Le navire Bercy navigue en eaux troubles depuis près d'un an. Entre les vagues d'épidémie et les confinements à répétition, l'économie tricolore tangue à nouveau. Au ministère des Finances, ils sont sur le pont toutes les semaines depuis le mois de septembre pour piloter le plan de relance annoncé par le Premier ministre Jean Castex à la fin de l'été. Ce mardi midi, tout l'état-major des puissantes administrations du Trésor, des finances publiques (DGFIP) et de la direction générale des entreprises (DGE) se dépêche de rejoindre leur place autour d'une vaste pièce du bâtiment Colbert. Il n'y a pas de temps à perdre. A l'arrivée du ministre de l'Economie et de la Relance, Bruno Le Maire la réunion démarre sur les chapeaux de roue. "Il faut garantir le décaissement maintenant, même en période de crise sanitaire. La crise sanitaire dure. Les chiffres restent préoccupants. Nous n'avons pas le choix, il faut décaisser le plan de relance maintenant pour en tirer les bénéfices économiques d'ici le début d'année 2022. C'est la ligne stratégique que nous avons acté avec le Président. Nous avons une obligation de résultats" clame le ministre.
Entouré des membres de cabinet d'Olivier Dussopt et d'Agnès Pannier Runacher, Bruno Le Maire est épaulé ce jour là de Jennifer Pizzicara, sa directrice adjointe du cabinet qui a fait ses armes en tant que déléguée générale à la Fondation Concorde et de Bruno Parent, secrétaire général du plan de relance et ancien patron de la DGFIP. Avec ses équipes, il tente de faire face au plus grand marasme économique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans ce contexte troublé, l'horizon de la présidentielle de 2022 approche à grand pas.
Un plan d'investissement d'avenir au coeur du plan de relance
Après plusieurs mois d'expérience, la machine est bien huilée. A l'ordre du jour concocté par son cabinet, le ministre attaque la discussion à bâtons rompus sur les investissement d'avenir (PIA). "S'agissant du PIA, j'ai demandé à la direction générale des entreprises une note. Il y a 21 milliards d'euros sur le PIA. 10 milliards doivent être décaissés dans le plan de relance dont une majorité dès 2021. J'acte la proposition de réduire à neuf les filières qui seront immédiatement instruites" tranche le ministre.
Au début du mois de janvier lors d'un déplacement en Essonne, le Premier ministre Jean Castex avait dévoilé le quatrième volet de ce programme d'investissement initié sous l'ère Sarkozy. Il vise à booster l'innovation dans l'hydrogène, la cybersécurité, le quantique et le numérique. Contacté par téléphone, le secrétariat général de l'investissement sous l'égide de Matignon avait ajouté que "plusieurs outils de financement existent. Il peut s'agir de subvention, d'avance remboursable. Tout dépend de la nature du projet, du niveau de maturité du projet dans le cadre de procédures compétitives et de la structure financée". Pour Bruno Le Maire, le décaissement de cette enveloppe doit avancer. "Je découvre plein de PME en France qui sont technologiquement en pointe et vont bénéficier de ce plan de relance. Il faut les valoriser. Les Français n'ont que des mauvaises nouvelles actuellement alors si on peut leur apporter quelques motifs d'espoir, c'est bien mieux. Le PIA, c'est 10% du plan de relance. On a rapatrié les crédits dans l'année un peu plus tôt. Maintenant, il faut accélérer".
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Collectivités locales/Bercy, des relations parfois houleuses
Mesures prophylactiques, fermeture des commerces, couvre-feu...depuis le début de la pandémie, les élus locaux sont en première ligne pour appliquer les directives de l'exécutif. Face à ces décisions venues d'en haut, les collectivités entretiennent des relations parfois houleuses avec le gouvernement. En effet, elles doivent affronter le malaise, voire l'incompréhension du public à l'égard de certaines annonces. "On se fait très attaquer par les collectivités locales mais quand je regarde les chiffres, il y a un soutien massif qui va directement aux collectivités [...] La note de la direction du budget montre que le décaissement pour les collectivités locales avance et qu'elles sont largement bénéficiaires du plan de relance" avance Bruno Le Maire.
