Le e-commerce va-t-il tuer le commerce physique ? La grande peur des élus locaux

DOSSIER E-COMMERCE. "Action Coeur de ville", "Petites villes de demain"... Depuis 2018, le gouvernement multiplie les programmes et les dispositifs visant à revitaliser les centres-villes à coups de subventions. Peine perdue : les élus locaux ont dû mal à déployer des places de marché locales performantes et demandent, unanimement, une convergence de la fiscalité assise sur le commerce physique et celle assise sur le commerce électronique.
César Armand
A défaut de réguler l'implantation des entrepôts du e-commerce, le gouvernement actuel mène une politique de revitalisation des cœurs des petites et villes moyennes depuis près de quatre ans.
A défaut de réguler l'implantation des entrepôts du e-commerce, le gouvernement actuel mène une politique de revitalisation des cœurs des petites et villes moyennes depuis près de quatre ans. (Crédits : Reuters)

C'est le fruit de sept mois de travaux et de quarante-deux auditions à l'Assemblée nationale et sur le terrain. Une mine d'informations sur un sujet économique et politique majeur. Un document qui tombe à pic à quelques jours de la restitution des « Assises du commerce ». Le député (LR) de la Somme Emmanuel Maquet et la députée (LREM) de Charente Sandra Marsaud viennent enfin de rendre public leur rapport sur le rôle et l'avenir des commerces de proximité dans l'animation et l'aménagement des territoires.

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Il en ressort vingt-et-une propositions sur la prise en compte des commerces dans la planification territoriale, la localisation desdits commerces et, bien sûr, l'effet de la fiscalité sur le e-commerce.

« La principale mutation est l'essor du commerce électronique [qui] rompt le lien entre le consommateur, le magasin, le quartier et la rue », écrivent les parlementaires.

« Si le phénomène s'est indéniablement accéléré avec la pandémie, il est à ce jour impossible de savoir si la part qu'il prendra jouera à l'avenir sur l'existence même des magasins », ajoutent-ils.

Faire converger la fiscalité sur le commerce physique et celle sur le e-commerce

Parmi leurs idées soumises au débat public et législatif, figure celle de faire converger la fiscalité assise sur le commerce physique et celle assise sur les opérateurs dont l'activité est intégralement orientée vers la vente de produits aux consommateurs par voie électronique, en commençant par réformer la taxe sur les surfaces commerciales. La « Tascom » est en effet une taxe dont s'acquittent toutes les surfaces de vente au détail de plus de 400 mètres carrés et réalisant un chiffre d'affaires à partir de 460.000 euros hors taxe.

« Je ne souhaite pas changer le libéralisme, mais lorsque le Pdg de Carrefour veut lancer un hypermarché de 12.000 m², il doit se soumettre à la commission départementale d'aménagement commercial, à la commission nationale d'aménagement commercial et à une étude d'impact, avant de payer la Tascom », tempête Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants (27 fédérations, 450.000 salariés, 1 million de salariés)

«  Amazon, qui ne fait que de la vente aux consommateurs, doit, lui, déposer un permis de construire. C'est une inégalité », enchaîne-t-il.

Quatre ans de dispositifs et de programmes gouvernementaux

A défaut de réguler l'implantation des entrepôts du e-commerce, le gouvernement actuel mène une politique de revitalisation des cœurs des petites et villes moyennes depuis près de quatre ans.

Dans le cadre de la loi sur l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan), promulguée en octobre 2018, les services du ministère de la Cohésion des territoires ont créé un outil sur-mesure pour les collectivités : l'opération de revitalisation de territoire (ORT).

Les préfets copilotent désormais les autorisations d'exploitation commerciale avec les communes et les intercommunalités concernées. C'est-à-dire qu'à eux trois, ils peuvent suspendre pour une durée de trois ans l'implantation de tout équipement considéré comme nuisible aux centres-villes.

