Le financement de l'autonomie des personnes âgées risque de donner des sueurs froides au gouvernement. Après les scandales des maisons de retraite révélées par plusieurs vastes enquêtes journalistiques, l'exécutif a décidé de s'attaquer à ce dossier particulièrement sensible. Il a ainsi soutenu une proposition de loi sur le bien vieillir et le grand âge, quelques mois après l'adoption de la réforme houleuse des retraites au printemps 2023.
Particulièrement copieux, le texte a été voté à l'Assemblée nationale et au Sénat au début du mois de février. Il doit désormais passer l'épreuve d'une commission mixte paritaire (CMP) à une date encore inconnue. Reste une question ô combien délicate : le financement. Or, elle intervient alors l'exécutif a décidé de serrer la vis budgétaire. Faute de croissance économique solide, Bercy a décidé de tailler dans les dépenses de l'Etat à hauteur de 10 milliards d'euros pour 2024. Et il ne semble pas vouloir s'arrêter là.
Pourtant, l'arrivée à un âge avancé des premières générations du baby-boom va mécaniquement provoquer des hausses de dépenses de protection sociale dans l'accompagnement et la prise en charge de l'autonomie. Dans un rapport présenté ce mardi, le Haut Conseil de la famille, un organisme rattaché à Matignon, a tiré la sonnette d'alarme.
« Le rapport exprime une inquiétude sur l'accompagnement des plus âgés et le défaut de préparation des institutions face à la hausse du nombre de personnes âgées », a alerté Jean-Philippe Vinquant, son président lors d'un point presse.
« Un risque certain »
La France va devoir faire face à une accélération du vieillissement de sa population dans les prochaines années. « Il y a actuellement une baisse des naissances, et dans le même temps, une hausse très importante du nombre de personnes âgées de 65 ans et plus », a expliqué l'ancien délégué interministériel aux droits des femmes. D'après les projections des chercheurs retenues dans le rapport, la part des personnes âgées de 75 ans et plus va quasiment doubler dans la population française d'ici 2050 pour s'établir à 11 millions.
Entre 2020 et 2030, la hausse du nombre de personnes âgées est particulièrement spectaculaire (+34%, soit une augmentation de 2,1 millions). « Le nombre de personnes âgées de plus de 60 ans va dépasser le nombre de jeunes de moins de 20 ans d'ici 2040 », a prévenu Jean-Philippe Vinquant. « Nous devons absolument gérer cette transition démographique. Il y a un risque certain ». En effet, ce vieillissement va s'accompagner d'une hausse du nombre de personnes frappées d'incapacité ou de limitations. Entre 2030 et 2040, elles seraient 550.000 de plus que lors de la décennie précédente.
Absence de financement clair
Ce boom du nombre de personnes âgées va entraîner, de facto, des dépenses supplémentaires pour les finances publiques. Dans leur rapport, les experts pointent l'impréparation des pouvoirs publics.
« La politique française du vieillissement et de l'autonomie est caractérisée par un défaut notable d'anticipation et de planification, les exercices de projection des besoins futurs portant sur des périmètres limités (branche autonomie, aides à l'adaptation des logements) et tenant plus de la programmation budgétaire sur un horizon dépassant rarement 4 ou 5 ans ».
Interrogé par La Tribune sur le coût budgétaire du vieillissement accru de la population, Jean-Philippe Vinquant a évoqué un possible doublement des dépenses « passant de 1,2% du produit intérieur brut (PIB) actuellement à 2% d'ici 2070 ». Autrement dit, la facture pourrait grimper de 10 milliards environ à 20 milliards d'euros sur cette période.
A ce stade, peu de pistes ont été évoquées. Le Haut Conseil de la famille attend notamment des recommandations du Cese (Conseil économique, social et environnemental) au printemps.
La réforme nécessaire de l'APA
Pour améliorer le bien-être des personnes âgées en perte de capacité, le Haut Conseil de la famille a mis plusieurs options sur la table. La première est de réformer en profondeur l'allocation personnalisée d'autonomie (APA).
« Cette aide laisse de côté un certain nombre de personnes touchées par des incapacités à mener des tâches de la vie quotidienne, a regretté le haut-fonctionnaire. Il y a une vraie déperdition dans le champ des personnes qui pourraient bénéficier de l'APA ».
Selon un récent décompte du ministère de la Santé, 1,3 million de personnes seraient bénéficiaires de cette allocation. Le haut conseil rattaché au réseau de France Stratégie suggère de simplifier les règles d'éligibilité et de retenir deux restrictions pour mener les tâches de la vie quotidienne. « L'algorithme actuellement utilisé est beaucoup trop complexe », tacle Jean-Philippe Vinquant.
L'autre critique adressée à cette allocation ? La perte de pouvoir d'achat des personnes en manque d'autonomie. « Il y a une vraie déconnexion avec la hausse des prix des services et de l'accompagnement », poursuit l'expert.
Dans leurs propositions plus radicales, les experts suggèrent de « remplacer l'APA par une prestation plus universelle, puissante et englobante, de soutien à l'autonomie ». Le président du Haut Conseil de la famille reconnaît que ces mesures représentent « un coût supplémentaire ». Mais « le manque d'accompagnement représente également des coûts cachés ». Jean-Philippe Vinquant a évoqué le coût des chutes des personnes âgées souvent seules à leur domicile. Reste à savoir s'il sera écouté par le gouvernement Attal, attaché au rétablissement des comptes publics.