Le coût des normes ne cesse de grimper pour les élus locaux : deux milliards d'euros de plus en 5 ans

Le 16 mars, le Sénat organisera des Etats généraux de la simplification avec les associations d'élus locaux et le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN). Sans attendre cette date, la présidente et le premier vice-président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de la Chambre haute viennent de publier un rapport alertant sur le 'harcèlement textuel'. Un changement permanent de normes qui a des conséquences économiques et financières sur les politiques publiques. Explications.
César Armand
La simplification des normes applicables aux collectivités territoriales, un problème érigé en tête des priorités des élus locaux.
La simplification des normes applicables aux collectivités territoriales, un problème érigé en tête des priorités des élus locaux. (Crédits : Reuters)

C'est un sujet auquel s'est attaqué le Sénat depuis des années : rapport, proposition de loi, proposition de loi constitutionnelle, résolution, rapport encore, énième résolution... Un problème érigé en tête des priorités des élus locaux : la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales. Sauf que rien ne change : gouvernement comme parlementaires continuent de produire des textes dans tous les sens.

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« Les élus locaux n'en peuvent plus ! »

Via un nouveau rapport paru ce 26 janvier, la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat entend bien alerter les autorités concernées. Sa présidente (UDI) Françoise Gatel et son premier vice-président (LR) Rémy Pointereau chargé de la simplification, s'alarment d'une « addiction » et plaident pour une « thérapie de choc ».

« Les élus locaux n'en peuvent plus et nous parlent de ' harcèlement textuel' ! », s'exclament-ils auprès de La Tribune, d'une même voix.

Le constat est unanime : l'ordre juridique doit bâtir des équilibres toujours « plus subtils » et « plus complexes » entre des demandes « toutes légitimes » mais « souvent contradictoires ». « Les pouvoirs publics cèdent volontiers à la création de la norme ''magique'' afin de donner l'impression, voire l'illusion, qu'ils ont réglé la question dans l'intérêt général », écrivent la sénatrice d'Ille-et-Vilaine et le sénateur du Cher.

D'autant qu'une norme peut rimer avec « judiciarisation excessive de la société ». Les parlementaires, imaginent-ils, ne sont pas à l'abri d'un projet de loi qui viendrait protéger les maires contre les recours abusifs de leurs habitants qui les attaqueraient suite à des accidents voire à des agressions en-dehors des horaires d'éclairage public.

L'exemple du principe de « zéro artificialisation nette » (ZAN) des sols

Tant est si bien que l'inflation normative « complexifie » les projets locaux et « augmente significativement le coût ». « La multiplication des normes constitue donc indéniablement un frein au développement des territoires (...) Or la loi doit avant tout permettre et non entraver », ajoutent les deux membres de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat.

A cet égard, ils évoquent le principe de "zéro artificialisation nette" (ZAN) des sols, inscrit dans la loi "Climat & Résilience", mais dont les décrets d'application ne leur conviennent pas. Si le Conseil d'Etat a été saisi, le Sénat vient de présenter une proposition de loi pour soulager les maires démunis face à cet objectif très complexe à mettre en œuvre sur le terrain.

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Le Code de l'urbanisme qui a, par exemple, augmenté de 44% entre 2002 et 2022 reste un indicateur officieux parmi d'autres. D'autant qu'il n'existe « aucun thermomètre mesurant la fièvre normative ». Tant est si bien que le coût total du surcoût normatif est évalué à 2 milliards d'euros par la Direction générale des collectivités locales (DGCL, ministère de l'Intérieur) sur la période 2017-2021 !

« Les normes changent tout le temps. C'est une vraie difficulté pour conduire un projet local ! » affirment les sénateurs Gatel et Pointereau.

 Et ce alors qu'entre la crise sanitaire, la guerre en Ukraine, l'explosion des prix de l'énergie et le dégel du point d'indice des fonctionnaires, avant la hausse de la cotisation employeurs prévue dans la réforme des retraites, les élus locaux subissent l'inflation de plein fouet...

La réaction des maires de France

« La démarche engagée par Rémy Pointereau et Françoise Gatel est essentielle pour mettre en lumière la réalité du poids des normes dans l'action locale. Aucune simplification n'est possible sans le Parlement. L'association des maires de France (AMF), partenaire des Etats généraux de la simplification organisés par la Délégation aux collectivités du Sénat, est pleinement engagée à ses côtés dans ce combat contre l'inflation normative, et force de propositions », réagit, pour La Tribune, Eric Verlhac, directeur général de l'AMF.

Des études d'impact sur lesquelles le gouvernement est juge et partie

Ils recommandent donc de donner au Parlement plus de visibilité sur les textes envisagés par le gouvernement dans le domaine des collectivités territoriales. Et d'inviter l'exécutif à présenter, à chaque début de session parlementaire, les principales mesures s'appliquant aux élus locaux.

