L'acronyme rend tout sauf zen celles et ceux qui sont chargés de l'appliquer : la ZAN pour « zéro artificialisation nette » des sols. Toutes les opérations qui consistent à « transformer un sol naturel, agricole ou forestier par des opérations d'aménagement pouvant entraîner une imperméabilisation partielle ou totale afin de les affecter notamment à des fonctions urbaines ou de transport » font en effet l'objet d'une réglementation stricte depuis la promulgation de la loi « Climat & Résilience » de 2021.
Considérant que l'artificialisation des sols est l'une des « causes premières du changement climatique et de l'érosion de la biodiversité », le gouvernement a légiféré pour que, d'ici à 2030, la consommation totale des espaces à l'échelle nationale ait diminué de moitié avant d'atteindre la zéro artificialisation nette des sols (ZAN) en 2050.
C'est là que le bât blesse. Dès le lendemain des élections législatives, l'Association des maires de France (AMF) a saisi le Conseil d'Etat, le 22 juin, sur deux décrets d'application de la loi « Climat & Résilience » publiés le 29 avril.
« Précipitation » et « recentralisation rigide », reproche l'AMF
Le premier décret porte sur les objectifs et les règles générales des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) « en matière de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols » ; le second sur « la nomenclature de l'artificialisation des sols ».
L'AMF reproche au gouvernement de donner « un coup de frein aux dynamiques locales », jugeant que ces deux décrets ont été publiés « dans la précipitation » et « dans une approche de recentralisation rigide ».
Des décrets d'application « quasi kafkaïens », juge le Sénat
Un point de vue partagé par Jean-Baptiste Blanc. Au nom de la commission des Finances, le sénateur (Les Républicains) du Vaucluse a publié, le 29 juin, un rapport de contrôle budgétaire sur les outils financiers en vue d'atteindre l'objet de « zéro artificialisation nette des sols ». Sur le terrain, le modèle économique reste en effet à définir, écrit l'ex-élu de Cavaillon.
Il n'y a actuellement pas de financement, la pression foncière joue en défaveur des terres naturelles et agricoles, et il est généralement moins coûteux de construire des logements neufs que de « reconstruire la ville sur la ville », pointait-t-il.
Des éléments de langage repris par sa collègue Françoise Gatel lors de la séance de questions au gouvernement du 13 juillet dernier. La présidente (UDI) de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation était revenue sur des décrets d'application « quasi kafkaïens », « qui déforment l'esprit de la loi » et [qui] « nous conduisent collectivement dans une impasse ».
Aussi avait-elle demandé au ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires s'il acceptait « la proposition du Sénat de réviser les conditions de mise en œuvre du "zéro artificialisation nette" (ZAN) ». En réponse, Christophe Béchu, ancien sénateur LR du Maine-et-Loire, avait reconnu « un manque d'information et d'outils pour être capables d'atteindre l'objectif ».
Une loi autour de laquelle la discussion pourra s'établir, selon Béchu
Tant et si bien que le sujet se trouvait, encore, sur la table le 19 juillet lors d'une réunion au ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires entre les ministres et les onze associations d'élus locaux. A l'ordre du jour, « l'agenda territorial » promis par la Première ministre Elisabeth Borne lors de son discours de politique générale du 6 juillet. Sans surprise, les représentants de l'Association des maires de France (AMF) avaient sauté sur l'occasion pour évoquer la ZAN des sols ainsi que la « nécessité » de réécrire les décrets et d'obtenir des études d'impact.
Entre-temps, le Sénat a lancé une consultation des élus locaux en ligne ainsi qu'une mission de contrôle conjointe à la commission des affaires économiques, à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, à la commission des finances et à la commission des lois. Résultat : en conclusion de leurs travaux, la présidente de ladite mission Valérie Létard (UDI, Nord) et son rapporteur Jean-Baptiste Blanc (LR, Vaucluse) ont communiqué sur le dépôt d'une proposition de loi « visant à faciliter le déploiement des objectifs de zéro artificialisation nette au sein des territoires ».
« Ce pourra être sur la base du véhicule législatif proposé par le Sénat que la discussion autour de l'évolution du cadre du ZAN s'établira », a déjà affirmé le 6 décembre aux parlementaires, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu.
25 mesures
Il en ressort ainsi 25 mesures, dont huit idées saillantes. La première porte sur la modification des schémas régionaux comme le Schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) ou le Schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF) ainsi que les documents intercommunaux et communaux comme le Schéma de cohérence territoriale (SCoT) ou le Plan local d'urbanisme (PLU). Plutôt que de les finaliser en mars 2023, le Sénat propose de prolonger d'un an le délai accordé pour leur adaptation, ceci afin de procéder au dialogue nécessaire entre les différentes collectivités territoriales.
