En début de semaine, la sentence proférée par Pierre Rosanvallon à l'occasion d'une interview télévisuelle de grande écoute s'est transformée en quelques heures en un fait politique. Pour l'intellectuel, qui faut-il le rappeler, fut l'un des cofondateurs de la fondation Saint-Simon (et son secrétaire général), la France traverse actuellement la crise démocratique « la plus grave » de son histoire « depuis la fin du conflit algérien ».
Selon lui, Emmanuel Macron « ne voit pas la crise démocratique, pour lui il n'y en a pas ». Et ce proche de la CFDT de déplorer que le président ait perdu « l'esprit des lois » et de la Vème République, voire de la démocratie. La charge est lourde, le ton est grave. Et sur le plateau de télévision davantage habitué aux badineries des promos respectives des artistes et des journalistes, les animateurs sont surpris, semblant dépassés par la situation.
De fait, l'extrait vidéo sera partagé des millions de fois sur les réseaux sociaux. Immédiatement, l'entourage du président tentera de minimiser la portée de l'événement. Sans succès. Certains iront jusqu'à expliquer que ces paroles surgissent d'abord du fait de l'inimitié de Laurent Berger, patron de la CFDT, pour Emmanuel Macron.
Surtout, revenir sur un terrain personnel, présenter cette intervention comme étant un règlement de compte. C'est qu'en 2015, le dirigeant syndicaliste s'était opposé auprès de l'Élysée à la tentative d'Emmanuel Macron, alors ministre de l'Économie, de récupérer en plus le portefeuille du Travail, alors que son titulaire de l'époque, François Rebsamen, avait dû démissionner pour cause de maladie. Macron échouera et devra attendre sa victoire présidentielle en 2017 pour transformer selon ses vues le marché du travail et le système de l'assurance chômage.
Fait politique et fait journalistique. Tout au long de la semaine, à chacun de ses déplacements, de ses conférences de presse, de ses interventions, les journalistes présents demanderont à Emmanuel Macron ce qu'il pense des mots de Pierre Rosanvallon. En déplacement dans une usine en Alsace, le président saluera « l'intellectuel » mais regrettera immédiatement que ce dernier puisse se faire « militant », utilisant une nouvelle fois ce mot comme un outil de disqualification, quasiment d'excommunication. Comme s'il n'y avait toujours qu'une ligne possible, qu'une vue possible.
Ce n'était pourtant pas la première fois que Rosanvallon avait émis des critiques à l'encontre du président. Dès 2018, il avait regretté son « conservatisme » et constaté au micro de France Inter : « Ni social ni libéral, Macron a des aspects d'autoritarisme ». Des paroles fortes. Macron a de fait un rapport à l'État beaucoup moins rocardien que certains ont pu le penser à l'origine. D'ailleurs, dès 2015, Emmanuel Macron m'avait expliqué qu'il considérait que la deuxième gauche, dont est issu Pierre Rosanvallon, avait un rapport « complexé » à l'État.
C'est en tout cas un symbole : lundi, l'intervention de l'intellectuel a quasiment éclipsé la prise de parole présidentielle qui s'était déroulée quelques minutes plus tôt. Lors de cette dernière, Emmanuel Macron avait annoncé ses nouvelles priorités après la promulgation de sa loi sur les retraites, sous forme de méthode Coué. Le président a fini par dégager trois axes de travail pour les 100 prochains jours...
Ces nouvelles priorités avaient ensuite été résumées par Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement, en une formule expéditive : « Travail, Ordre, Progrès ». Étrange triptyque qui fera l'objet de nombreuses critiques sur les réseaux sociaux. « Ordre et Progrès » ou en portugais « Ordem e progresso », devise qui figure sur le drapeau du Brésil, inspirée de la philosophie positiviste d'Auguste Comte qui proclamait au XIXème siècle : « L'amour pour principe, l'ordre pour base, le progrès pour but ». La religion positiviste, philosophie dominante sous la IIIème République, proclamait notamment : « Nous, sociocrates, ne sommes pas davantage démocrates qu'aristocrates ». Pourtant, au vu du caractère chaotique des derniers déplacements présidentiels sur les routes de France, cet appel à l'ordre (positiviste) semble pour le moment bien illusoire.
Marc Endeweld