Spontanément, l'Île-de-France n'est pas la première région à laquelle pensent les Français quand ils achètent et consomment du vin. Et pourtant, cernée par les Hauts-de-France au Nord, le Grand-Est à l'Est, le Centre-Val-de-Loire au Sud et la Normandie à l'Ouest, la région-capitale compte quelques passionnés qui comptent bien gagner des parts de marché en France et à l'étranger.
Un « mikado géant administratif »
Ces vignerons, c'est-à-dire des agriculteurs travaillant de la vigne au vin sur des superficies de quelques ares à la quinzaine d'hectares, ces viticulteurs, fournisseurs de raisins comme matière première, et ces vinificateurs qui les transforment en vin, se retrouvent au syndicat des vignerons d'Île-de-France (SyVIF), « organisme de défense et de gestion de l'indication géographique protégée Île-de-France », selon la décision de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) en 2016. L'IGP Île-de-France qui devrait figurer sur les bouteilles dès l'année 2022 avec le logo rond bleu sur fond jaune qui va bien.
Reste que le combat a été long : l'indication géographique protégée (IGP) et les appellations d'origine protégée (AOP) sont les indications géographiques avec un signe de qualité et d'origine, sans parler des certifications « Bio », « Label rouge » ou « tradition garantie ».
« Le droit viticole est un mikado géant administratif où lorsque vous voulez tirer une aiguille pour simplifier, vous êtes confronté à des interactions innombrables avec d'autres règles », résume le président du syndicat des vignerons d'Île-de-France.
D'autant que « derrière une étiquette de vin » Île-de-France, se trouvent 2.000 pages de réglementation européenne, dont « 1.308 de règlement transversal », et près de 1.000 pages « pour la façon dont la France applique les règles européennes plus ou moins bien ». « La France a des insuffisances lourdes dans l'application des outils juridiques européens. Cela pénalise le dynamisme entrepreneurial », assène encore Patrice Bersac. Tant est si bien qu'il peine à donner le nombre de professionnels concernés.
73 cépages
Lui-même viticulteur, notamment, de 12 ares (1.200 m²) au pied de la tour César à Provins (Seine-et-Marne) déclare en effet « relativiser » les chiffres dont il dispose. « Nous n'avons pas de convention avec l'administration pour obtenir la connaissance précise de ceux qui ont l'autorisation de planter, ceux qui ont planté et ceux qui produisent », ajoute-t-il. Depuis 2016, le droit - libre - de plantation est en effet devenu un régime d'autorisation de plantation. « L'activité viticole est une activité énormément encadrée et administrée aux niveaux français et européen », insiste-t-il.
Tout juste le président du syndicat des vignerons d'Île-de-France consent-il à lâcher le nombre d'une « centaine d'hectares » de vignes plantées en Île-de-France... viticole historique. Cette dernière regroupe certes Paris, la petite et la grande couronne, mais aussi la ville de Dreux en Eure-et-Loir (région Centre-Val-de-Loire). Ou encore deux départements des Hauts-de-France comme l'Oise ainsi que l'Aisne jusqu'à Laon. L'Est de l'Aisne relève, lui, de l'appellation « Champagne ».
Sur ce vaste territoire, 73 cépages sont autorisés : les blancs type chardonnay, chenin, savagnin, riesling, verdhelo, viognier ; les rouges comme cabernet-sauvignon, gamay, pinot noir ou syrah. Ou encore des cépages moins connus comme castets noirs, joubertin noir, ségalin noir, tressot en rouge, et en blanc, précoce bousquet, romorantin et gringet. Et enfin huit cépages « résistants hybrides interspécifiques » dont l'oberlin noir, le seyval blanc ou le maréchal foch noir.
Un flou juridique
Avec toutes ces données, Patrice Bersac évoque, dans un deuxième temps, 50 hectares « mais qui ne sont pas tous arrivés au stade de la production ». Et même jusqu'à 400 hectares de potentiel de production estimé à « horizon 2030 ». Encore faut-il que certains vignerons choisissent dans quelle catégorie ils se rangent. Il y a d'un côté les vignes commerciales et de l'autre les vignes de consommation familiale.
Là encore, il existe un flou juridique permettant à des communes de planter des vignes patrimoniales. Dans l'Oise, par exemple, la commune de Gouvieux a planté au début du deuxième millénaire 2.000 pieds de Chardonnay et 500 pieds de pinot noir sur un terrain municipal. Résultat : depuis les premières vendanges de 2004, l'association des vignerons de ladite commune obtient, bon an mal an, entre 1.000 à 3.000 bouteilles de vin blanc mousseux, de vin rosé mousseux et de vin rouge. La production ne peut être vendue, mais est reversée pour moitié aux vignerons amateurs pour moitié à la mairie qui en fait son fond de cave ou qui la donne lors de manifestations type Téléthon.
Aussi, à l'heure actuelle, seuls cinq domaines commercialisent leur vin sous la dénomination Île-de-France avec le millésime 2020 : le vignoble de la commune de Suresnes (Hauts-de-Seine), le domaine du Bois Brilant à Guérard (Seine-et-Marne), le domaine Magalyval de Jean-Michel Bourgoin à Blunay (Seine-et-Marne), le domaine du Parc du Sausset (Seine-Saint-Denis) et le domaine de Davron (Yvelines).
« Particulièrement impactés » par le dérèglement climatique
Qu'elles soient des vignes commerciales ou des vignes de consommation familiale ou encore des vignes patrimoniales, elles bénéficient d'un climat océanique dégradé - « relativement homogène », souligne le président du syndicat des vignerons - avec un éclairement équivalent à celui de Colmar, une pluviométrie voisine de celle de la Champagne et des sols qui ont un pH supérieur aux régions voisines.
En réalité, comme dans les autres régions administratives, elles subissent le dérèglement climatique et en particulier trois phénomènes qui s'accentuent : le gel plus tardif qu'autrefois, des sécheresses « courtes mais intenses » et des précipitations « plus fortes et plus tardives », à commencer par la grêle qui devient « un souci », relève Patrice Bersac.
« Nous avons perdu en concentration, en sucre et en arôme à cause des pluies avant les vendanges », s'alarme le président du syndicat des vignerons d'Île-de-France. « La vigne est plus particulièrement impactée que ne le sont les céréales, les pommes de terre ou les betteraves », conclut-il.
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