l'industrie manufacturière au cours du second semestre est impressionnante (-25%). "Dans l'industrie, il y a une dégradation sans précédent de la balance commerciale. Beaucoup de secteurs étaient déjà fragilisés avant la crise. On anticipe des licenciements massifs, des restructurations importantes avec des phénomènes de consolidation. Une grand partie de l'industrie est exposée avec la chute de l'activité dans l'aéronautique ou l'automobile", affirme l'économiste Christopher Dembik.
Du côté du bâtiment, les indicateurs illustrent également une allure plus modérée de l'activité au mois de juillet, même si elle reste bien orientée. "Dans le bâtiment, il y a un redémarrage plus important qu'anticipé. Même s'il y a eu une baisse logique avant les élections municipales, l'investissement des collectivités devrait repartir. Elles ont intérêt pour recréer de l'emploi local. Les collectivités locales savent qu'elles ont un vrai levier d'intervention", ajoute Christopher Dembik.
Une reprise en en V, en U, en W ou en aile d'oiseau ?
Il est encore tôt pour rendre compte de l'ensemble des conséquences de cette pandémie sur l'économie française. Beaucoup d'économistes restent plongés dans le flou et doivent sans cesse utiliser de nouveaux modèles et indicateurs (indicateurs haute fréquence des transactions bancaires ou de la consommation d'électricité par exemple) pour établir leurs scénarios de prévision. En dépit de tous ces obstacles, les derniers indicateurs économiques avancés permettent d'observer une reprise poussive et périlleuse de l'activité . "On n'a jamais cru à la reprise en V. On table plutôt sur une reprise en U. Le redémarrage de l'économie devrait être graduel. L'élément qui va compter en France est la psychologie des ménages", ajoute Christopher Dembik. A la Banque de France, les statisticiens parient sur une reprise en forme d'aile d'oiseau. En attendant le plan de relance qui doit être annoncé à la fin du mois d'août, les destructions d'emplois devraient se poursuivre dans les prochains mois alimentant les craintes d'une spirale récessive.