« J'aime l'élevage français. J'aime les éleveurs ». Pour la première venue d'un ministre de l'Economie et des Finances au Sommet de l'Elevage, Bruno Le Maire a voulu faire passer un message de soutien à un monde agricole inquiet. Le Sommet, qui s'est tenu durant quatre jours à Cournon d'Auvergne dans le Puy-de-Dôme, a mis en lumière les problématiques du moment entre dérèglement climatique, difficultés de renouvellement des éleveurs et faible rentabilité des exploitations.
« On attend un message de confiance de la part du gouvernement », nous expliquait en début de semaine Jocelyn Dubost, président du syndicat des Jeunes Agriculteurs d'Auvergne-Rhône-Alpes. « Il faut donner des perspectives aux jeunes ». Marin Lacassagne, 18 ans, fils d'un éleveur de limousines, n'a pas dit autre chose au ministre. Lui qui hésite à reprendre l'exploitation familiale, située dans l'Aveyron, précisant qu'il « ne sait pas si cela vaut le coup vu le contexte de crise. »
« L'aide à l'exploitation des jeunes, c'est la priorité absolue. Il faut travailler sur la reprise du foncier, du capital, je suis prêt à regarder tout ça, » lui a répondu Bruno Le Maire.
Rémunération, mère des batailles
C'est tout le secteur qui attend des actes forts de l'Etat alors que le cheptel bovin ne cesse de diminuer en France. 840.000 vaches perdues dans nos prairies depuis 2016, soit une baisse de 12 % selon Inrae, sous l'effet combiné des départs à la retraite non remplacés et des difficultés économiques rencontrées par des éleveurs qui n'hésitent plus désormais à se séparer de leurs bêtes. Ces professionnels ne cessent de le répéter : avec la hausse des matières premières, le prix auquel ils vendent leur lait ou leur viande ne couvre plus les coûts de production et les charges.
« Il faut une application pleine et entière de la loi Egalim, nous ne sommes pas encore aux objectifs », souligne Joël Piganiol, éleveur de vaches dans le Cantal et président de la FDSEA du département.
« La rémunération, c'est la mère des batailles » a convenu Marc Fesneau, le ministre de l'Agriculture, lors de sa venue mardi au Sommet. C'est ce que les éleveurs ont d'ailleurs rappelé à Bruno Le Maire tout au long de sa déambulation. Les représentants de la profession l'ont justement questionné sur son projet de loi sur les négociations commerciales qui vise à avancer les discussions de plusieurs semaines pour permettre une baisse des prix plus rapide. Les éleveurs craignent de faire les frais de ce nouveau calendrier.
« Je veillerai à la défense de vos intérêts (...) La baisse des prix en rayon ne doit pas se traduire par un effort des producteurs mais par un effort des distributeurs et des industriels. J'y veillerai personnellement en lançant une mission immédiate de l'Inspection générale des finances et en mobilisant l'Observatoire des prix et des marges qui contrôleront le respect des marges des producteurs», a lancé, devant un parterre d'éleveurs, Bruno Le Maire, qui connait bien l'agriculture pour en avoir été le ministre entre 2009 et 2012.
Mesure de défiscalisation
Et pour soutenir ce monde de l'élevage, Bruno Le Maire n'était pas venu les mains vides. Avant de déguster fromages et autres produits régionaux, le ministre de l'Economie a présenté une mesure « exceptionnelle » de défiscalisation, réclamée et attendue de pied ferme ici au Sommet. Elle prendra la forme d'une provision de 150 euros par vache à hauteur de 15.000 euros par exploitation (100 vaches). Cela permettra de réduire l'imposition des éleveurs sur leur stock d'animaux dont l'inflation a fait grimper la valeur. Un effort à plusieurs dizaines de millions d'euros pour les finances de l'Etat.
« Cette mesure fiscale va dans le bon sens, cela va redonner de la trésorerie aux éleveurs. Pareil sur le respect de la loi Egalim. Mais il y a une équation qui risque de ne pas être facile à résoudre. Comment réduire les prix pour le consommateur en payant mieux les producteurs ? Tout ne passera pas par la baisse des marges des distributeurs, » s'interroge Thierry Roquefeuil, le président de la Fédération nationale des producteurs de lait.
Cet éleveur a retenu une phrase dans le discours du ministre et précise qu'il saura lui rappeler : « Nous ne devons pas être qu'un pays de consommateurs mais redevenir aussi un grand pays de producteurs, de production. » Dont acte.
Le rapport de la Cour des comptes fortement critiqué
Du côté de la Fédération nationale bovine, on indique rester vigilant et attentif.
« Ces mesures participent à la protection de notre modèle agricole mais ces déclarations doivent amener des actes. Il fallait en tout cas lever les ambiguïtés. Nous apprécions ce soutien public affiché après le rapport de la Cour des comptes », indique Patrick Bénézit, le président de la Fédération.
La recommandation des Sages de « définir une stratégie de réduction » du nombre de vaches pour réduire l'empreinte carbone de la France a encore du mal à passer du côté des éleveurs, qui alertent sur le risque de perdre notre souveraineté alimentaire. « Ces magistrats seraient plus inspirés de faire la chasse aux dépenses plutôt que la chasse aux vaches françaises, » a souligné Bruno Le Maire, quand son collègue de l'Agriculture avait lui qualifié ce « discours sur la décroissance forcée (...) curieux pour ne pas dire hors des réalités ».
Il faut dire que, la consommation de viande ne diminue pas en France, contraignant le pays à augmenter ses importations de viande. +11,5% entre 2021 et 2022, selon les chiffres de l'Agreste, le service statistique du ministère de l'Agriculture, publiés en juillet. C'est même une hausse de 23% pour la viande de boeuf. Désormais, les importations représentent plus de 30 % de la consommation totale de viande dans l'Hexagone.
Mesures miroir dans les traités de libre-échange
Face à ce constat, Joël Piganiol, de la FDSEA Cantal, souhaiterait que les autorités aillent plus loin dans le respect des « mesures miroir », que « les produits importés du Brésil ou d'Argentine soient soumis aux mêmes contraintes (bien-être animal, produits phytosanitaires, hormones...) que celles appliquées dans l'Union Européenne ». Cela permettrait de limiter les distorsions de concurrence.
« Au final, la vraie question est : est-ce que l'on veut encore des éleveurs français ? » continue cet exploitant qui rappelle que, derrière cette interrogation, l'enjeu est crucial. Dans un territoire comme le Massif central, plus grande prairie permanente d'Europe, l'agriculture représente par exemple plus de 30% des emplois.