À quatre jours du premier tour du scrutin présidentiel, l'horizon politique de la France est plongé dans un épais brouillard. La succession des crises ces derniers mois a jeté une ombre sur la bataille entre les candidats. Entre la déferlante Omicron et le début de la guerre en Ukraine, tous les prétendants à l'élection présidentielle peinent à faire entendre leur voix.
L'éclatement du conflit aux portes du Vieux continent a frappé les esprits et suscité de l'anxiété chez de nombreux électeurs. Plus d'un mois après le début de l'invasion russe, la perspective d'un cessez-le-feu rapide n'est pas à l'ordre du jour. En dépit d'un renforcement des sanctions économiques et financières des Occidentaux, la Russie est toujours déterminée à occuper le territoire ukrainien même si elle a annoncé récemment qu'elle allait se concentrer sur quelques fronts.
Dans ce contexte particulièrement troublé, Marine Le Pen a présenté le chiffrage de son programme devant la presse il y a quelques jours. Derrière cette exercice de communication, la crédibilité des candidats « doit passer par un chiffrage » explique Gilles Ivaldi, chercheur au CNRS et au Cevipof de Sciences-Po interrogé par La Tribune. « Historiquement, les partis du FN et du RN sont des partis de niche. Ils rentrent dans le système politique avec des enjeux régaliens sur les thèmes sécuritaires. Lorsque Marine Le Pen prend les commandes du FN en 2011, elle veut renforcer cette crédibilité économique », ajoute ce spécialiste des programmes du Front national et du Rassemblement national et auteur d'une note éclairante intitulée « Marine Le Pen, Éric Zemmour : social-populisme contre capitalisme populaire ».
« En présentant un chiffrage même contestable, Marine Le Pen veut également s'adresser aux classes moyennes, aux classes moyennes supérieures et au monde de l'entreprise. Ces catégories échappent à Marine Le Pen, »
Gilles Ivaldi, chercheur au CNRS
En effet, la candidate du RN qui sillonne le territoire depuis des mois cherche désormais à attirer au-delà de son électorat traditionnel des classes populaires. Après une bataille électorale jugée « atone » par de nombreux observateurs, Marine Le Pen (Rassemblement national) se situe en seconde position avec 27% des intentions de vote, selon les récents résultats d'un baromètre OpinionWay.
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Au RN, des mesures "difficilement chiffrables"
La candidate du Rassemblement national a voulu présenté un programme « crédible » et financièrement « équilibré » devant les journalistes. Pour ce faire, l'équipe de campagne a mis en ligne un document de 9 pages détaillant le chiffrage du programme. « Certaines mesures du chiffrage ont fait l'objet de plusieurs évaluations extérieures [...] Nous avons pu noter avec satisfaction que les ordres de grandeur sont identiques », a déclaré l'élue du Pas-de-Calais sur un ton sérieux.
Pourtant, des flous demeurent sur certaines mesures malgré la volonté de donner un chiffrage précis. « Nous arrivons, même avec des mesures difficilement chiffrables comme la mise en place de la priorité nationale d'accès au logement, a resté dans la fourchette annoncée [des dépenses] », a voulu assurer la candidate. Ces approximations de l'aveu même de l'ancienne avocate contrastent avec le sérieux affiché lors du point presse.
Des sources d'économie pas chiffrées
Sur les économies à réaliser au sein de l'Etat, d'autres imprécisions entachent la présentation de la candidate. Elle propose « aux 1.200 agences et opérateurs d'Etat, organismes divers et autres commissions consultatives de faire un effort de 10% d'économie sur leur budget. Je pense que cet effort est raisonnable. Il va sans dire que certaines optimisations sont à réaliser. Je reste persuadée que les sources d'économie en arrivant au pouvoir sont colossales. Je ne l'ai pas chiffré, ce sera la bonne nouvelle de notre arrivée au pouvoir. »
Elle a notamment fait référence aux récents travaux du Sénat sur les cabinets de conseil aujourd'hui au cœur de la tempête. Les accusations de la commission d'enquête parlementaire sur les pratiques fiscales du cabinet McKinsey ont mis le feu aux poudres ces dernières semaines dans la Macronie à quelques jours du premier tour du scrutin.
