En introduisant son lumineux essai politique, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Karl Marx expliquait : « Hegel remarque quelque part que tous les grands faits et les grands personnages de l'histoire universelle adviennent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d'ajouter : la première comme tragédie, la seconde fois comme une farce ».
Cinq ans après 2017, on retrouve en effet la même affiche pour le second tour de la présidentielle. Derrière ce scénario annoncé ces derniers jours par les sondeurs et les commentateurs, se cachent pourtant de nombreuses surprises dans les résultats, et de nombreuses incertitudes pour la suite de l'histoire.
Macron, l'homme du passif
Contrairement à 2017, les conditions du second tour risquent d'être bien plus compliquées pour Emmanuel Macron. Après cinq ans de règne, le président candidat apparaît dans l'opinion comme l'homme du passif. Même s'il a réussi l'exploit à obtenir plus de 27% des voix, le rejet dans les urnes contre son bilan et sa politique a été massif hier soir. Et dans son entourage et ses soutiens, la plus grande erreur serait de se laisser bercer par les appels à faire barrage à Marine Le Pen venus de tout l'arc politique. La colère dans le pays est telle que ces injonctions risquent d'être peu efficaces.
Les premières projections sondagières pour le second tour devraient davantage inquiéter. Lucide, Emmanuel Macron en est d'ailleurs bien averti. Depuis plusieurs jours, il tente de faire prendre conscience à ses troupes du danger à venir. En apparence, son discours de premier tour est apparu dans la forme rassembleur, ouvert. Le président a multiplié les clins d'œil aux électeurs de Jean-Luc Mélenchon, à la jeunesse, et aux quartiers populaires.
Signe de son inquiétude, il a même reconnu que de nombreux électeurs qui se rallieront à lui le feront pour faire barrage à Marine Le Pen, et non pour soutenir sa politique. Il y a cinq ans, il avait dit exactement le contraire le soir du premier tour en expliquant que sa victoire signifiait un blanc seing donné à sa future politique. Emmanuel Macron a donc tenté de faire du Jacques Chirac façon premier tour 2002, mais dans le même temps, il n'a fait aucune concession sur le fond de son programme.
Au tour de Marine Le Pen de faire du « en même temps »
Et s'il appelle au rassemblement, il n'est plus le seul. Il fallait bien écouter Marine Le Pen hier soir pour comprendre qu'elle se situait désormais en dehors des partis, empruntant plus que jamais des accents gaulliens dans son discours. Après avoir terrassé Éric Zemmour, cette dernière sait qu'elle n'a plus à convaincre les électeurs d'extrême droite, son nom se suffit à lui-même.
Elle va donc multiplier les clins d'œil auprès de l'électorat « anti-système », et a déjà axé son discours sur les questions de pouvoir d'achat et de libertés publiques. Appelant les Français de « toutes sensibilités » et de « toutes origines » à la rejoindre, Marine Le Pen fait à son tour du « en même temps »... Et à ce jeu-là, Emmanuel Macron n'a plus l'avantage de la nouveauté.
Autre difficulté pour le président candidat : ses réserves de voix ne sont pas si importantes, notamment parce que les partis traditionnels, de droite comme de gauche, ont été terrassés. C'est l'autre leçon politique de ce scrutin qui se révèle en réalité bien plus riche en surprises qu'on ne pouvait le penser il y a encore quelques jours.
Que Valérie Pécresse des Républicains passe sous la barre des 5%, qu'Anne Hidalgo, la maire de Paris, rassemble moins de 23.000 voix dans la capitale, ou que Yannick Jadot en appelle aux dons pour rembourser sa campagne, démontre une nouvelle fois le côté hors-sol de tous ces partis. Décidément, le bipartisme façon Vème République a vécu, et les forces institutionnelles qui le représentent sont encore en train de mourir.
Mélenchon, ce social démocrate radicalisé qui domine la gauche
À l'inverse, l'autre fait politique de ce premier tour est la performance de Jean-Luc Mélenchon, qui a raté de peu sa qualification au second tour : à 500.000 voix près. Le candidat de l'Union Populaire a certes surfé sur l'effet vote utile, mais personne au PS, EELV, ou au PCF, ne s'attendait à une telle performance. Or, dans les territoires, l'ancrage de l'Union Populaire est bien là.
Les scores atteints ne peuvent se résumer à un simple barrage de premier tour. Jean Luc Mélenchon arrive ainsi très largement en tête chez les jeunes de 18 à 34 ans, dans une bonne part des territoires et départements d'outre-mer, et dans les grands centres urbains.
Ce social-démocrate radicalisé a réussi à convaincre les électeurs jusqu'alors acquis au PS, comme à Rennes ou à Nantes. Ses scores, en Île-de-France tant dans le centre de Paris qu'en banlieue, sont, là encore, notables. Dans un discours solennel, il a d'ailleurs appelé ses électeurs et ses troupes à « continuer la lutte » avec dans le viseur les prochaines législatives.
Chez Macron comme chez le Pen, on en est d'ailleurs conscient : dès les résultats du premier tour connus, chaque camp a multiplié les bras tendus aux électeurs de Jean-Luc Mélenchon... Pourtant, ces derniers vont sûrement se réfugier dans leur grande majorité dans l'abstention. « Je compte sur vous », a lancé Emmanuel Macron à la fin de son discours. Le président sortant sait que, contrairement à 2017, rien n'est encore joué après ce premier tour.