
Quand Emmanuel Macron était ministre de l'Economie de François Hollande, il avait su séduire une partie de la jeunesse. Beaucoup d'éléments permettaient d'expliquer cette séduction qui s'étaient opérée auprès des plus jeunes des Français : son âge, son parcours fulgurant, sa distance à l'égard des partis politiques traditionnels, ses clins d'oeil à la vie politique américaine, et ses prises de position de l'époque tranchant avec les déclarations martiales d'un Manuel Valls ou d'un Nicolas Sarkozy. Au point que des jeunes lycéens et étudiants se faisaient photographier avec lui et postaient leurs photos sur les réseaux sociaux. Et pourtant, dès sa victoire de 2017, le désenchantement s'installa rapidement. À force de « en même temps », de « triangulation » avec l'extrême droite, Emmanuel Macron est peu à peu devenu aussi gris, triste, que ses congénères responsables politiques. De fait, au cours du précédent quinquennat, ce « séducteur de vieux » au coeur du pouvoir, pour reprendre les mots d'Alain Minc, est devenu le chouchou des retraités les plus aisés. Lui qui promettait d'être « disruptif » et annonçait vouloir travailler pour les « outsiders » a fini par se transformer en champion des rentiers.
Base politique dissoute
Son projet sur les retraites s'inscrit d'ailleurs dans cette optique conservatrice. Et si les macronistes essayent aujourd'hui de se rassurer sur le fait que Nicolas Sarkozy en son temps, en 2010, avait réussi à imposer sa « réforme » des retraites face à des syndicats remontés à bloc et des manifestations (déjà) importantes, ils oublient de prendre en compte une différence de taille : si la base sociale dont dispose Emmanuel Macron semble résister avec le temps, sa base politique semble déjà dissoute. En son temps, pour Nicolas Sarkozy, chef d'un parti de droite conquérant, et récemment élu, c'était toute le contraire : l'ancien président bénéficiait alors d'une base politique forte, transcendant toutes les classes sociales, sans pour autant disposer d'une base sociale solide (notamment parce qu'une partie des élites n'a jamais accepté son élection).
Résultat, Macron, avec le temps, est devenu l'homme du « système », lui-même qui aimait honnir ce « système » dans ses discours techno-populiste de 2017. Au cours du premier quinquennat, cette posture verticale lui jouera des tours, on le sait, notamment face aux Gilets Jaunes. Et justement, hier, c'est L'Opinion, pourtant largement favorable au projet du gouvernement sur les retraites, qui se demandait si l'attitude martiale du gouvernement vis-à-vis d'un mouvement massif de contestation n'allait pas amener certains à préférer la violence aux manifestations pacifiques. « Réforme des retraites : une prime à la violence ? » a titré le quotidien économique. À force de dénier l'importance de la mobilisation dans les éléments de langage, et même dans les chiffres (Autant les syndicats gonflent les chiffres, autant le ministère de l'Intérieur n'hésitent pas à proposer des chiffres fantaisistes notamment à Paris au point que même Le Monde le déplore), l'esprit des Gilets Jaunes pourrait revenir peu à peu à la surface.
Un flot continu de jeunes
De fait, dans la dernière manifestation parisienne du 7 février, les pancartes visant personnellement le président étaient plus nombreuses que lors des premières mobilisations. Les mots étaient parfois crus. Incontestablement, en ce début de second quinquennat, Emmanuel Macron suscite une haine rarement atteinte par ses prédécesseurs. Autre constat : la grande part du cortège parisien était constituée par des jeunes, lycéens, étudiants, et travailleurs. Un flot continu de jeunes.
C'est que les mobilisations et autres blocages dans les facs et les lycées commencent à se multiplier. Depuis des années, les troupes de Mélenchon ont labouré les campus universitaires. Il ne faut pas se fier aux effets d'optique : le jeune député Louis Boyard, lui-même issu du syndicalisme étudiant, n'est pas le seul à avoir fait le travail à gauche. Formé chez les lambertistes, le chef des insoumis n'a pas oublié d'arpenter les amphis ces dernières années, avant et après la présidentielle, multipliant les conférences au sein des universités et des grandes écoles. Ce n'est pas un hasard si la marche des jeunes du 21 janvier dernier contre le projet du gouvernement sur les retraites a fini par être préemptée par les Insoumis.