« Le calendrier est trop serré ! », justifie la présidente (UDI) de la mission de contrôle Valérie Létard. « Laissons-les prendre le temps de bien travailler », enchaîne la sénatrice du Nord.
Dans le même esprit, les parlementaires recommandent de transformer la conférence des schémas de cohérence territoriale (SCoT), réunion des élus locaux sur leur planification intercommunale, en « conférence régionale du ZAN ». L'objectif est double : effectuer un suivi des trajectoires de la zéro artificialisation nette (ZAN) des sols et servir de forum de dialogue, notamment pour les communes et les intercommunalités, en première ligne sur l'aménagement.
« En cas de blocage à l'échelle d'un territoire », la Première ministre a déjà annoncé, en clôture du congrès des maires le 24 novembre, des contrats entre l'Etat et le bloc communal dans le but d'« ajuster [les] objectifs pour permettre un équilibre entre développement de projets d'intérêts majeurs et sobriété foncière ».
Instaurer un « plancher de droits » à artificialiser
Dans un autre registre, pour préserver les projets structurants de demain, la « Chambre des territoires » conseille de placer les grands projets d'envergure nationale et européenne dans un « compte foncier national » spécifique. Il y a trois semaines, Élisabeth Borne a également « confirmé » que lesdits grands projets, type lignes à grande vitesse ou grands projets d'infrastructures, ne seraient pas décomptés à l'échelle régionale. « La liste de ces grands projets sera arrêtée au premier trimestre 2023 », a-t-elle ajouté.
Les sénateurs appellent, par ailleurs, à faciliter la mutualisation régionale des projets, avec un « droit de proposition » donné aux communes, aux intercommunalités, aux départements et à leurs groupements pour proposer des projets à la mutualisation. Par exemple, une route, un équipement public... qui ne relève pas nécessairement des compétences régionales.
Deux autres idées, cette fois au chapitre différenciation : instaurer un « plancher de droits » à artificialiser. « Aucune commune ne pourra disposer d'une enveloppe inférieure à 1 hectare à l'issue de la territorialisation », est-il écrit dans la proposition de loi. Ou encore prendre en compte le recul du trait de côte. « Les communes littorales verront des terrains rendus inutilisables et devront, de surcroît, libérer du foncier afin de "relocaliser" les activités et bâtiments abandonnés à l'avancée de la mer », poursuit le texte.
Là encore, le mois dernier, la locataire de Matignon a « garanti » aux maires que toutes les communes rurales puissent bénéficier d'une possibilité de construction, en particulier, lorsqu'elles ont peu construit par le passé. Tout comme elle leur a promis, plus généralement de « territorialiser et de différencier les objectifs »,
Conjuguer urgence climatique, réindustrialisation et logements
Autre piste : instaurer un « sursis à statuer ZAN » ainsi qu'un « droit de préemption ZAN », car, aussi incroyable que cela puisse paraître, les communes et intercommunalités ne disposent pas d'outils réglementaires pour s'opposer à des projets qui consommeraient une partie de leur enveloppe d'artificialisation.
Ultime sujet et non des moindres : le Sénat suggère de comptabiliser des parcs et des jardins comme surfaces non artificialisées. De son côté, Élisabeth Borne a, elle, fait savoir que le décret relatif à la nomenclature de l'artificialisation serait « adapté rapidement » avec l'Association des maires de France pour qu'il soit plus « lisible et opérationnel » et afin de « tenir compte » des projets de « renaturation ».
Dans l'intervalle, Valérie Létard, qui porte la proposition de loi sénatoriale, espère bien un examen au premier trimestre 2023 et compte bien sur l'engagement de l'exécutif pour une adoption, dans la foulée, par l'Assemblée nationale. « Certes des choses ont été dites, mais il faut les traduire dans la loi. Notre texte a le mérite de poser le sujet de façon raisonnable et d'y apporter de la souplesse et du pragmatisme », insiste la parlementaire centriste du Nord.
D'autant plus qu'il va falloir conjuguer urgence climatique, réindustrialisation et construction de nouveaux logements. Dans les Hauts-de-France, entre les gigafactories, le port autonome de Dunkerque et le Canal Seine Nord Europe, il resterait ainsi entre 7 et 10 hectares par schéma de cohérence territoriale et par an, a calculé l'élue...
Hasard du calendrier, l'Association des maires de France (AMF) vient de transmettre à la presse 20 propositions pour la mise en œuvre du ZAN. Elle propose de sécuriser la méthode d'observation et de mesure de l'artificialisation en révisant le désormais fameux décret du 29 avril relatif à la nomenclature, mais aussi de planifier la zéro artificialisation nette des sols et d'articuler cette ZAN avec les autres objectifs de politique publique, tel que le développement rural ou la protection de la biodiversité. A lire ci-après en cliquant sur le visuel.Les maires de France avancent 20 propositions
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