Partage de la valeur : un rapport parlementaire pointe les effets d'aubaine pour les entreprises

Une mission parlementaire vient de livrer un bilan en demi-teinte sur les outils de partage de la valeur en entreprise (prime, participation, intéressement) dans un épais rapport. Les députés évoquent les multiples limites de ces outils alors que l'inflation continue d'affoler les compteurs dans les rayons des produits alimentaires. Le gouvernement compte inscrire l'accord national interprofessionnel (ANI) sur le partage de la valeur jugé « historique » dans la loi d'ici quelques semaines.
Grégoire Normand
L'inscription de l'accord national interprofessionnel (ANI) dans la loi va obliger les entreprises à ouvrir de nouveaux droits pour les salariés.
L'inscription de l'accord national interprofessionnel (ANI) dans la loi va obliger les entreprises à ouvrir de nouveaux droits pour les salariés. (Crédits : Reuters)

La question du coût de la vie préoccupe grandement les Français. Après l'envolée des prix de l'énergie, la pression continue de monter dans les rayons alimentaires. L'Insee table sur une hausse de 15% des prix alimentaires au cours du premier semestre 2023. Au niveau international, les tensions sont également loin d'être retombées. Dans ses dernières prévisions de printemps, le Fonds monétaire international (FMI) a souligné la persistance de l'inflation en zone euro malgré le durcissement de la politique monétaire. « L'inflation est bien plus tenace que nous ne l'anticipions, même il y a quelques mois de cela », prévient Pierre-Olivier Gourinchas, économiste en chef du Fonds dans un avant-propos. A cela s'ajoute la colère sociale en France qui gronde dans la rue contre la réforme des retraites. Les syndicats ont une nouvelle fois appelé à la mobilisation ce jeudi 13 avril.

Dans ce contexte dégradé, le partage de la valeur au sein des entreprises devient un sujet brûlant. Après la signature de l'accord national interprofessionnel (ANI) par les partenaires sociaux au mois de février dernier, la mission parlementaire pilotée par les députés Louis Margueritte (Renaissance) et Eva Sas (EELV) vient de dévoiler ses conclusions ce mercredi 12 avril dans un rapport d'information. Au cœur de leurs travaux, la dizaine de parlementaires composant la mission a évalué les différents dispositifs fiscaux et sociaux de partage de la richesse dans l'entreprise. « La France est le second pays d'Europe dans le déploiement des outils de partage de la valeur. Ces outils constituent un complément aux salaires. Même si notre pays se situe en bonne place en Europe, de fortes inégalités persistent entre les salariés des petites entreprises et ceux des grandes entreprises. Il faut corriger cette situation », a affirmé Louis Margueritte lors de la présentation de la Commission des finances à l'Assemblée nationale. « Certes, le partage de la valeur entre les entreprises et les salariés est stable depuis les années 90 mais il s'est stabilisé à un niveau inférieur de 6,8 points à la période 70-85 », a indiqué Eva Sas. « Ces chiffres sont faussés par l'optimisation fiscale croissante qui déplace de la valeur ajoutée vers des pays à fiscalité favorable diminuant artificiellement la part du capital dans la valeur ajoutée », a-t-elle ajouté.

Cette présentation intervient alors que l'exécutif s'est engagé à retranscrire dans un texte législatif cet accord national interprofessionnel, signé par quatre syndicats sur cinq à l'exception de la CGT, possiblement dans le projet de loi sur le « plein emploi » prévu au printemps.

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La mission pointe les effets d'aubaine

Epargne salariale, participation, intéressement, prime...les directions disposent d'un arsenal d'outils important pour répartir la richesse produite au sein des entreprises. Parmi les dispositifs plébiscités par les grandes firmes et promus par le gouvernement figurent en premier lieu les primes. Quelques semaines après l'éclatement du mouvement des « gilets jaunes » en novembre 2018, Emmanuel Macron avait mis en place une prime d'urgence et la défiscalisation des heures supplémentaires chères à l'ancien président Nicolas Sarkozy. Reprenant une étude de l'Insee sur la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat, les parlementaires expliquent que ces primes se substituent en partie à de possibles hausses de salaires. « Sur 100 euros de PEPA (prime exceptionnelle de pouvoir d'achat), entre 15 et 40 euros auraient été accordés en augmentations de salaire si cette prime n'avait pas existé », soulignent les élus. Plus récemment, la prime de partage de la valeur est venue remplacer la prime PEPA.

Dans leur dernière note de conjoncture du mois de mars, les économistes de l'Insee avaient également pointé du doigt ces effets d'aubaine sur cette prime de partage de la valeur mise en œuvre à l'été 2022. Au second semestre 2022, 4 milliards d'euros ont été versés aux salariés. « Ces primes ont permis d'augmenter le pouvoir d'achat de certains salariés. Il y a néanmoins des effets d'aubaine. Certaines primes se sont substituées à des hausses de salaire plus pérennes », avait expliqué Olivier Simon, statisticien à l'organisme public lors d'une conférence de presse en mars dernier.