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Pas de prévisions de croissance, ni d'objectif sur la dette et le déficit
L'ancienne députée européenne veut également faire baisser la dépense publique à 50% du PIB à la fin du quinquennat. Avant, la crise sanitaire ce ratio s'élevait à 55% du PIB environ. Lors du propos liminaire de son point presse, elle n'a pas fait part de prévision de croissance du PIB, ni d'objectif sur la dette et le déficit. Le total des recettes atteindrait 68,3 milliards d'euros, comme le total des dépenses. « Le budget est donc, comme je m'y étais engagée, à l'équilibre », a fait valoir la candidate.
Elle a également fait référence à la mise en place d'un fonds souverain sans forcément apporter des détails sur les montants de ce levier, ni sur sa finalité. « La trajectoire budgétaire s'appuie sur la mobilisation d'un fonds souverain qui doit permettre une impulsion macroéconomique de nature keynesienne avec la caractéristique d'être financé sur fonds privé et non par les finances publiques. » Ce fonds sera abondé par « l'épargne des Français qui souhaitent devenir actionnaire de la maison France. »
Baisse de la TVA de 20% à 5,5% sur les produits énergétiques
Sur le plan fiscal, la parlementaire propose de supprimer l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) et de mettre en place un impôt sur la fortune financière « pour taxer la spéculation ». Elle envisage également de baisser la TVA de 20% à 5.5% sur les produits énergétiques (carburants, fioul, gaz et électricité) en tant que biens de première nécessité » et prévoit une baisse de la fiscalité de la production en supprimant (la Cotisation Foncière des Entreprises). En parallèle, elle propose de gonfler de 55 milliards d'euros d'ici 2027 le budget des armées et de lancer un plan d'urgence pour la santé de 20 milliards d'euros.
18 milliards d'euros d'économie sur l'immigration
Marine Le Pen compte notamment économiser 18 milliards d'euros avec ses mesures sur l'immigration, 15 milliards sur les fraudes sociale et fiscale, 8 milliards sur le fonctionnement des agences de l'Etat, priées de faire 10% d'économies, 6 milliards générés par ses mesures de pouvoir d'achat, ou encore 5 milliards issus de la contribution de la France à l'Union européenne.
Elle a néanmoins omis de rappeler que la France devra passer outre les traités européens pour réaliser ces 5 milliards d'euros d'économies. Avec cette proposition, la France devra se passer par exemple des fonds prévus par le plan de relance de l'Union européenne mis en œuvre à l'occasion de la pandémie. Pour rappel, 40 milliards d'euros du fonds de relance européens doivent être fléchés vers la France
L'Europe et le climat, angles morts du chiffrage de Marine Le Pen
En 2017, Marine Le Pen avait mis l'accent dans son programme sur l'Europe. À l'époque, elle comptait notamment sur la sortie de l'euro pour convaincre une partie des indécis et des eurosceptiques de la rejoindre. Cinq ans après, la candidate du RN fait l'impasse sur les questions européennes dans son programme. Pourtant, la crise sanitaire et la guerre en Ukraine ont ravivé les questions macroéconomiques et géopolitiques à l'échelle du Vieux continent.
Entre le plan de relance et les trains de sanctions à l'encontre de la Russie, l'Union européenne tente de faire front aux différentes crises malgré de fortes divisions internes. Sur le plan budgétaire, les institutions européennes ont mis en place des instruments pour lever de la dette en commun au pire de la crise sanitaire après d'âpres négociations entre les pays frugaux et les pays du Sud de l'Europe.
Plus récemment, l'Union européenne a participé à de multiples réunions (OTAN, G7, conseil de l'UE) pour tenter d'organiser une réponse diplomatique face à la Russie. Sur le plan monétaire, la Banque centrale européenne a des implications budgétaires importantes même si les traités européens s'accordent sur le fait que les politiques monétaires et budgétaires doivent être séparées. En agissant sur les taux d'intérêt et les programmes de rachat de dette, la politique monétaire resserre ou relâche la contrainte budgétaire sur les Etats.