En octobre dernier, en clôture de la restitution de la concertation "Habiter la France de demain" la ministre du Logement Emmanuelle Wargon faisait une déclaration fracassante : « Le modèle du pavillon avec jardin n'est plus soutenable et mène à une impasse ».
Pourquoi ? Pour des raisons environnementales. Car, outre la dépendance à la voiture individuelle la construction neuve, le plus souvent éloignée des villes, impacte l'artificialisation des sols. Difficile pour la ministre de dire le contraire puisqu'une loi promulguée l'an dernier impose par de diviser par deux l'artificialisation d'ici à 2030.
Problème : après un an et demi de confinement et de restrictions diverses pour lutter contre le Covid-19, les propos d'Emmanuelle Wargon ont suscité une certaine émotion non seulement au sein des professionnels comme la Fédération des constructeurs de maisons individuelles et le pôle Habitat de la Fédération française du bâtiment, mais aussi chez les particuliers désireux de quitter les immeubles des villes pour un bout de terre à la campagne ou dans des villes plus petites.
Depuis, Emmanuelle Wargon a rétropédalé en considérant certes que « les Français rêvent de la maison individuelle car c'est une promesse de confort, d'espace et de tranquillité », mais que « cette promesse n'est pas tenue quand les lotissements en périphérie des villes ne permettent pas toujours d'accéder à ces services et contribuent à un sentiment d'exclusion ».
En réalité, la ministre voulait se faire l'avocate d'une ville « plus intense qui ne transige pas avec la qualité et qui tient sa promesse en matière de services ». C'est ce qu'elle appelle « l'intensité ''heureuse, une densité d'habitat qui crée des quartiers dynamiques, vivants et chaleureux » Un urbanisme où « ont toute leur place » non seulement les éco-quartiers associant des maisons et des immeubles, mais aussi les maisons de ville bénéficiant d'un accès aux transports en commun, ou encore les corps de fermes transformés en logement pour vivre en ruralité sans empiéter sur de nouvelles terres naturelles, sans oublier les anciennes bâtisses rénovées pour revitaliser le centre-bourg des villes petites et moyennes, et les quartiers pavillonnaires bien desservis par les services publics.
Bref, entre les impératifs écologiques et la la liberté des individus de choisir leur type d'habitat, le débat est ouvert. Alors, faut-il en finir avec la construction de maisons individuelles ?
A l'heure de la transition écologique et du cri d'alarme des scientifiques du climat et de la biodiversité, poursuivre la construction de maisons individuelles est un non-sens total.
Rapporté à sa population, la France est un des pays européens qui artificialise le plus son sol, en grande partie à cause de la construction de maisons individuelles. Une partie de ces constructions se fait d'ailleurs dans des communes dont la population décroît.
La construction de maisons individuelles a également de lourdes conséquences sur les émissions de gaz à effet de serre responsables du changement climatique, la biodiversité, le cycle de l'eau, la disponibilité des terres agricoles nourricières, les consommations d'énergie et les budgets des ménages.
L'urbanisme de la maison individuelle favorise l'étalement urbain et allonge les distances à parcourir pénalisant ainsi des ménages de plus en plus dépendants de leur voiture et de la pompe à carburant pour leurs besoins quotidiens. La faible densité de population induite par la succession inerte de maisons individuelles rend obsolète ou financièrement intenable pour la collectivité des solutions de transport en commun, de réseaux cyclables ou de chauffages urbains basés sur des énergies renouvelables. Au fil des années, nous avons créé des villes dortoirs sans aucun intérêt paysager ou touristique, commercialement désertes, de plus en plus repoussées loin des grandes villes où la densité de population induite par un habitat plus compacte permet encore d'assurer une mixité entre habitat, services et commerces.
En réalité, le véritable enjeu est la réhabilitation des 3 millions de logements vacants en France et l'adaptation des centres-villes anciens aux nouveaux besoins et usages notamment dans les villes moyennes et les villages de quelques milliers d'habitants. Nous devons nous autoriser à démolir et reconstruire là où cela paraît nécessaire mais surtout favoriser le réinvestissement du bâti ancien. C'est l'occasion de démocratiser de nouvelles formes d'habitat où l'on partage certains espaces, un coin de jardin, un café, certains objets et qui permettent de maintenir et créer du lien social et parfois intergénérationnel.
La maison individuelle est plébiscitée par les Français et cela ne date pas d'aujourd'hui. Globalement, elle est accusée de participer à une surconsommation de ressources naturelles, le foncier bien sûr mais aussi l'énergie fossile nécessaire pour le chauffage et le transport entre le domicile et le lieu de travail et les zones de chalandises et de service. Ce procès a un fond de vérité, même si le constat n'est pas aussi accablant qu'il y parait.
A l'évidence, la maison individuelle possédée à trente kilomètres du lieu de travail dans une commune sans aucun commerce et activité économique est plus gourmande en énergie qu'un pavillon possédé dans un quartier d'une grande ville qui mixe habitat individuel et collectif. Le caractère nocif d'une maison au regard de la consommation d'énergie est sans doute plus lié à sa localisation qu'au simple fait de constituer un habitat individuel.
La politique dans une société démocratique consiste à essayer de concilier aspirations individuelles et ambitions collectives. L'ambition collective est résumée dans un mot, celui de sobriété. Sobriété énergétique pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Et à la même date, sobriété foncière, plus aucune terre nouvelle prise sur le domaine agricole ou naturel sans que la même superficie ailleurs ne soit rendue à ces deux usages, ce qu'il est convenu d'appeler, le zéro artificialisation nette.
Plutôt qu'à s'essayer d'interdire, ce qui est plus que douteux sur le plan philosophique et constitutionnel dans une société libérale, n'est-il pas plus efficace de tenter de comprendre et d'inciter ?
Comprendre d'où vient le désir renouvelé d'habitat individuel, alors même que Turgot pouvait déjà énoncer au XVIIIème siècle : « La terre rapporte, mais la maison coûte » ! Et que dire du rendement, en moyenne un investisseur qui aurait acheté une maison en Île-de-France en 2000 pour la revendre en 2019 aurait vu son prix doubler, alors que dans le même temps, cet investisseur aurait fait une bien meilleure affaire en achetant un appartement qui aurait vu son prix tripler en moyenne !
Inciter pour parvenir à la sobriété foncière, en changeant la base d'imposition de la taxe foncière pour qu'elle ne repose que sur la valeur du foncier de l'habitat et exonérer le bâti.