L'intéressement et la participation profitent d'abord aux salariés des grandes entreprises

L'autre limite évoquée par les parlementaires est l'inégal accès des salariés aux dispositifs de partage de la valeur. « Les outils de partage de la valeur ont un effet redistributif dans l'entreprise mais anti-redistributif dans la société car ils profitent plus aux salariés des grandes entreprises déjà bien payés », a souligné la députée Eva Sas.

Dans un récent bilan établi par France Stratégie, un organisme de prospective et d'évaluation rattaché à Matignon, les économistes ont dressé un bilan en demi-teinte. « La part des salariés couverts par un dispositif d'intéressement dans les entreprises de 1 à 9 salariés reste 14 fois moins élevée que dans les entreprises de plus de 1.000 salariés », soulignent les auteurs.

Concernant l'accès aux dispositifs de participation, les écarts sont également criants. Pour rappel, ils sont devenus obligatoires dans les établissements de plus de 50 salariés. En 2020, seuls 2,5% des salariés de TPE entre 0 et 9 salariés avaient accès à ce dispositif contre 70% dans les entreprises de plus 1.000 salariés. « L'intéressement et la participation sont des usines à gaz. Il existe beaucoup de dispositifs, mais ils sont parfois compliqués pour les petites entreprises », avait expliqué à La Tribune il y a quelques mois l'économiste et ancien président du conseil d'analyse économique (CAE) Philippe Martin.

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Les parlementaires pour la mise en place de l'accord national interprofessionnel dès 2024

L'accord national interprofessionnel (ANI) prévoit que les entreprises ayant entre 11 et 49 salariés et rentables (dont le bénéfice net représente au moins 1% du chiffre d'affaires pendant trois années consécutives) mettent en place au moins un dispositif de participation à partir du premier janvier 2025. Cela « signifierait un premier versement dans le courant de l'année 2025, soit dans des délais insatisfaisants par rapport à l'urgence du pouvoir d'achat », relèvent les élus, en proposant dès lors une entrée en vigueur « dès 2024 ». En effet, l'indice des prix à la consommation a certes commencé à ralentir en raison de l'essoufflement des prix de l'énergie.

Mais l'inflation sous-jacente excluant les prix les plus volatils demeure à des niveaux élevés. Parmi les autres préconisations, « il paraît opportun de séparer les temps de négociations sur les salaires et les négociations sur les dispositifs de partage afin de garantir le principe de non substitution », a affirmé Eva Sas. Enfin, la mission parlementaire propose d'étendre tous ces dispositifs au secteur de l'économie sociale et solidaire.

Grégoire Normand
Commentaires 7
à écrit le 13/04/2023 à 10:01
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Mettez toute les entreprises sous la forme de coopératives et la question ne se posera plus ! ;-)

à écrit le 13/04/2023 à 8:21
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tres penibles ce genre d'articles!!!! l'etat stratege francais qui s'accapare 60% de la richesse, alors que c'etait 40% assez longtemps t'explique sans rire comment y a un pb dans les entreprises!!!!!!!! Madame, allez balayer devant la porte de vos c...

à écrit le 13/04/2023 à 6:42
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Partage ? vous rigolez ou quoi. Quant les patrons et les riches et super riches pour une augmentation de 0,1% de leurs impôts se tirent vite fait d'un pays pour ne pas payer (hollande) vous pensez vraiment qu'ils vont payer (hormis en cas de luttes, ...

le 13/04/2023 à 12:26
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En ce qui concerne le 0,1% de plus qui a fait fuir les "riches" je crois que vous parlez de la Norvège, pas de la Hollande. L’impôt sur la fortune est passé de 1 à 1,1% en Norvège. Ce changement a suffi pour que les milliardaires norvégiens les plus ...

à écrit le 12/04/2023 à 23:36
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Il faut respecter cette valeur car c'est bien plus important

à écrit le 12/04/2023 à 19:54
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Le "partage de la valeur" ? Mais que fait l'Etat pour qui 56% des foyers fiscaux ne paient pas d'impôt sur le revenu alors qu'il n'y a quand même pas 56 % de pauvres en France ? Qui exploite qui ? Les 44% qui paient l'impôt sur le revenu seraient don...

à écrit le 12/04/2023 à 18:30
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"partage de la valeur historique " l'intention est bonne mais pour ma part je crains que seule les salariés des grandes entreprises en profitent au détriment des salariés des sous-traitants et autres prestataires des services externalisés de plus en...

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