Dans ce contexte, quel terrible symbole que le groupe Renaissance ait refusé de voter la proposition de loi socialiste sur les repas à un euro pour les étudiants dans les cafétérias universitaires. Ce texte n'est pas passé à une voix près. Une voix qui risque de coûter très cher alors que de plus en plus d'étudiants ont du mal à se nourrir du fait de l'inflation des produits de première nécessité. Une réalité que le gouvernement préfère recouvrir d'un satisfecit sur les chiffres du chômage. Malgré la crise des Gilets Jaunes, la macronie ne semble toujours pas avoir compris que la France ne se gouvernait pas à travers des tableaux Excel.
Service National Universel
C'est aussi dans ce contexte potentiellement explosif que les annonces d'Emmanuel Macron sur le SNU (Service National Universel), attendues en janvier, ont finalement été reportées à mars. Le président doit choisir entre une extension du dispositif ou une obligation. Une « délégation générale » a été créée pour étudier tous les scénarios. L'exécutif réfléchit à imposer le SNU aux élèves de seconde chaque année, mais comment contraindre près d'un million de mineurs à des sessions loin de chez eux, qui n'ont pour objectif ni la défense du pays, ni l'instruction scolaire. C'est pourtant le souhait du président.
Sa promesse à la jeunesse en 2023 s'est donc réduite à une proposition martiale, étriquée. On est loin de 2017. « Et parce que la confiance dans la vitalité de notre vie démocratique s'est, elle aussi, émoussée, nous aurons, nous le savons, dans les mois qui viennent beaucoup à faire, a glissé Emmanuel Macron dans ses vœux de fin d'année de décembre 2022. Je poserai dans les toutes prochaines semaines, mois, les premiers jalons d'un service national universel. »
Le SNU comme réponse à la colère de la jeunesse ? Alors que la proposition de Brigitte Macron d'imposer l'uniforme au sein des écoles a créé la polémique, il n'est pas sûr que cette obligation du SNU remporte l'adhésion. Ersatz de service militaire sur une douzaine de jours (sans le maniement des armes) pour les jeunes de 15 à 17 ans, le SNU n'a rassemblé que 32 000 jeunes l'an dernier. Les « séjours de cohésion », encadrés par des anciens de l'armée, de l'éducation nationale et par les associations, sont rythmés par des levers de drapeaux, des hymnes, des exercices militaires. Les lieux où dorment les volontaires sont organisés comme des casernes et les encadrants se font appeler « tuteurs de maisonnée », « capitaines ». Forcément, le manque d'expérience des encadrants a amené à des dérapages dignes d'un autre temps.
Au sein du gouvernement, cette obligation du SNU, ardemment voulue par le président Macron, est loin de faire l'unanimité. Le ministre aux Armées, Sébastien Lecornu, tout comme son homologue de l'Éducation Nationale, Pap Ndiaye, ont fortement exprimé leurs réserves. Lecornu sait que les militaires de carrière sont particulièrement opposés à cette obligation du SNU. Les idées les plus farfelues viennent également compliquer les discussions entre conseillers : comme celle d'empêcher les lycéens se refusant à faire leur SNU de passer leur Baccalauréat avant l'âge de 25 ans... « Ils vont finir par faire défiler les parents ! », se désespère un macroniste de la première heure.
Encore une fois, face à un problème, Emmanuel Macron s'est entêté dans un gadget et a tourné le dos à une grande histoire, celle de l'éducation populaire, celle des centaines de milliers d'associations qui parsèment le pays, héritage du Front populaire, de la Reconstruction, des Congés payés, cette histoire de la gauche, celle de Léo Lagrange, de Jean Zay, ou du ministère du Temps libre sous Mitterrand. Bref, cette gauche qui était capable d'imagination et d'avenir. Justement, il faudrait davantage de projets d'avenir à ce gouvernement pour récupérer la jeunesse...
Marc Endeweld.
Sujets les + commentés