On a beaucoup parlé de la méthode, mais qu'en est-il du fond ? C'est un peu la question que tout le monde se pose ce jeudi matin, alors que le Président a enfin fait savoir la façon dont il compte lancer la réforme des retraites.
Le choix de la concertation
Ce sera un projet de loi global, précédé « d'un nouveau cycle de concertation ». « Le choix du dialogue », selon Elisabeth Borne, avec les organisations patronales et syndicales, mais aussi les groupes parlementaires. Mais si les mots ont un sens, les syndicats ont bien noté qu'il leur était proposé de « concerter » et non de « négocier ». La nuance est importante, une concertation réduit les chances de pouvoir peser sur le texte.
Après de nombreuses tergiversations, l'idée de recourir à un amendement dans le PLFSS a finalement fait long feu. Au sein de la macronie, cette option avait divisé les troupes. Trop brutale, trop éloignée de la nouvelle méthode tant vantée par le président, trop risquée politiquement .... Emmanuel Macron a préféré temporiser, en revenant à un outil classique. « Une voie médiane », plaide un ministre.
Aller vite
L'objectif du président, pourtant, est de ne pas perdre de temps. Il souhaite obtenir un vote avant la fin de l'hiver, probablement en janvier, pour une mise en application de la réforme à l'été 2023. Sans majorité absolue, il prend le risque d'une motion de censure et d'une dissolution de l'Assemblée. Un risque calculé puisque selon son entourage, « même si les oppositions montrent les muscles, comme c'est le jeu habituel, personne n'a intérêt à repasser devant les électeurs". Et de détailler : « après l'affaire Quatennes puis Bayou, la NUPES est dans un trou d'air, les LR sont affaiblis et englués dans leur congrès, Marine Le Pen est très heureuse d'avoir 89 députés et ne voudrait pas prendre le risque d'en perdre ... »
Une fois ce cadre posé, quid de la réforme en elle-même ? « Au fond, on est loin d'avoir le détails », assure Geoffroy Roux de Bézieux, le leader du Medef. Emmanuel Macron a pointé les grands chapitres qu'il compte voir aborder dans la concertation que son gouvernement va proposer aux partenaires sociaux et parlementaires. Ces derniers devraient bientôt recevoir une lettre d'intention.
Le recul de l'âge jusqu'à 65 ans
Le premier point à l'ordre du jour concerne le recul progressif de l'âge de départ à la retraite. Pendant sa campagne, Emmanuel Macron a affiché la couleur : passer de 62 ans d'âge légal à 65. Puis, il a assoupli quelque peu sa position, assurant que « 65 ans n'était plus un totem ».
Ce curseur est toutefois revenu hier, alors que le chef de l'Etat dévoilait ses intentions aux principaux ministres intéressés. Et Elisabeth Borne a précisé, ce jeudi matin, à l'AFP que la réforme devrait bien prévoir un « report progressif de l'âge de départ de 4 mois par an, aboutissant à 65 ans en 2031 ».
Pas sûr toutefois qu'en la matière, l'échange ne soit très nourri : tous les syndicats de salariés - CFDT en tête- ont d'emblée fait valoir qu'ils étaient contre un décalage de l'âge. Il n'empêche, l'Elysée y tient. Et pour cause, « c'est le plus simple, c'est compréhensible par tout le monde et c'est ce qui rapporte le plus aux finances », argue un conseiller du Palais. A Bercy, les calculettes ont déjà commencé à tourner. Un décalage de 62 à 64 ans ferait gagner à la France jusqu'à 0,2 point de PIB.
En parallèle sera discutée aussi une accélération de la réforme de 2014 de Marisol Touraine, concernant la durée de cotisation.
Autre élément de la discussion, la pénibilité
La pénibilité... c'est l'élément que le gouvernement brandit pour faire passer la pilule. En échange de travailler plus longtemps pour une majorité des Français, la prise en compte de la dureté de certains métiers sera assurée. Et pour cause, la CFDT en a fait un point d'honneur. Et dans l'opinion publique, c'est un marqueur fort. Les Français sont attachés à protéger ceux qui sont les plus usés par leurs métiers.
Reste à définir les critères qui peuvent être discutés. Les précédentes négociations autour du compte pénibilité ont laissé de mauvais souvenirs notamment au sein du patronat. Geoffroy Roux de Bézieux, au Medef, s'en explique : « On n'est pas contre prendre en compte la pénibilité, bien entendu, mais on nous demandait de suivre une usine à gaz en observant des postures, de fliquer les salariés ... ça c'est non ». La question est de savoir si cette pénibilité sera reconnue à titre personnel ou à titre collectif est déterminante. Sachant que si la dernière option était retenue, ce serait, selon le patronat, la porte ouverte à la création de nouveaux régimes spéciaux.
Les régimes spéciaux
Ils ne devaient pas à l'origine faire partie de la concertation... mais finalement, impossible de passer outre. « Les Français du secteur privé à qui l'on demande des efforts ne comprendraient pas que l'on ne fasse rien côté régimes spéciaux », a laissé entendre Emmanuel Macron, lors du dîner. Sans compter que c'est un argument de poids pour obtenir les voix des députés LR, et le soutien du patronat.
Mais le risque social est fort. Le gouvernement peut-il faire face à d'importants blocages ? Du coté de l'exécutif, on argue que ces régimes spéciaux sont de moins en moins nombreux. Avec la disparition du statut des cheminots pour les nouveaux entrants, le dispositif spécifique à la SNCF va progressivement s'éteindre. Reste celui de la RATP. Pas sûr toutefois que ces agents puissent paralyser la capitale. Les Français ont aussi appris avec le Covid à télétravailler et à privilégier d'autres mobilités, veut croire l'exécutif.
En réalité, le système qui inquiète le plus le gouvernement est celui des gaziers et électriciens, les IEG. En pleine crise énergétique, une importante grève des agents d'EDF ou d'envie compliquerait la situation de la France. « On a déjà besoin de toutes les équipes pour remettre en route les réacteurs à l'arrêt, on ne peut pas se permettre de perdre des semaines de travail d'EDF », plaide un ministre.
En la matière, l'exécutif fait le pari de l'opinion. Sous-entendu, si des coupures d'énergie touchaient les ménages et les entreprises à cause de débrayages, en plein hiver, dans un contexte de tensions dues à la guerre en Ukraine, ces mouvements seraient très peu populaires.
Enfin, quel que soit le secteur, dans une période où le pouvoir d'achat est la première priorité des Français, l'exécutif parie sur la nécessité pour les agents publics de ne pas perdre trop en salaires, et donc de limiter les journées d'action.
Un seuil minimal de pension à 1.100 euros
Voilà un point, au moins, sur lequel tout le monde promet d'être d'accord. La question est de savoir à quel moment ce relèvement des pensions devient effectif, réel. Car cette mesure amoindrira très vite les avantages financiers de la réforme.
La pension à 1.100 euros risque d'être la carotte en face de l'allongement de la durée de cotisation et/ou du report de l'âge. Le gouvernement espère avec ce seuil minimal attirer dans la discussion des organisations syndicales comme la CFDT. Les indépendants ou les agriculteurs - qui peuvent être aussi sources de blocage - sont aussi sensibles à cet argument.
Politiquement, c'est aussi un argument qui peut faire mouche. « Qui par les temps qui courent, osera dire "non" à un texte qui sanctuarise les retraites à 1100 euros ? », plaide un ministre. A peine le lancement de la réforme annoncé, de nombreux groupes politiques, comme les RN ou la NUPES ont toutefois déjà signalé leur opposition.