Santé : l’image du médecin à travers les arts

Grande figure de la peinture classique et de la littérature, le médecin, traité tantôt avec respect, tantôt avec facétie, a évolué pour devenir un personnage récurrent au cinéma, tout comme dans les séries. Tour d’horizon, de Rembrandt à Balzac, et d’Urgences aux films de Thomas Lilti. ( Cet article est issu de T La revue n°14 - Santé : un équilibre en jeu, actuellement en kiosque).
La Leçon d’anatomie du docteur Tulp, tableau réalisé par Rembrandt en 1632, est un véritable éloge de la pratique médicale dans son approche la plus scientifique. L’œuvre est conservée et exposée au musée Mauritshuis de La Haye.
La Leçon d’anatomie du docteur Tulp, tableau réalisé par Rembrandt en 1632, est un véritable éloge de la pratique médicale dans son approche la plus scientifique. L’œuvre est conservée et exposée au musée Mauritshuis de La Haye. (Crédits : Mauritshuis, The Hague)

Lumière bleutée, infirmières courant dans tous les sens et jingle ponctué de sirènes d'ambulances. Reconnaissable entre mille, ce générique est celui d'Urgences. Diffusée entre 1994 et 2009, la série constitue un tournant dans la représentation de la fonction médicale : on entre de plain-pied dans la modernité, voire dans la vision du monde hospitalier montré avec un réalisme encore jamais vu auparavant. Il est vrai que la série qui a popularisé l'acteur George Clooney et largement contribué à construire son image d'engagement n'élude en rien les problématiques graves qui secouent son cadre, l'hôpital, exploré à la manière d'une plongée plus vraie que nature. Manque de moyens de l'institution, précarité et paupérisation des patients soignés, handicap, épidémies, dilemmes moraux relatifs à l'euthanasie et burn-out du personnel soignant : rien n'est laissé de côté par les scénaristes au point que la série deviendra au fil du temps la porte-parole d'un milieu jusqu'ici peu représenté sur le petit écran...

Quand Molière égratigne la profession

Récompensée par des dizaines de prix et autres awards, la série Urgences n'a fait que perpétuer une longue tradition dans le monde des arts : la représentation de la médecine et plus encore celle de son personnage clé, le soignant. Une figure souvent traitée avec le plus grand des respects, notamment en peinture. En la matière, les évocations ne manquent pas. C'est ainsi que Le Titien représentait, dès 1528, Girolamo Fracastoro, emmitouflé dans une fourrure de lynx. Ce dernier est connu pour son poème sur la syphilis qui contient des descriptions réalistes et cliniques de la maladie. Il est aussi l'auteur d'un écrit, De Contagione et Contagiosis Morbis (De la contagion et des maladies infectieuses), qui a traversé les siècles puisqu'il y décrit les mécanismes de propagation de la peste. C'est encore, un siècle plus tard, Rembrandt avec la fameuse Leçon d'anatomie du docteur Tulp (1632) ou Goya avec un autoportrait avec son médecin (1820). Une reconnaissance qui laisse parfois place à l'espièglerie sinon à la moquerie, notamment chez Molière. Présent dans sept pièces sans compter celles où il occupe une place anecdotique, le personnage du médecin est un élément clé du théâtre du dramaturge français. Avec une évolution notable, d'ailleurs : tandis que ses cinq premières pièces exagèrent volontairement le trait des personnages (Le Docteur amoureux, Le Médecin volant, Le Docteur pédant, Les trois médecins pédants, L'Amour médecin) étant destinées au public des campagnes, à la fois populaire et friand de farces, les œuvres plus tardives - dont Le Médecin malgré lui et Le Malade Imaginaire - se font plus subtiles. Ces dernières s'adressent en effet à la bourgeoisie et à la noblesse, patientèle privilégiée de pseudo-guérisseurs alors moqués avec une ironie mordante. Professeur émérite de littérature française à la faculté des Lettres de la Sorbonne, Patrick Dandrey en analyse les ressorts comiques : « La morgue des médecins, l'incertitude de leur savoir et le domaine trivial de son application offrent matière à déployer tout l'éventail nuancé de la dérision : de la facétie grotesque ou scabreuse à la parodie verbale, gestuelle et morale, de la satire qui égratigne au sarcasme qui foudroie. L'aggravation du trait suit d'ailleurs celle de la santé de l'auteur qui commence à se dégrader. »[1]

De la médecine de campagne au « toubib » du cœur des villes

Grâce à Molière, la parodie s'impose et traverse les âges. En 1923, sur la scène de la Comédie des Champs-Élysées, est joué le drolatique Knock de Jules Romains. On y tacle les méthodes nouvelles d'une science qui, s'inspirant de l'usage américain, use et abuse de publicité pour se faire connaître en promettant monts et merveilles. Là encore, il s'agit d'un tournant. Car jusqu'alors, le médecin faisait figure de notable de province plutôt que d'homme ancré dans la modernité citadine. Il était celui qui parcourait le territoire de la province pour soigner, connaissait les familles, les foyers, au point d'en pénétrer l'intimité pour livrer un diagnostic écouté. C'est notamment le cas avec Balzac, dans Le Médecin de campagne. S'y déploie l'histoire du docteur Benassis, présenté comme un saint laïque et « ami du pauvre ». L'action se déroule dans un village des Alpes dans un cadre si pauvre que Benassis en est effrayé. Ce dernier s'évertuera alors à améliorer les conditions de vie, sanitaires d'abord, politiques et économiques ensuite, en devenant maire de son village. Cette vision de l'homme de science venu apporter la lumière du progrès à une population isolée ou plongée dans la misère sera longtemps celle propagée par les arts. Jusqu'à ce que le cinéma, puis la télévision, transforment le docteur en un héros du quotidien. Mais surtout en un personnage plongé au cœur d'une ville qui, comme dans un huis clos, se suffit souvent à elle-même... En témoigne la série Médecins de nuit diffusée tout au long des années 1980 sur Antenne 2, d'autant plus intéressante que son écriture est signée par Bernard Kouchner. Ou plus près de nous encore, le film Médecin de Nuit, réalisé par Élie Wajeman en 2020. On y voit Vincent Macaigne camper un généraliste à la dérive qui vient en aide aux toxicos parisiens. « Ce héros nocturne est une sorte de révélateur, analyse le réalisateur[2]. Je le filme un peu comme Raymond Chandler utilisait Philip Marlowe dans ses polars : ce détective privé dont les aventures permettaient de raconter Los Angeles et ses bas-fonds. Les médecins de nuit sont des témoins importants de ce qui se passe quand tout le monde dort. Suivre au plus près l'un d'entre eux, c'est aussi une façon pour moi de faire un portrait moderne de Paris en 2020. » Demeure enfin l'œuvre de Thomas Lilti, pour mettre tout le monde d'accord. Médecin généraliste de formation, ce dernier s'est mis à la réalisation avec un certain succès. Dans Hippocrate, long-métrage sensible et puissant, il se sert de sa propre expérience pour dépeindre l'envers du décor d'un hôpital d'aujourd'hui. S'y révèlent de façon précise et honnête, l'humanité, les conditions de travail et les états d'âme d'une profession que l'on représente enfin dans toute sa vérité. La preuve que l'art constitue parfois le meilleur des détours pour appréhender la réalité...

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[1] https://eduscol.education.fr/odysseum/medecins-medecine-et-maladie-dans-le-theatre-de-moliere

[2] https://www.lesechos.fr/weekend/cinema-series/cinema-coups-de-projecteur-sur-la-medecine-1266079

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T14

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