L'une des difficultés concerne les petites communes. "Un point important est que les petites collectivités puissent émarger au plan de relance comme les grandes. Il faut mettre en avant le dispositif de soutien mis en place pour que les collectivités les plus dépourvues de moyens pour présenter des dossiers bien fichus soient aidées. C'est un enjeu assez lourd localement de bien montrer que ce ne sont pas les grandes métropoles qui raflent tout" explique Bruno Parent. Pour améliorer les rouages entre l'Etat et les collectivités, le gouvernement a nommé 30 sous-préfets à la relance chargés de la bonne application des mesures dans les territoires. Contacté par La Tribune, l'entourage de la ministre de la transformation et de la fonction publiques, Amélie de Montchalin, assure que leur mission "est d'aller voir les maires des petites communes notamment pour ne pas passer à côté de projets intéressants. Ils sont les interlocuteurs du quotidien des petits maires [...] Ils sont là également pour éviter les blocages administratifs dans les circuits de financement". En poste pour deux ans sur la mission relance, ils reviennent gonfler les rangs dans les services déconcentrés de l'Etat. "Politiquement, nous assumons cette démarche. Les services déconcentrés de l'Etat ont été vidés lors des deux quinquennats Sarkozy et Hollande. Le Premier ministre va annoncer des créations de postes dans ces administrations" ajoute-t-on.
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-Le secrétariat du comité de pilotage a été confié à Bruno Parent.
"C'est très difficile de parler investissement en pleine crise sanitaire"
La pandémie a mis un coup d'arrêt aux investissements des entreprises partout sur la planète. Le prolongement de la crise sanitaire a plombé le moral des dirigeants et l'ampleur de la récession risque de laisser des cicatrices profondes sur le tissu productif. "C'est très difficile de parler investissement en pleine crise sanitaire. L'investissement s'effondre partout dans le monde. C'est vrai aux Etats-Unis, en Chine, et en Europe. Parler d'investissement à une période où il faut sauver des emplois, c'est très difficile à faire entendre. Il faut faire passer ce message car si on n'investit pas maintenant, il n'y aura pas d'effet sur l'emploi d'ici la fin de l'année" affirme Bruno Le Maire. Il évoque notamment une récente réunion en compagnie du président de la République et d'une centaine de patrons de multinationales. "J'ai été très surpris. Aucun ne savait qu'il pouvait bénéficier d'aides au développement de leur industrie" a-t-il ajouté.
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- Bruno Le Maire et sa garde-rapprochée dans son bureau à Bercy.
L'exécution du plan de relance, un défi de taille pour le gouvernement
L'exécutif assure régulièrement que la mise en oeuvre du plan de relance se déroule sans accroc. Pour assurer plus de transparence, le secrétariat général du plan a rendu public un tableau de bord de suivi des mesures annoncées mis à jour chaque mois. Les internautes peuvent ainsi avoir accès au nombre de dossiers validés pour "Ma prime rénov" pour les particuliers, la rénovation thermique des bâtiments publics ou le verdissement du parc automobile. Cet effort de transparence ne doit pas faire oublier que l'évolution de la crise sanitaire demeure pour l'instant la principale boussole de l'économie. La multiplication des variants, la flambée des infections, le fiasco de la campagne de vaccination et les déboires logistiques repoussent sans cesse le redémarrage de l'économie française. En outre, de nombreuses mesures comme le chômage partiel figurent dans le plan de relance alors qu'elles devaient être avant tout des mesures d'urgence.
Enfin, le plan de relance européen de 750 milliards d'euros doit encore franchir des étapes politiques cruciales. La France qui doit recevoir 40 milliards de cette enveloppe doit présenter son programme de relance définitif avant la fin du mois d'avril à la Commission européenne. Si un Etat membre considère que le projet ne rentre pas dans les clous, il peut adresser une demande pour saisir le conseil européen. Autant dire que le versement des premières subventions européennes risquent de prendre encore de longs mois.