Un appui juridique qui s'est accompagné la même année d'un programme dédié aux villes moyennes baptisé « Action Cœur de ville » et doté de 5 milliards d'euros. Soit autant de crédits pour les commerces, le logement, le tertiaire, les zones commerciales, mais aussi des investissements pour acquérir du foncier ou des équipements, venant d'Action Logement, de l'Agence nationale pour l'habitat et de la Banque des territoires.

« Action Cœur de ville », ça va dans le bon sens, mais ça ne suffit pas. Pour que les clients reviennent en centre-ville, il faut faire revenir les services publics », nuance Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD, 7.467 magasins de proximité sur un total de 19.170).

Fin 2020 et dans le même esprit, l'exécutif a lancé le dispositif « Petites villes de demain » avec 3 milliards d'euros sur la table, suivi par la Banque des territoires qui a débloqué 1 milliard d'euros pour relancer le commerce et l'activité en centre-ville.

Des places de marché locales et des chèques numériques

Parmi les mesures communes aux deux plans, une subvention annuelle de 20.000 euros pendant deux ans, soit 40.000 euros, pour recruter des managers de centres-villes. Autrement dit, des « facilitateurs administratifs, fiscaux et patrimoniaux » qui opèrent des « va-et-vient entre le terrain et la mairie », dixit le directeur de la Banque des territoires Olivier Sichel.

A date, 350 managers de centres-villes ont été financés : 122 pour « Action Cœur de ville » et 228 pour « Petites villes de demain » pour un total de 13 millions d'euros. Dans ce cadre, 300 plateformes numériques locales ont été mises en place, de Béthune à Bastia.

Dans le même temps, la direction générale des Entreprises, qui dépend du ministère de l'Economie, des Finances et de la Relance, vient, elle, de se féliciter d'avoir signé 112.000 chèques numériques pour 112.000 TPE, « en grande partie des commerces, pour acquérir une solution numérique et mettre en œuvre un accompagnement ».

Sauf que « le commerce électronique de proximité reste timide », confie Olivier Sichel. « Il n'y a pas d'explosion des applications locales mais les commerçants nous disent "ça permet de me faire connaître et de maintenir une activité en cas de fermeture sanitaire" », ajoute le directeur de la Banque des territoires.

« L'omnicanalité bien planifiée permet une augmentation du chiffre d'affaires des commerces mais elle exige en parallèle la création d'emplois pour l'utilisation des outils digitaux », confirment les députés Maquet et Marsaud dans leur rapport sur le rôle et l'avenir des commerces de proximité dans l'animation et l'aménagement des territoires.

« Les grandes chaînes de commerce et les PME y parviennent aisément, mais elle constitue un problème pour l'écrasante majorité des commerçants indépendants, qui sont des TPE et qui ont du mal à dimensionner leur investissement en ce domaine et à consacrer du temps aux aspects digitaux de leur métier », poursuivent-ils, suggérant que l'enveloppe consacrée à la numérisation des commerces dans France Relance soit « sensiblement renforcée ».

Sur le terrain, « cela reste laborieux ! », abonde Francis Palombi. « Les commerçants individuels ne sont pas réticents mais éprouvent des difficultés à se mettre dans la boucle », explique le président de la Confédération des commerçants, ex-candidat (LREM) aux législatives en Lozère.

Un témoignage conforté par une enquête Mastercard menée en décembre 2020 auprès d'un échantillon de 400 dirigeants de TPE employant entre 1 et 9 salariés. « 67% des TPE y jugent le e-commerce contraignant bien qu'elles le considèrent comme un passage obligé. Leur principal frein : le temps, l'argent qu'il faut y consacrer et la complexité », décrypte Céline Delacroix, secrétaire générale de la commission commerce à la CCI Paris Île-de-France.

« Je leur explique que ça ne va pas complexifier leur travail, mais au contraire leur donner la possibilité de travailler leur visibilité et leur notoriété », appuie Naomi Ehile, consultante numérique à la chambre de commerce et d'industrie du Val-de-Marne (CCI 94).

