L'idéal de vie des Français demeure la maison individuelle pour 75% d'entre eux. Ce n'est pas un énième sondage ou étude d'un réseau d'agences immobilières ou encore une nouvelle note de conjoncture immobilière d'une chambre notariale régionale qui l'écrit, mais la ministre du Logement elle-même qui le dit.
Le modèle du pavillon avec jardin "n'est plus soutenable"
Dans son discours de clôture de la concertation portant sur « Habiter la ville de demain », prononcé ce 14 octobre, Emmanuelle Wargon explique que cette quête « répond à une recherche de confort, d'espace extérieur à soi, de faire du logement son cocon, peut-être accentuée par la période de confinement.» « Cela traduit aussi que l'aspiration à la propriété reste grande et implique de faire des choix sur la nature et la localisation de son logement », ajoute-t-elle.
Et « en même temps », comme dirait le président Macron, ce modèle du pavillon avec jardin n'est « plus soutenable » et mène à « une impasse », estime la ministre du Logement. Il s'agit d' « un fonctionnement urbain dépendant de plus en plus de la voiture individuelle », d'« un modèle derrière nous » et même d'« un non-sens écologique, économique et social », poursuit-elle.
« C'est caricatural voire révoltant de voir des gens autant déconnectés de la base, un discours d'une élite parisienne qui voudrait entasser tout le monde dans des logements collectifs sociaux dont ils seraient locataires », assène auprès de La Tribune le président de la fédération française des constructeurs de maisons individuelles, Damien Hereng, en référence à l'objectif gouvernemental de construire 250.000 logements sociaux d'ici à fin 2022.
L'intensité heureuse serait d'intérêt écologique
Dans le contexte du projet de loi « Climat et Résilience » promulgué fin août qui impose de diviser par deux le rythme d'artificialisation des sols dans les dix ans, Emmanuelle Wargon émet en effet un « vœu » : que le logement collectif puisse aussi représenter « un standard de qualité » pour amener chaque foyer, chaque projet à trouver « une réponse sans artificialiser, sans s'éloigner des activités, sans couper de la nature ».
Une promesse de ''nature en ville'' que respectent déjà les professionnels, à en croire le président de l'union nationale des aménageurs. « Nous avons proposé à la ministre du Logement de créer un permis d'aménagement climatique c'est-à-dire qui sauvegarde les fonctions des sols en faisant des alignements d'arbres, de jardins et parcs pour la biodiversité et de façon à maintenir un cadre de vie résilient », déclare François Rieussec à La Tribune.
C'est ce qu'Emmanuelle Wargon appelle « l'intensité heureuse », c'est-à-dire des quartiers où l'habitat collectif neuf s'insère au milieu de « services de qualité, [du] numérique, [de] la proximité avec les lieux de travail, [des] commerces et [d'] espaces publics offrant des lieux de respiration et générateurs de lien social ». La ministre veut en outre lancer « une grande campagne de sensibilisation » pour démontrer « l'intérêt écologique » d'une ville moins étalée et in fine redonner envie de vivre en ville. Le discours des promoteurs immobiliers en somme.
103 jours de carnets de commande pour les artisans du bâtiment
A l'inverse, face à « une urgence climatique qui ne se négocie pas », elle considère que le logement individuel a un « impact écologique très fort » tant pour les émissions carbone - elle cite trois fois la voiture individuelle - que pour la terre naturelle qu'il consomme. Une assertion qui fait encore bondir le président de la fédération française des constructeurs de maisons individuelle : « Depuis la réglementation thermique de 2012 dite « RT2012 », nous avons l'obligation d'avoir recours à un moins une énergie renouvelable pour la maison : un poêle à granulés ou une pompe à chaleur par exemple, mais pas de 100 % électricité ou de 100% gaz comme c'est le cas dans 90% des logements collectifs neufs », souligne Damien Hereng.
D'autant que le Premier ministre Jean Castex vient de rehausser de 2 milliards d'euros supplémentaires l'enveloppe allouée à la réhabilitation des logements particuliers. Des espèces sonnantes et trébuchantes qui profitent à la confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb). Au troisième trimestre 2021, son activité est 5% supérieure à celle du troisième trimestre 2020, avec certes +3,5% dans la construction neuve, mais surtout avec +5,5% sur la rénovation énergétique.
« Le marché du neuf va devenir plus contraignant et ne sera donc plus exponentiel, alors qu'avec la rénovation, nous pouvons restructurer des espaces existants et surélever des habitats pour qu'ils soient plus agréables à vivre. Malgré les difficultés de recrutement et la hausse voire la pénurie des matériaux, nous avons 103 jours de carnets de commande », affirme à La Tribune le président de la Capeb, Jean-Christophe Repon.
La vente de maisons individuelles en plein boom
S'agissant de la consommation de terres agricoles, les bâtisseurs de maisons s'adaptent en réalité aux plans locaux d'urbanisme que leur imposent les communes voire les intercommunalités. En 2019, avant la crise économique et sanitaire, la surface moyenne d'un terrain constructible était de 930 mètres carrés. Aujourd'hui, elle demeure de 1.200 à 1.300 m², sauf que « nos acquéreurs n'ont pas besoin de 2 hectares de terrain à entretenir », relève le délégué général du pôle habitat de la fédération française du bâtiment Christophe Boucaux. « Nous subissons des conditions qui empêchent les porteurs de projet de densifier », assure-t-il encore à La Tribune.
Encore faudra-t-il que les élus locaux et leurs habitants suivent l'exécutif de la même façon que la qualité, érigée en « impératif », par Emmanuelle Wargon, aille de pair avec les trois enjeux évoqués par la même ministre : adaptation au télétravail, au vieillissement et polyvalence des immeubles dès leur conception pour en faciliter le changement d'usage.
En attendant, la fédération française des constructeurs de maisons individuelles vise les 125.000 habitats vendus en 2021, de la même façon que le pôle habitat de la fédération française du bâtiment revendique la vente de 138.000 maisons de fin août 2020 à fin août 2021. C'est 21% de plus que 2019-2020 et plus de 30% par rapport à 2019-2018.