« Cela nous permettrait de nous assurer qu'un projet de loi est nécessaire en vérifiant que cela n'existe pas déjà dans l'arsenal réglementaire », estiment-ils encore.

Les deux parlementaires demandent en outre des études d'impact « plus sincères, plus objectives et mieux contrôlées » pour sortir de « l'autojustification » ou du « plaidoyer pro domo ».

« Ces études d'impacts sont faites par le gouvernement qui est juge et partie ! », pointent-ils.

Ils relèvent également que les projets de loi liés aux pouvoirs locaux souffrent d'un « défaut majeur » : ils ne respectent pas les principes de simplification, de libre-administration des collectivités territoriales - consacrée par la Constitution -, de subsidiarité et d'autonomie financière.

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Les sénateurs Gatel et Pointereau en oublieraient presque que les propositions de loi, c'est-à-dire portées par l'Assemblée nationale et le Sénat, ne sont, elles, pas soumises aux études d'impact. « Qu'on en mette en place ! » rétorquent-ils... mais ne serait-ce pas leur rôle de législateurs ?

« Le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) doit être renforcé »

Organe administrativo-politique méconnu du grand public, le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) est né le 17 octobre 2013. Composé de 36 membres (23 représentants des collectivités territoriales, 9 des administrations compétentes de l'Etat et 4 parlementaires), il est saisi par les ministères sur les projets de texte législatifs et réglementaires concernant les collectivités territoriales.

Son président Alain Lambert, contacté par La Tribune, « salue » ces différentes recommandations et va plus loin : « le CNEN doit aujourd'hui être renforcé, ce qui nécessite de garantir son indépendance et d'étendre ses missions. Né par la volonté du Parlement, il souhaite exercer auprès du Sénat une coopération renforcée afin de l'éclairer sur les risques d'une législation hors sol et d'une réglementation débridée »

« Puisque les études d'impact ne remplissent par leur office, il propose que ses délibérations soient annexées aux projets de loi : ainsi l'avis des collectivités territoriales pourra éclairer le législateur sur le bon sens qui devrait inspirer les lois nouvelles », conclut cet ancien ministre du Budget de Jacques Chirac connu pour être l'un des co-fondateurs de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

César Armand
Commentaires 10
à écrit le 29/01/2023 à 14:38
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Rien que dans le domaine de l'urbanisme, il y a de quoi épuiser les citoyens. Il faut une autorisation pour remplacer une porte de garage, changer la couleur de vos volets, ouvrir un hublot sur le toit, goudronner votre allée, créer un portail sur le...

à écrit le 28/01/2023 à 9:27
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Amusant comme article, si les élus locaux n'en pouvaient plus et que leur salaire étaient si bas que dit à leur dernière élections pensez vous vraiment u'ils seraient si nombreux a postuler (surtout dans les petits villages) ? On commencera a s'inqui...

à écrit le 28/01/2023 à 9:24
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Il faudrait surtout de cesser de se prosterner devant cette caste et d'envoyer en mission le général Canbronne. N'est ce pas Michelet qui disait: "Lorsque l'état est faible les sorcières apparaissent". J'ai un peu l'impression qu'elles sortent de par...

à écrit le 27/01/2023 à 17:11
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En Chine, le mandarinat a produit le communisme radical. En France, l’ordre royal a produit Napoléon et son code. Les chocs de simplification passent souvent par des changements de systèmes politiques.

à écrit le 27/01/2023 à 10:43
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ah ben si meme les elus commencent a se sentir etrangles par les lois normes impots simplifications a la francaise, ou autres, alors que c'est les premiers a en voter quand ils ne sont pas concernes, c'est que ca va mal!

à écrit le 27/01/2023 à 8:51
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Les normes c’est bien mais c’est souvent la multiplication de fonctionnaires inutiles

à écrit le 26/01/2023 à 22:49
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Qu ils commencent par arrêter tous leurs avantages qui n existent nullement pas ailleurs en Europe continentale…. Sont même pas élus par le peuple… vieil héritage de la Restauration du 19 eme siècle .. ça sera de la simplification et des coûts en ...

à écrit le 26/01/2023 à 22:48
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Qu ils commencent par arrêter tous leurs avantages qui n existent nullement pas ailleurs en Europe continentale…. Sont même pas élus par le peuple… vieil héritage de la Trsyzurztion du 19 eme siècle .. ça sera de la simplification et des coûts en M...

à écrit le 26/01/2023 à 21:02
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C'est l'arroseur arrosé !!! TOUTES les administrations publiques, à commencer par les administrations locales, ne cessent de mettre en place des contraintes supplémentaires sur le dos de leurs administrés et de leurs entreprises !!!! Et tout d'un co...

à écrit le 26/01/2023 à 21:02
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C'est l'arroseur arrosé !!! TOUTES les administrations publiques, à commencer par les administrations locales, ne cessent de mettre en place des contraintes supplémentaires sur le dos de leurs administrés et de leurs entreprises !!!! Et tout d'un co...

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