Les associations d'élus multiplient les propositions

En réalité, « les collectivités locales ont déployé des actions sans prendre en compte que le degré de maturité numérique n'est pas toujours le même », pointe Céline Delacroix, « Il faut préalablement évaluer l'offre et la demande locale avant d'investir dans ce type de solution digitale », égrène la secrétaire générale de la commission commerce de la chambre de commerce et d'industrie Paris Île-de-France.

Les territoires eux-mêmes admettent bien volontiers que le résultat est « mitigé ». « Les places de marché locales qui ont fonctionné sont celles qui ont été pensées à long-terme avec de la promotion, de la communication et de l'animation », dit-on à l'association Intercommunalités de France.

C'est pourquoi à l'approche des conclusions des « Assises du commerce », organisées en décembre par Bercy, les collectivités multiplient donc les propositions pour réconcilier le commerce électronique et le commerce physique.

Par voie de communiqué, la puissante association des maires de France pointe ainsi une inéquité entre la fiscalité sur les commerces physiques et celle sur le e-commerce et demande la création d'une fiscalité locale équitable « conservant le lien entre les entreprises et le territoire, et en intégrant l'enjeu écologique lié aux livraisons individuelles et aux emballages ».

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Même souhait du côté de l'association d'élus France Urbaine, qui représente les maires des grandes villes et les présidents de métropole. Sa présidente Johanna Rolland plaide aussi pour la mise en œuvre, notamment à l'échelle européenne, d'« une équité concurrentielle et fiscale entre commerce physique et commerce digital ».

« Parce que le commerce physique de proximité doit être absolument soutenu et valorisé, j'appelle à expérimenter une fiscalité concernant spécifiquement les plus grands entrepôts de e-commerce, supérieurs à 40.000 m² » fait-elle savoir à La Tribune.

En attendant, peut-être faudra-t-il changer les règles du jeu, le code du commerce imposant la fermeture des commerces alimentaires le dimanche après 13 heures. « C'est absurde ! » s'exclame Jacques Creyssel. « L'ouverture des commerces le dimanche après-midi est une réalité et correspond à un besoin. Les habitants des grandes métropoles font leurs courses le dimanche après-midi », assure le délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution.

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César Armand
Commentaires 6
à écrit le 03/02/2022 à 12:59
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heureusement qu'amazon a le dos large, sinon ils accuseraient qui? la vente a distance existe depuis des lustres, ( y compris en france, avec la redoute et consors).......disons que les maires ecologauchistes qui plument les commercants en impots, em...

à écrit le 03/02/2022 à 12:36
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Nos élus, sans le déclarer, ont tué les centres des villes par une politique anti-automobile... Ils tentent maintenant de sauver ce qui reste, et il n'y a plus qu'un reste. Il faut se rendre à l'évidence : on ne se passe pas de l'automobile comme çà...

le 03/02/2022 à 12:52
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Ils vous diront qu'ils font des efforts pour les transports en commun, et que c'est nous à les adopter, mais ça oblige à changer d'habitudes, remplir son coffre une fois par semaine, c'est pratique, mais aller chaque jour faire des courses en bus pou...

à écrit le 03/02/2022 à 9:59
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En même temps tout est fait pour décourager les gens de sortir de chez eux : prix excessifs en boutique, véhicules trop chers et réglementés, pass vaccinal, insécurité galopante, dissolution du lien social, interdiction de beaucoup de commerces qui a...

le 03/02/2022 à 12:56
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"prix excessifs en boutique" ben oui, effet GS, qui rend accro. Parfois les boutiques ont comme prix d'achat le prix de vente en rayon des GS (petit contre gros volumes, négociations serrées des GS vu les quantités annuelles), comment faire une marge...

à écrit le 03/02/2022 à 8:13
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Ils ne doivent pas avoir si peur que cela parce que même dans des villes de 10 000 habitants ils développent une politique anti voiture. Le jour où ils se rendront compte que faire les courses à vélo ou à pieds c'est pas cool...

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